Suite aux inondations du 1er septembre 2009 qui ont causé d’énormes dégâts et fait quelque 150 000 sinistrés, le gouvernement burkinabè, pour prévenir d’éventuelles situations du genre, a déclaré certaines zones de la capitale, inondables. Les habitants de ces zones devront être délogés et conduits vers des trames d’accueil plus sûres, avec des mesures d’accompagnement à la clé. Mais, quatre ans après, l’on constate que seul le bornage des zones concernées est effectif. Le déguerpissement, lui, tarde encore à voir le jour.
Premier septembre 2009. Un jour fatidique qui est resté gravé dans la mémoire de bon nombre de Burkinabè. En effet, ce jour-là, le Burkina Faso a vécu l’une des pires tragédies de son histoire, en matière de catastrophe naturelle. Des inondations sans précédent ont frappé la capitale burkinabè ainsi que d’autres localités du pays. Une situation qui a mis à nu les faiblesses de l’adaptation du pays aux changements climatiques et sonné l’impotence du réseau routier et du système de canalisation. Plusieurs secteurs vitaux ont été touchés de plein fouet. Des habitations, des bâtiments publics et privés, des infrastructures routières ont subi d’énormes dégâts. 24 489 maisons d’habitation se sont écroulées et on a dénombré environ 150 000 sinistrés, sans abri, selon les données officielles. Face à cette situation, le gouvernement a ouvert des sites d’accueil d’urgence pour reloger les sinistrés. Aussi, pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets, dans les années à venir, l’Etat burkinabè a pris l’engagement de déplacer les personnes vivant sur les sites identifiés inondables vers des zones plus sécurisées. C’est ainsi que des trames d’accueil ont alors être aménagées pour reloger les habitants des espaces situés en deçà du niveau de l’eau. Ces zones déclarées (décret du 19 septembre 2009) inondables, submersibles ou inconstructibles par le gouvernement, devaient être déguerpies et mises en quarantaine, pour des aménagements. Mais qu’en est-il quatre ans après la catastrophe ? Y a-t-il eu un changement ?
Le statu quo !
Le temps passe. La situation est restée stationnaire et les populations occupant ces zones continuent de marcher sur les œufs. Une pluie ce 15 août 2013 et c’est la panique dans les quartiers Ouidi et Dapoya. « Voisin, l’eau n’est pas rentrée dans ta maison ? », demande une jeune femme à son voisin.
Dans la cacophonie où le vrombissement des motopompes se mêle au coassement des batraciens et autre bruit des récipients, les habitants luttaient contre les eaux de surface. A l’horizon, une autre précipitation se prépare et c’est la frayeur générale. C’est à cet instant que l’on se rend compte de la nécessité de trouver un endroit plus viable : « On n’est mort seulement », désespère une dame.
Pourtant, avant les derniers carrés de ces quartiers en allant vers le bas-fond, des bornes hautes d’environ 90 mètres, de couleur rouge-blanc, sont bien perceptibles. « Mais c’est quoi ce truc ? », demande un jeune au gérant d’un kiosque à propos d’une borne. « Ah, je ne sais pas, mais d’après que c’est pour déguerpir tous ceux qui sont vers le barrage à partir de là », a répondu un client. Les avis des riverains des zones déclarées inondables sont partagés. Certains, favorables au projet de déguerpissement prévu par l’Etat, à condition que les mesures d’accompagnement soient consistantes. D’autres, par contre, tiennent affectueusement à leurs parcelles « inondables » et interpellent le gouvernement à envisager une alternative.
