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Projet d’aménagement de la gare Ouaga-inter : Un déguerpissement qui divise

Publié le jeudi 4 avril 2019  |  Le Pays
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© Autre presse par D.R
Une maison démolie à Koudougou
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« Dans le cadre de la mise en œuvre du Projet de développement durable de Ouagadougou (PDDO), il est prévu des travaux d’aménagement de la gare routière Ouaga-Inter. En prélude au démarrage imminent des travaux, le maire de la Commune de Ouagadougou a l’honneur de porter à la connaissance du public, en particulier, les transporteurs, commerçants, usagers et riverains de la gare routière Ouaga-Inter, que la date limite pour la libération des emprises dédiées aux travaux est fixée au vendredi 5 avril 2019 délai de rigueur. A cet effet, le maire invite l’ensemble des acteurs concernés à prendre les dispositions idoines pour le respect strict de cette disposition. Le maire sait compter sur la compréhension et la collaboration de tous ». A 48 heures de l’expiration du délai, nous nous sommes rendus sur les lieux, à la gare Ouaga-Inter pour voir l’ambiance qui y règne.

Le 5 avril 2019, c’est dans deux jours. Ainsi, dans 48 heures, ce sera la fin de l’ultimatum lancé par le maire de la commune de Ouagadougou, Armand Roland Pierre Béouindé, aux transporteurs, commerçants, usagers et autres riverains de la gare routière Ouaga-Inter, à Ouagadougou. Ces derniers doivent déloger pour permettre, selon le communiqué du bourgmestre de la capitale, le démarrage de travaux dans le cadre de la mise en œuvre du Projet de développement durable de Ouagadougou (PDDO). En cette matinée du 2 avril 2019, le soleil s’est levé comme toutes les autres fois. A 9h, les boutiques sont déjà ouvertes à Ouaga-Inter. En attendant les premiers clients, chacun essaie de s’acheter de quoi assurer le « petit dèj… ». Et c’est à ce même moment que nous débarquons sur les lieux. Rien n’indique, ici, que l’atmosphère est trouble. Mais il suffit d’enclencher le débat pour réaliser que l’apparence est trompeuse. En effet, les premiers interlocuteurs sont dans l’offensive dès que l’on aborde la question de déguerpissement dont le compte à rebours a commencé. L’on a vite compris, l’ambiance est pesante et les langues sont prêtes à se délier. Judicaël Nanéma est un jeune commerçant de téléphones portables. Au début de son propos, le ton est calme mais sa voix va s’élever au fur à mesure que les mots et les phrases s’enchaînent. « On a reçu une circulaire du maire, il y a 18 jours, nous indiquant de quitter les lieux (côté gare routière et côté CCVA) d’ici le 5 avril prochain. Or, dans les négociations, le CCVA n’était pas concerné par le déguerpissement. Il était prévu également un lieu de relogement des personnes affectées par l’opération. Il s’agit notamment de 235 personnes, côté gare routière, et de 42 autres personnes du côté du CCVA. Nous avons reçu la circulaire mais nous ne savons pas où aller », a-t-il dit. Selon notre premier interlocuteur, entouré de plusieurs autres collègues, les conditions de déguerpissement « ne les arrangent pas ». « Nous allons ramasser nos affaires pour aller où ? », s’interroge-t-il. Dans tous les cas, a-t-il ajouté, « nous attendons » avant d’insister : « si c’est par la force qu’on compte nous déloger d’ici, nous ne pouvons qu’attendre. Nous concernant, nous ne sommes pas des partisans de la confrontation ni de la brutalité». Tout comme les autres, il a peur de voir des bulldozers et autres engins lourds venir broyer sa boutique contenant ses affaires. « Que feront ces commerçants qui ont contracté des prêts auprès des banques pour mener leurs affaires ? Que feront ces commerçants qui sont allés en Chine acheter du matériel qu’ils ont entassé dans leurs boutiques, ici à Ouaga-Inter » ? « Que ferons-nous de nos familles dont nous avons la charge ?», a lancé le jeune Nanéma qui nous demande expressément de les transmettre sous forme de messages au maire de la commune de Ouagadougou. Alors que les échanges avec Judicaël Nanéma se poursuivaient, l’on nous informe de la présence des responsables des commerçants sur les lieux.

