Sujet à débat sans fin (SDF), la question du Sénat est revenue au devant de la scène via la sortie du président du Faso, le 12 août 2013, par communiqué interposé. S'agira-t-il simplement de supprimer l'institution ou de l'amender ? Si oui, qui est habilité à le faire et comment ? Nous avons posé toutes ces questions à un constitutionnaliste, en l'occurence le professeur Abdoulaye Soma, par ailleurs président de la Société burkinabè du droit constitutionnel (SBDC) qui éclaire notre lanterne.
Quelle appréciation faites-vous de la mise en place du Sénat ?
• On sait que la révision constitutionnelle du 11 juin 2012 a mis en place le Sénat et que les premiers actes d'opérationnalisation du Sénat sont en branle : je pense à l'élection des sénateurs représentant les régions, et ceux des Burkinabè de l'extérieur. On doit constater que le Sénat est en train d'être mis en œuvre. Mais, avec le communiqué du chef de l'Etat en date du 12 août dernier, se pose à présent l'avenir de ce Sénat !
Le Sénat a été constitutionnalisé le 11 juin 2012, la loi organique y relative a été votée le 21 mai 2013. Est-ce un processus irréversible ?
• Rien n'est irréversible en droit constitutionnel. Le Sénat a été constitutionnalisé, il est en train d'être mis en place, on a constaté même certaines difficultés dans cette mise en place. Mais on peut revenir sur un certain nombre de choses.
Mais pour revenir sur ces choses, il faudrait déjà qu'on révise la Constitution, puisque le Sénat est à présent cristallisé dans le marbre de la Constitution. Il faudra donc toucher à la Constitution pour revenir sur ces choses-là.
Justement pour toucher à cette Constitution, il faut maintenant le Parlement réuni en congrès, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat, puisque le Burkina est désormais bicaméral. Or, la IIe Chambre n'est pas encore effective. Que faire ?
• Vous touchez là à un véritable problème de la révision constitutionnelle de 2012 qui fait qu'on n'a pas prévu de dispositions transitoires y relatives. C'est un problème majeur, mais qui n'est pas insurmontable, dans la mesure où en droit constitutionnel (institutionnel), un organe nouvellement créé dans le paysage institutionnel ne prend sa place et ne joue son rôle que lorsqu'il a été opérationnalisé.
A partir du moment où le Sénat n'est pas dans ce cas, on ne peut pas faire de cela un blocage dans le fonctionnement des institutions.
Quel est l'artifice que le Conseil constitutionnel peut trouver pour parer à ce vide juridique ?
• L'artifice doit être d'abord trouvé par le pouvoir ; c'est au pouvoir politique de proposer des solutions. Evidemment quand vous évoquez le Conseil constitutionnel, moi je suis très intéressé puisque dans la révision constitutionnelle on a prévu que le Conseil constitutionnel peut s'autosaisir.
C'est une question constitutionnelle majeure. On peut imaginer que le Conseil constitutionnel s'autosaisisse sur la question de savoir quelle est la portée de l'absence d'une disposition transitoire. Et en ce moment, le Conseil peut nous donner un avis qui va déterminer le fonctionnement de nos institutions.
Mais à mon sens, le Conseil devrait aller dans la direction que nous avons déjà indiquée. A savoir que si on interprète l'absence des dispositions transitoires dans le sens que rien ne peut fonctionner sans le Sénat, évidemment, il n'y a plus d'institutions valables. Donc, il faut trouver une solution qui ne bloque pas tout.
Donc aujourd'hui on peut suspendre la mise en application du Sénat ?
• Non, on ne peut pas purement et simplement suspendre ! Suspendre est effectivement le terme que l'on pourrait utiliser. Mais seul le pouvoir politique est habilité à le faire. C'est le pouvoir politique qui organise les élections, les désignations ; il peut ne pas déférer à toutes ces opérations et le processus sera suspendu.
Mais si on veut gérer autrement la question, soit dans le sens de la suppression, soit dans le sens de la modification, pour rendre le Sénat par exemple plus démocratique, il faudrait réviser la Constitution. Il faudrait par exemple pouvoir dire qu'en l'absence du Sénat, l'Assemblée nationale est compétente pour statuer.
