Ils ne sont pas coutumiers du fait mais pour la deuxième fois dans l’histoire, ce lundi 29 avril 2019 les avocats du Burkina Faso ont battu le pavé. A travers une marche silencieuse, qui les a conduits de la Maison de l’avocat au ministère de la Justice, ils ont dénoncé le blocage de l’appareil judiciaire et l’incapacité de l’Etat à y apporter une solution durable.
La première fois qu’ils ont marché, c’était en 1990 pour l’obtention de l’institution d’un Barreau. 29 ans après, les avocats du Burkina, c’est d’eux qu’il s’agit, ont encore battu le pavé ce lundi 29 avril 2019. Et à entendre les initiateurs de cette marche silencieuse, c’est la situation « exceptionnelle » qui a nécessité ce mouvement. «La manifestation de ce jour restera gravée sans doute dans les annales, tant il est vrai que de mémoire d’avocats, elle est la deuxième du genre dans l’histoire de notre Barreau. Il urge de relever tout de suite et d’emblée qu’elle est commandée par une situation tout aussi exceptionnelle que traverse le système judiciaire burkinabè », a d’emblée relevé Me Paulin Salambéré, Bâtonnier de l’Ordre des avocats avant d’égrener un long chapelet de problèmes au niveau du département des Droits humains et de la promotion civique tout au long de 2018-2019. « En somme il y a, à ce jour, 808 prévenus détenus attendent d’être jugés. 1 640 inculpés détenus dont les dossiers sont dans des cabinets en instruction et 3 641 condamnés emprisonnés dont l’application des peines est sans doute entravée par ce dysfonctionnement. Il faut avoir le courage de dire, in fine, que la Justice pénale, cette année a été entravée par ce dysfonctionnement. Enfin, depuis le 19 avril 2019, les seuls pans qui fonctionnent connaissent un blocage à leurs tours. Il n’y a donc plus d’audience quelconque devant la justice burkinabè dans sa composition administrative, commerciale, sociale, civile, d’urgence, d’exécution, de référés etc. Même les actes administratifs accomplis par les juridictions ne le sont plus, tels les casiers judiciaires, les certificats de nationalité, les enrôlements, les déclarations d’appel, les déclarations de pourvoi etc… », a t-il ainsi peint en noir le tableau judiciaire. Et la liste « noire » n’est pas loin de s’arrêter. Me Salembéré, a en effet souligné, en plus, la non-tenue des audiences de flagrants délits, de celles des cotations (accidents et infractions diverses), l’impossibilité d’effectuer les interrogatoires dans les cabinets des juges d’instruction compte tenu à la fois de l’impossibilité de déférer les personnes soupçonnées et d’extraire les inculpés détenus, l’impossibilité matérielle pour les détenus de bénéficier des visites de leurs parents, de leurs proches, de leur conseils et inversement.
Selon le porte-parole des hommes en robe noire, «ce blocage complet et entier est expliqué par un conflit qui oppose le corps de la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP) à l’Etat depuis octobre 2018 d’une part, et les fonctionnaires du corps des greffiers depuis le 19 avril 2019 d’autre part ».
Face à tous ces griefs qu’ils ont dénoncé haut et fort, les avocats ont attiré l’attention sur l’urgence à prendre en charge la question du bon fonctionnement de la Justice. Aussi, ont-ils invité l’Etat « à mettre fin sans délai et sans désemparer à toute violation des droits humains découlant du blocage de l’institution judiciaire ».
Venus soutenir leur jeunes confrères, les anciens Bâtonniers du Burkina, par la voix de leur représentante, Me Antoinette Ouédraogo, ont aussi relevé la gravité de la situation. « Nous manquerions gravement à notre devoir individuel et collectif s’il venait à nous de manquer le courage de vous le dire, au besoin vous le répéter, que le dysfonctionnement du service public de la justice est la plus grande menace qui pèse sur notre pays ».
A cet effet, le Barreau du Burkina Faso a prévenu qu’il n’hésitera pas à initier des actions aux plans interafricain et communautaire « pour mettre l’Etat face à sa responsabilité et que les avocats restent mobilisés pour obtenir la résolution de ce blocage par d’autres actions », a déclaré Me Salambéré.
A la fin de la marche, un mémorandum a été remis au ministre de la Justice. Son directeur de cabinet, Issa Fayama, qui a reçu ledit document a promis de le transmettre à son destinataire.