L’introuvable lieu de relogement

Ces responsables ne sont autres que Mahamoudou K. Koama, le président de l’Organisation syndicale des commerçants du Burkina (OSCB), et Jean-Baptiste Zoungrana, président de l’Association Zeems-Taaba des commerçants de la gare Ouaga-Inter. Parmi les deux, le premier est plus loquace. « La mesure de faire déguerpir les commerçants de ce lieu ne nous a pas surpris, mais les mesures d’accompagnement ne sont pas au rendez-vous. Le projet de construction de la gare Ouaga-Inter date de plus de trois ans. C’est un bon projet et nous sommes d’accord pour sa mise en œuvre », a-t-il dit pour camper le décor. Et d’apporter un bémol : « Seulement les conditions dans lesquelles ce projet va être mis en place posent problème. En termes de mesure d’accompagnement, il faut trouver un endroit pour reloger les déguerpis, notamment ceux qui sont dans la gare et ceux qui gravitent autour de cette gare ». Le problème ? C’est que le lieu recherché semble introuvable. Pour le moment en tout cas. « Je pense que la mairie est en train de s’atteler pour trouver un endroit pour les personnes affectées. Nous aussi, nous nous battons pour trouver une solution à la situation. Nous sommes en train de négocier avec le maire de l’arrondissement 5 notamment pour qu’il nous trouve un espace. Dans les discussions, la mairie nous a informés de l’existence d’un site pour accueillir les personnes affectées, mais ce site ne peut pas accueillir tout le monde. Il a été aménagé juste pour les transporteurs et non pour les commerçants qui gravitent autour de la gare », a fait constater M. Koama pour qui les commerçants ne s’opposent nullement à un départ, mais des conditions doivent être réunies. Jean-Baptiste Zoungrana, lui, rapporte que selon les dires du maire Béouindé, « Ouagadougou est saturée ». Que faut-il comprendre là ? Simplement qu’il n’y a pas d’espace pour reloger les personnes à déguerpir. Des prospections ont été faites aux arrondissements 5 et 12 mais, à notre passage, le problème d’espace reste sans solution. Dans cette gare aux multiples acteurs, tout le monde n’a pas la même vision dans cette opération de déguerpissement en vue. « Il y a plusieurs catégories d’acteurs dans cet endroit. Ici, l’on compte les transporteurs, les commerçants de bétail, de volaille, les femmes qui ont aussi leur marché. On ne nous dit pas qui sont ceux qui sont concernés par le déguerpissement. Mais dans les propos, nous nous rendons compte que des gens veulent profiter de la situation pour chasser beaucoup de commerçants et les remplacer par leurs hommes », nous rappelle Karim Bikienga, un commerçant d’aliments pour bétail.

Pas de place pour les camions « 10 tonnes » sur le site

Le commerçant d’aliment pour bétail en veut au pouvoir en place : « On dit qu’il n’y a pas d’espace pour reloger les gens et on leur demande de se débrouiller. Nous sommes en démocratie et je pense que les gens ne peuvent pas être chassés de force. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui doivent savoir qu’ils doivent leur pouvoir à la mort d’innocentes personnes dans ce pays depuis 2014. C’est la population qui a chassé Blaise Compaoré pour leur permettre d’être là. Les autorités ne doivent pas traiter les populations comme des animaux. Elles doivent savoir raison garder. Si les autorités veulent nous chasser de force sans nous avoir trouvé un autre endroit où aller, nous les maudissons. Dieu fera notre bagarre. Il faut que le maire vienne nous dire la vérité. Nous ne sommes pas des délinquants ». Issaka Zongo, chauffeur, fait constater que dans les discussions, le maire oublie les « petites gens ». « Il ne discute qu’avec les patrons dans les bureaux climatisés. Or, c’est nous qui sommes sur le terrain », ajoute-t-il. D’après nos interlocuteurs, seul le sort des transporteurs semble préoccuper l’autorité communale. Même là, le site en aménagement pour les transporteurs n’est pas prêt et paraît trop restreint pour accueillir tous les véhicules. « L’espace ne contient même pas 60 véhicules », renseigne M. Zongo pour qui les camions « 10 tonnes » n’y ont pas leur place. Les transporteurs réclament donc une réserve supplémentaire pour stationner leurs véhicules. En attendant la suite de leurs doléances, chacun attend la date du 5 avril prochain. « On fera face à la situation », nous rassure un des commerçants qui exclut toute résistance face à l’autorité. Toutefois, l’on n’envisage pas un départ dans 48 heures. « A l’heure actuelle, nous nous demandons si le délai du 5 avril peut tenir. Nous pensons qu’il faut repousser la date pour trouver une solution aux problèmes posés. Dans ce sens, on attend toujours le mot de la mairie et des gens du projet. A 48 heures de l’expiration de l’ultimatum, nous ne sommes pas sûrs que la mairie et le projet soient prêts à mener cette opération de déguerpissement. Ils ne peuvent pas venir le 5 avril matin nous dire qu’ils ont fini d’aménager le site », a conclu M. Koama. Toujours est-il que pour certains membres de l’OTRAF, comme le vieux Abdoulaye Sanga, « tous ceux qui vont refuser de quitter les lieux sont des voleurs ». Pour lui, il reviendra à l’autorité « de régler leur cas ». En fait, pendant que les uns attendent de voir le sort qui leur sera réservé le vendredi prochain, les autres commencent à décoiffer les toits de leurs boutiques. Ainsi, tout le monde ne parle pas le même langage dans cette affaire.
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