Pour Désiré Tamini, résidant à Ouidi, le départ vers d’autres espaces plus sécurisés ne lui pose aucun problème. Ce qui compte pour lui, c’est plutôt la question du dédommagement. « Pour ma part, je ne trouve aucun inconvénient à quitter cette parcelle pour une zone plus viable. Pourvu que le gouvernement me dédommage à la hauteur de mes attentes ». Et d’ajouter : « le gouvernement doit, dans sa logique, tenir compte, non seulement des personnes ayant fait de grandes réalisations, mais aussi de celles qui sont détentrices du titre foncier. Ce qui va permettre de faire la part des choses entre ceux qui peuvent rester, s’il y a lieu, et ceux qui doivent partir et trouver une formule appropriée quant aux compensations ». Et M. Tamini de préciser sa pensée : « Mon bâtiment est un R+1 de plus de 20 millions FCFA, mais si on me dédommage correctement, par exemple si on me donne 40 millions de FCFA, qu’est-ce qui va me retenir ici encore ? Je n’hésiterai pas à quitter ».
D’autres, sans vouloir énumérer les mesures souhaitées, sont du même avis que M. Tamini. Ils pensent que si tout est fait dans les règles de l’art, il n’ y aura aucun problème. De l’avis de Sévère Rayaissé, habitant le quartier Kolog-Naaba, la décision du gouvernement vise à soulager les populations concernées. « Il s’agit, a priori, de notre propre sécurité au regard des dégâts occasionnés par la furie des eaux au soir du 1er septembre 2009 », a-t-il précisé. Et de poursuivre que cela permettra à l’Etat d’aménager les abords des barrages.
Se prononçant sur les mesures d’accompagnement, M. Rayaissé a estimé que l’Etat gagnerait à prendre les dimensions de chaque parcelle inondable, afin d’attribuer à chaque déplacé, la surface qui lui revient. Il a, par ailleurs, souhaité que dans le choix, l’aspect financier soit la priorité du gouvernement et qu’il organise des rencontres avec les populations riveraines afin de requérir leurs avis.
« Déplacer vers où ?,
tout Ouagadougou
est inondable »
Habitant de Dapoya, Issaka Ouédraogo est âgé de la cinquantaine. Rencontré après une pluie, en train de balayer devant sa maison, pour faciliter le passage des eaux, il a fait savoir que la question de déguerpissement ne concerne que les sinistrés. Il estime qu’il ne faut pas faire de l’amalgame entre ceux dont les concessions se sont écroulées lors des inondations et ceux qui vivent aux bords des bas-fonds.
Pour lui, ce sont les personnes dont les constructions ont montré leur limite de résistance qui sont concernées par la décision du gouvernement et non tous ceux qui vivent à proximité des retenues d’eau. « Ce n’est pas tous ceux qui vivent ici qui ont perdu leur maison. Les principales victimes ont bénéficié de l’aide du gouvernement et disposent aujourd’hui de parcelles à Yagma ou ailleurs. Mais nous, nous sommes là (…) », a-t-il fait savoir. « Pensez-vous que les propriétaires des villas accepteront de les abandonner pour une autre destination ? », se demande un jeune homme.
Pour Jean-Baptiste Ilboudo, octogénaire, le déguerpissement est le dernier de ses soucis. « Je vous dis, mon fils, je ne suis pas prêt à quitter cet endroit qui m’a été attribué, en 1967, par le Ouidi-Naaba, aujourd’hui décédé », a indiqué le vieux Ilboudo, d’un ton catégorique. Et de préciser que la zone lui porte chance, du fait que depuis qu’il y vit, il n’a jamais rencontré de problème, preuve que c’est un bon endroit. Le dédommagement, selon lui, est sans importance du moment qu’il n’y a jamais eu, à son avis, « une somme confortable ». « Même si on vient à me proposer 20 milliards de FCFA, d’un moment à l’autre, cette somme va finir », a-t-il soutenu. « Ce qui est encore navrant dans tout ça, c’est qu’on va te déplacer de ta parcelle de 950m2 pour un lopin de 200 à 250 m2 », a ajouté un des fils « du vieux » Ilboudo. M. Ilboudo préconise que l’Etat prenne le soin de bien aménager les barrages et le réseau de canalisation au lieu de chercher à faire partir les gens, « car au bord de l’eau, sinon même de la mer, la vie est aussi possible ».
