Au deuxième jour de son témoignage devant le tribunal militaire de Ouagadougou, le lundi 25 février 2019, l’ex-Chef d’état-major général des armées (CEMGA), le général Pingrenoma Zagré, a réaffirmé que la hiérarchie militaire n’a jamais cautionné le putsch de 2015. Il a, de ce fait, demandé au général Gilbert Diendéré d’assumer la responsabilité de ses actes.
Les débats se sont encore focalisés le 25 février 2019 au tribunal militaire, sur le soutien ou non de la hiérarchie militaire aux putschistes. Me Prosper Farama de la partie civile s’est demandé s’il n’y a pas eu de dysfonctionnement dans le commandement général de l’armée pour qu’on en arrive à un putsch. Car, pour lui, le général Diendéré a toujours clamé qu’il a eu un accompagnement de l’armée, notamment la mise à sa disposition d’un hélicoptère pour une mission.
Insistant qu’il n’a jamais donné d’ordre dans ce sens, l’ex-CEMGA le Gal Pingrenoma Zagré a soutenu que le Gal Diendéré le contournait pour donner des instructions à certains chefs militaires. «C’est une usurpation de rôle et de fonction», a-t-il relevé. Estimant qu’il n’y a pas eu de dysfonctionnement dans le commandement, le témoin a déclaré que le sang-froid qu’il a eu lors du coup d’Etat faisait partie de sa stratégie qui, pour lui, est un art. Et ce, pour éviter le chaos au pays. « Nous avons accompli notre mission car, la Transition s’est poursuivie », s’est-il réjoui.
Par rapport aux propos du Gal Diendéré sur la télévision France 24 selon lesquels l’armée est derrière lui, l’ambassadeur Zagré a qualifié cela de forfaiture. Pour lui, en tant que général, Diendéré doit assumer ses actes. «On reconnaît un arbre par ses fruits et un homme par ses œuvres», a opiné l’ex-CEMGA.
L’armée a-t-elle attenté à la vie de Gal Diendéré au moment de l’assaut du camp Naaba Koom II comme il l’a affirmé ? A cette préoccupation de Me Farama, le témoin a répondu par la négative. Selon ses explications, Diendéré l’a appelé tout paniqué, le 29 septembre et il l’ a rassuré que rien n’allait lui arriver et qu’il n’y avait aucune intention de faire des morts au camp.
Une armée dans l’armée
D’ailleurs, a-t-il ajouté, les tirs effectués sur le camp ont été des tirs de dissuasion qui n’ont fait aucune perte en vie humaine. A l’écouter, une campagne de démobilisation a été au préalable menée avec le concours de l’accusé, le commandant Aziz Korogo pour inciter les éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) à quitter le camp et éviter l’affrontement.
Alors que pour l’avocat Farama, des officiers ont soutenu à la barre que si la hiérarchie militaire avait produit un communiqué clair leur demandant de quitter le camp, ils allaient s’exécuter. Et que par conséquent, ils y étaient parce que c’est leur lieu de travail et non pour soutenir Diendéré. Pour le témoin Zagré, la position de la hiérarchie militaire contre « la forfaiture » était connue dès le 16 septembre.
Mais le Gal Diendéré est formel en rappelant que quand il se rendait à la Nonciature, un bastion a tiré sur lui, avant de déduire qu’il y avait une volonté de le faire disparaître. Réagissant également aux propos de Diendéré selon lesquels les responsables de l’armée n’ont pas su gérer les crises internes à l’ex-RSP, l’ex-CEMGA a fait savoir qu’il n’avait aucune influence sur ce corps qui, pour lui, était une armée dans l’armée.
«Ce corps n’était pas subordonné à moi. Je ne contrôlais pas son matériel ni son budget. C’était une entité à part », a-t-il indiqué. L’ambassadeur a ajouté qu’il a même vu du matériel au camp Naaba Koom II qu’il n’avait jamais vu auparavant. Pour lui, le Gal Diendéré ne peut pas dire qu’il n’avait aucun commandement lors du putsch car, ce corps était sous son contrôle. Mieux, il avait même une influence morale sur l’ex-RSP.
Pourquoi le Gal Diendéré qui a reconnu avoir assumé le coup d’Etat n’a pas été sanctionné sur le plan disciplinaire ? A cette question de Me Farama, l’ex-CEMGA a rétorqué que vu le contexte dans lequel le pays était, le choix a été fait de porter l’affaire en justice.
«Je n’ai jamais été chef de corps du RSP»
Pour sa part, le général Diendéré a dit être étonné de la manière dont il est traité par le témoin Zagré. A son avis, celui-ci parle comme s’il y avait un problème particulier ou une haine entre eux.
Diendéré a fait savoir que depuis la création du RSP en 1995, il n’a jamais été chef de ce corps mais plutôt chef d’Etat-major particulier de la Présidence du Faso. Prenant le contrepied, il a fait observer que si l’ex-CEMGA n’avait pas d’autorité sur ce corps qui appartenait à l’armée, il n’avait qu’à démissionner. A l’écouter, si le témoin avait eu cette vigueur qu’il utilise aujourd’hui pour parler à la barre, on n’en serait pas là. « Entre le 16 et le 21 septembre, je n’ai jamais senti une opposition quelconque venant de la hiérarchie militaire », a souligné Diendéré.
Il a demandé à l’ex-CEMGA d’assumer lui aussi ses responsabilités en acceptant qu’il a assuré le maintien de l’ordre, donné un hélico et accompagné sa délégation à l’aéroport. Ce qui, à ses yeux, constitue des actes de complicité. Réfutant la version du témoin, selon laquelle il ne fait pas la politique, Me Latif Dabo de la défense, a soutenu que le Conseil national de la Transition (CNT) était un organe politique auquel ont pris part des militaires mandatés par la hiérarchie militaire. Pour lui, ces militaires ont aussi voté la loi dite « Chérif » qui excluait des personnes politiques des élections.