A l’audience du 27 mars 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou, 40 écoutes sonores du général Diendéré ont été diffusés. Dans ces éléments, certaines personnes l’incitaient à un affrontement entre frères d’armes.
Le 27 mars 2019, quatre séries de 10 appels téléphoniques ont été diffusés à l’audience du procès du putsch manqué. Certes, la plupart ne sont que des appels de soutien, mais d’autres éléments démontrent, d’une part, la complicité qui existait entre les généraux Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé dans l’exécution du coup de force et, d’autre part, avec le général ivoirien, Bakayoko. Celui-ci aurait incité Diendéré à ne pas lâcher prise et même à user de la force si nécessaire. Ces éléments sonores proviennent de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Sénégal, de la Mauritanie et du Maroc. Dans un appel venant du Togo, «Golf» expliquait à son interlocuteur que le camp Naaba koom II a été pilonné. «Très certainement, il y aurait des morts», a-t-il confirmé.
L’élément suivant est un appel de Sidi Lamine Oumar par rapport au désarment de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Réponse du général : «on leur permet d’enlever un peu. Une manière de faire perdre du temps. D’ailleurs, ces armes sont celles des autres garnisons stockées ici». Et au ministère public de faire observer : «certains soldats et même des officiers s’y opposaient. Ils rusaient dans le cadre du désarmement». Pour lui, contrairement à ce que le général a déclaré à la barre, il n’avait pas l’intention de remettre le pouvoir. Cela prouve qu’il s’opposait aux processus de désarmement.
Un autre élément sonore entre le général et le colonel Bamba Mamadou prouve qu’il y a bel et bien eu l’envoi d’une somme d’argent à ce dernier. En effet, il s’agissait de 10 millions F CFA que devaient se partager les colonels Bamba et Abdoul Karim Traoré, aux dires du parquet. «Laquelle somme que l’accusé a refusé de reconnaître lors de sa déposition comme étant sa paie pour service rendu», a indiqué le procureur militaire. Appelé à la barre, le colonel Bamba a reconnu avoir reçu ce coup de fil du général Diendéré. Une attitude que le parquet et la partie civile ont félicitée. Toujours dans la diffusion des appels, deux communications entre Diendéré et dame Thérèse Fatoumata Diawara ont attiré l’attention du tribunal.
La première informait Diendéré de l’arrestation de Bassolé. Et Dame Diawara se demandait alors comment trouver les 40 millions F CFA qu’elle devrait aller chercher chez Bassolé pour galvaniser la troupe. A ce propos, le parquet a dénoncé une complicité entre ce trio, et pourtant M. Bassolé avait déclaré à la barre n’être pas mêlé à ce coup d’Etat manqué car au moment des faits, il se serait retranché à Koudougou.
Les conseils de Bakayoko à «Golf»
Et Me Hervé Kam de la partie civile de renchérir qu’il y a de façon évidente, une triangulation entre le général Diendéré, Bassolé et dame Diawara. Sinon, a-t-il affirmé, pourquoi Diendéré s’est exclamé : «Ça sera compliqué pour la suite», après avoir reçu l’information sur l’arrestation de Bassolé ? Le second appel a consisté à informer «Delta» (nom de Diendéré au téléphone) que la somme sollicitée a été obtenue. «Comment allez-vous faire pour amener l’argent au camp ?», s’est demandé le général. Et Mme Diawara de le rassurer qu’il y aurait des éléments de la gendarmerie acquis à leur cause et qui vont les escorter jusqu’au camp. Un autre élément important est l’appel émis par un certain Soumahoro de la Côte d’Ivoire dans lequel le général Bakayoko prodiguait des conseils à «Golf». Celui-ci l’a invité à créer des incidents afin d’avoir l’avantage, car pour lui «lorsqu’un militaire est coincé, il n’y a pas d’autres solutions que de sortir avec une force sinon la situation sera pire», a conféré l’interlocuteur. A l’entendre, Diendéré devait «tenir la zone sans esprit de recul».
Mieux, Soumahoro a suggéré de simuler des attaques. Pour le parquet, il s’agit d’une forme d’ingérence dans la gestion d’un autre Etat. «La solution était donc l’affrontement entre les frères d’armes. Fort heureusement, l’apocalypse n’a pas eu lieu», a-t-il précisé. Les accusés Diendéré, Diawara et Sidi Lamine ont refusé de reconnaître les pièces à conviction présentées. «Je vois que le parquet a sa conviction et je ne peux qu’accepter et assumer ces faits», a relevé Sidi Lamine. Pour Me Kam, même face à l’évidence, le général continue de se murer dans la dénégation. «Ces écoutes montrent que les éléments du RSP qui refusaient le désarmement, n’étaient pas tant indisciplinés, ils obéissaient à des ordres illégaux», a-t-il souligné. «Peut-on faire de la manipulation face à ces preuves évidentes ?», s’est interrogé Me Séraphin Somé. «Non. Mais, lorsqu’un accusé fait preuve de repentir sincère, il pourrait bénéficier de circonstances atténuantes au moment de statuer», a observé l’avocat. Mais pour la défense, ce ne sont que des éléments sonores qui prouvent en rien la culpabilité de leurs clients. «Nous avons entendu une voix féminine mais rien ne nous permet de dire de qui s’agit-il. Nous sommes en droit et en droit on prouve et on démontre ces arguments», a expliqué Me Latif Dabo.
Inculper Ismaël Diendéré ?
Dans l’après-midi, le parquet militaire a encore fait diffuser des conversations téléphoniques effectuées entre le 25 et le 29 septembre 2015. Ces appels ont été émis entre l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, et le Général Diendéré, «Golf» et son fils Ismaël Diendéré et les généraux Djibrill Bassolé et Diendéré. Dans le premier élément sonore, M. Soro a parlé d’une possibilité d’ouvrir un front au Nord du Burkina Faso en vue de paniquer l’armée et de l’appui d’un patron du RPC (NDLR, Régiment parachutiste commando) de Bobo Dioulasso. Quant à Diendéré-fils, il apportait son soutien à son papa, tout en lui donnant la position des troupes de l’armée et en l’incitant à la résistance.
«Vos éléments ne vont pas sortir prendre des positions ?», a demandé le fils au père pour exprimer ses inquiétudes par rapport aux unités de l’armée qui voulaient prendre d’assaut le camp Naaba Koom II, le 29 septembre 2015. Mais Diendéré a répondu que ses «enfants» ont pris l’argent et déserté le camp. Dans l’un des appels, le Gal Bassolé a évoqué la constitution d’un club de soutien à Diendéré et l’a informé de la présence d’une troupe à Boromo en direction de Ouagadougou. Selon le parquet, personne ne peut inventer ces éléments sonores. A l’entendre, si Diendéré n’est pas allé jusqu’au bout, c’est parce qu’il a été abandonné par ses «hommes» et cela grâce aux frappes d’artillerie.
Sur les différentes conversations, «Golf» a dit n’avoir pas d’observations à faire. Au regard des faits, Me Séraphin Somé de la partie civile a soutenu qu’on aurait dû inculper Ismaël Diendéré et même des non Burkinabè. De l’avis de Me Dabo, le parquet cherche seulement des éléments à charge vis-à-vis de son client alors que celui-ci a soutenu dans l’audio que même si le camp n’avait pas été pilonné, il allait le quitter. L’audience reprend le vendredi 29 mars à 9h.