L’éducation traditionnelle africaine, telle qu’on l’évoque souvent et telle qu’on en voit encore des éléments en milieu rural particulièrement, avait ses finalités et il semble que son mode de fonctionnement, ses méthodes, ses contenus… aient été ordonnés en fonction de ces finalités. Au-delà des spécificités ethniques, on peut relever des tendances générales.
Finalités et modes de fonctionnement. L’essence de la société traditionnelle est d’être conservatrice. Selon NIGNAN (1981), la société mossi par exemple tient au maintien de l’ordre et des traditions, elle tient à la pérennité de ses structures et de ses valeurs à travers les générations. Ainsi, la société traditionnelle, de manière générale, tient davantage au conformisme des conduites des uns et des autres qu’au culte de leurs différences. Comme le note Sawadogo R. J. (1982-1983), pour qu’il en soit ainsi, la société traditionnelle a un modèle d’éducation fondé sur un pouvoir gérontocratique, les plus vieux ayant un droit de regard et de critique sur la conduite des plus jeunes. Puisqu’il s’agit de doter la communauté d’hommes et de femmes capables de la servir et de la conserver, on fera en sorte que les habitudes, les connaissances, les techniques de métier se transmettent de générations en générations presque sans changement. Le pouvoir gérontocratique et le principe de cité éducative sont les maître-mots de cette conception traditionnelle de l’éducation. Cité éducative car personne n’est spécialement désigné comme éducateur, tout le monde est potentiellement éducateur d’un plus jeune que lui, que celui-ci soit inconnu ou connu ; cité éducative aussi car, comme le montre Sawadogo (op. cit.), tout lieu, toute circonstance est occasion d’éducation, il n’y a aucun lieu privilégié pour cela.
Contenus. Les contenus de cette éducation sont surtout d’ordres physique, social, moral, religieux, technique et professionnel. C’est une éducation qui ne reposait pas sur la notion de cloisonnement des secteurs de formation. La formation professionnelle était de nature polyvalente, ce qui était possible en raison sans doute de la faible division du travail, les jeunes étant aptes à se consacrer à différentes activités en fonction des saisons et des contextes. Autrement dit, on tentait de développer toutes les potentialités de chacun.
Méthodes privilégiés. La méthode d’éducation était surtout globale comme cela a déjà été annoncé, en ce sens que l’enfant est considéré dans sa globalité, il est vu comme un tout et comme devant être formé sur tous les plans à la fois ; il n’y a pas de parcellisation de secteurs d’éducation :
L’apprentissage des techniques du métier seront des occasions de moralisation et de socialisation tout comme la formation physique, la culture de l’endurance pourront donner lieu à des informations relatives à la connaissance du corps. Les rites initiatiques constituent le symbole même de cette vision globale de l’éducation où les formations sexuelle, physique, morale, sociale se rencontrent. La méthode de l’éducation traditionnelle africaine, bien que coercitive et autoritaire, n’en est pas moins active dans ses procédures. Elle est en effet basée sur le concret, la réalité, l’expérience vécue, l’exemple de l’entourage ; elle est également basée sur la solidarité, la coopération, le partage entre des gens de même génération, même si dans certaines circonstances la compétition est valorisée. On tend à une formation “intégrée” au sens que lui donne SY Lalla (1974) parlant de l’alphabétisation : formation intégrée aux activités du milieu afin d’avoir des hommes capables de s’acquitter de leurs fonctions économiques et sociales ; intégration entre les différentes formes d’activités. Cette notion d’intégration englobe celles de fonctionnalité, de globalité, d’interdisciplinarité. Il s’agit bien d’éducation de façon générale et non de scolarisation. Or, du point de vue de la scolarisation, la pédagogie intégrée reste une des idées nouvelles sur l’éducation. Elle suppose un effort de conceptualisation sur l’organisation scolaire qui, pour elle, doit tendre au mieux à amener au niveau des apprentissages les exigences immédiates de la société (MIALARET, G. 1983).
Procédure privilégiée d’apprentissage des techniques ou pédagogie implicite. Compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, il s’avère que l’éducation traditionnelle est de nature pratique, basée sur l’observation et l’imitation, minimisant donc les risques d’erreurs et les conséquences de celles-ci dans le contexte des apprentissages techniques et professionnels. Si l’on part du principe qu’on peut avoir trois types de procédures d’apprentissage des techniques du métier (par façonnage, par échafaudage, par essais et erreurs), il semble que l’éducation traditionnelle privilégie le façonnage et l’échafaudage, ce qui, selon BUREAU R. (1988), se situe dans la logique d’une formation qui valorise la transmission des savoirs. Il faut préciser que dans l’optique de l’apprentissage traditionnel, il n’y a en général pas d’échec, tout le monde parvenant à un niveau de compétence satisfaisant. L’apprentissage par essais et erreurs obéit plutôt davantage à une logique où la créativité, l’esprit d’initiative, d’innovation sont valorisés et interviendra dans des contextes où les enjeux économiques et sociaux de l’apprentissage sont limités. Egalement, dans le cadre des jeux, les enfants procèdent généralement par essais et erreurs, contraints qu’ils sont de fabriquer leurs propres jouets en se servant de modèle existants et de matériaux locaux. En cela, ils sont encouragés par les parents qui évitent d’intervenir. Comme l’a si bien montré Chantal LOMBARD (in BUREAU et DE SAIVRE, 1988) dans le cadre de ses observations en Côte d’Ivoire, le jeu est alors un stimulant intellectuel : les renforcements, le caractère agréable du jeu s’intègrent à cette procédure d’essais et erreurs pour constituer un moyen efficace pour l’acquisition d’une démarche d’innovation, pour l’acquisition de la démarche scientifique (ce qui, surtout aujourd’hui, est important car on veut faire acquérir aux enfants cet esprit scientifique).
Source : De l’éducation traditionnelle à la scolarisation : changements de perspectives pédagogiques et problèmes d’adaptation de l’école au Burkina Faso, Afsata Paré-Kaboré, in Burkina Faso, cent ans d’histoire, 1895-1995, tome 2.