Joseph Compaoré, comptable à la retraite, pense que c’est un problème d’urbanisation qui engendre les inondations à Ouagadougou. Fort de cet argument, il réfute tout recensement des zones dites submersibles car « c’est tout Ouagadougou qui est inondable », a-t-il martelé. Il déplore, en outre, l’absence de canaux de canalisation et de drainage des eaux pluviales dans certains quartiers de la ville de Ouagadougou. Et de déclarer que les barrages censés recueillir les eaux de surface sont malheureusement dépassés et ont besoin d’être réhabilités, d’où le calvaire des riverains. « Je pense que si nos autorités sont réellement soucieuses du bien-être des populations, une autre solution sera trouvée, en lieu et place du déguerpissement », a soutenu M. Compaoré. Selon lui, le problème ne se pose pas en termes de dédommagement, mais plutôt en termes de bon sens. Ainsi, M. Compaoré souhaiterait qu’en lieu et place du déguerpissement, l’Etat parle plutôt de sécurisation desdites zones à travers la mise en place d’un schéma directeur d’urbanisation qui va prendre en compte le volet assainissement, réalisation d’égouts, etc. Aussi propose-t-il que l’Etat ouvre un cahier des charges aux populations riveraines afin de faire un recensement conséquent et déterminer la limite exacte de l’eau. Ce qui lui (l’Etat) permettra d’autoriser certains habitants à reconstruire sur la base d’une norme standard au lieu de procéder par un déplacement. « C’est une question de bien-être. Aller jusqu’à nous isoler, cela nous conduira à la dépression et à la mort certaine. Donc, il faut que nos autorités songent à bien faire les choses et je sais qu’elles en sont capables », a signifié le retraité, Joseph Compaoré.
En attendant,
le gouvernement fait
ses calculs
Au fil du temps, la calamité du 1er septembre 2009 est en passe de devenir un vieux souvenir, sinon un jour que les populations ont jeté dans les oubliettes. Cela, parce que dans la capitale burkinabè, que ce soit les zones déclarées inondables, inconstructibles ou submersibles, toutes ont été identifiées. Et les populations qui y vivent, conformément à la décision du gouvernement, doivent être déplacées sur des sites plus attendris. Mais quand ? Et comment procéder ? Pas de réponses à ces interrogations. Pour le moment, l’on ne peut que constater que sur les mêmes sites, les constructions se poursuivent. Le décret du gouvernement est ignoré et les raisons du déguerpissement semblent méconnues des riverains. De Nioko à Ouidi en passant par Wemtenga et Dapoya, de nouvelles réalisations poussent avec les mêmes archétypes d’habitats que ceux anéantis par les eaux du 1er septembre 2009. Mais, petit à petit, le ministère en charge de l’Habitat fait ses calculs. Le temps passe, certes, mais mieux vaut tard que jamais. Pour le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Yacouba Barry, la décision prise par le gouvernement de déguerpir les populations qui vivent dans les espaces décrétés submersibles est toujours d’actualité. Selon lui, les évaluations sont faites et son ministère a « récemment » introduit un rapport en Conseil des ministres pour la mise en œuvre des conclusions que le comité technique a produites.
A en croire le ministre, ces conclusions issues de la cellule technique de son département doivent être déclinées en plusieurs phases incluant principalement la sensibilisation des populations sur les risques quant à résider en zone inondable. Il a, par ailleurs, indiqué qu’une évaluation sommaire de la situation des occupants a été faite pour avoir une idée du montant des dédommagements. A propos, M. Barry a soutenu que la part des choses sera faite entre les personnes détentrices du titre foncier, du titre d’occupation et celles qui n’ont aucune dénomination afin d’avoir une notion sur les compensations avant de passer à l’aménagement proprement dit.