Dans ce débat sur le Sénat, il y a les pro et les anti- Sénat, chacun a ses arguments qui valent ce qu'ils valent. Mais pour vous le constitutionnaliste, quel est l'apport d'un Sénat dans la démocratie burkinabè ?
• Je me suis déjà exprimé sur la question. La question doit d'ailleurs être nuancée. Et dans le contexte actuel, les deux camps se sont extrêmement radicalisés et c'est mauvais pour la démocratie. Pour moi, voilà comment se pose le débat : Est-ce qu'un Sénat peut être utile à notre démocratie ? Eh bien, cette question doit être prise dans deux sens : premièrement, est-ce que théoriquement, un Sénat peut avoir des apports pour notre démocratie ? Et deuxièmement : est-ce que le Sénat qu'on a institué dans notre Constitution peut apporter quelque chose à notre démocratie ?
A la première question, je répondrai Oui. Théoriquement un Sénat peut apporter quelque chose à notre démocratie, parce que si on avait un Sénat bien fait, il permettrait de combler les lacunes de l'Assemblée nationale, notamment la politisation des débats et la prévisibilité des conclusions. Quand une question se pose à l'Assemblée nationale, on a la position de la majorité, et celle de l'opposition, mais on sait qu'il y aura des discussions, un vote, et ce vote ira dans le sens de la majorité.
C'est très caricatural, il n'y a pas d'indétermination. Alors que si on avait un Sénat, qui a une composition qui outrepasse les clivages politiques et partisans, qui représente la société, les enseignants, les forces de sécurité, le personnel de santé, la jeunesse, les femmes... bref des gens qui sont là pour défendre les intérêts sociaux de leurs corporations, on aurait d'autres types de débats et l'intervention de toutes ces composantes permettrait de prendre en compte les préoccupations des différentes catégories représentées dans l'œuvre législative. Dans ce sens, on peut soutenir qu'un Sénat peut apporter quelque chose. C'est pourquoi aujourd'hui, on ne peut pas être contre le principe de l'inscription d'un Sénat au Burkina Faso.
Par contre, on doit admettre que le Sénat, tel qu'il a été institué au Burkina Faso, ne permettrait pas d'atteindre certains résultats et consolider notre démocratie, pour deux raisons : d'abord sa composition. On sait que ce sont en premier lieu des politiciens puisqu'il fallait être un conseiller municipal, donc affilié à un parti politique, pour être élu Sénateur. Ensuite, il y a ceux qui devraient être nommés par le chef de l'Etat. A ce niveau également il y a problème, car ils seront teintés politiquement, même s'il va les chercher dans des sphères qui ne sont pas politisés, car le fait que ce soit le chef de l'Etat qui les nomme, il y a comme un devoir de gratitude qu'on doit à l'autorité de nomination. Donc dans le Sénat actuel, on aura 3/4 des Sénateurs qui seront marqués politiquement.
En ce moment, ils ne peuvent plus répondre à l'apport attendu pour le débat apolitique. Enfin, il y a la question de la jeunesse, de l'âge des sénateurs qui n'est pas cohérente : 45 ans. En France, ç'aurait été plus justifié. Au Burkina Faso, les moins de 45 ans valent 80% de la population et ces 80% sont représentés partout dans la société burkinabè. Si on parle de décision démocratique, c'est celle qui est prise conformément aux vœux de la population. Si on prend une décision qui ne tient pas compte de cette majorité, cette décision n'est pas démocratique.
Que peut-on attendre des travaux du comité de suivi qui doit remettre son rapport au chef de l'Etat le 31 août prochain ?
• Je pense que les travaux vont tendre à viser une position intermédiaire, non pas la suppression totale du Sénat, mais non pas non plus le maintien du Sénat en l'état. J'ai l'impression que les travaux vont tendre à la modification de la composition du Sénat, de son format, notamment le nombre de sénateurs et les catégories représentées. Et sur ces questions, je ne vais pas m'aventurer, je ne suis pas un charlatan constitutionnel, je suis un technicien du droit constitutionnel chargé de dire ce qui peut être, comment on peut réparer les choses en droit constitutionnel, et non pas de prévoir le comportement des acteurs politiques.
Interview réalisée par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana