Les avocats de la défense ont travaillé à décrédibiliser le témoignage de l’ancien président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), Mathurin Bako, à la reprise de l’audience du procès du putsch, le mardi 12 février 2019 au tribunal militaire. En plus de lui, les témoins Seydou Yao, technicien supérieur de communication à l’ARCEP et le capitaine Cuthbert Somda ont également donné leur version des faits.
Les contradictions contenues dans les déclarations de Mathurin Bako, notamment à propos de l’heure à laquelle le général Gilbert Diendéré l’aurait appelé à l’occasion du putsch de septembre 2015, ont été longuement débattues par les avocats de la défense. Au deuxième jour de sa comparution à la barre, le 12 février 2019, l’ancien président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a vu ses certitudes remises en doute, au point de s’entendre dire que son témoignage n’était pas crédible.
En cause, le jour et l’heure auxquelles il a reçu l’appel du général Diendéré et le jour où la radio de la résistance a été localisée. Il avait soutenu avoir été appelé par le général Gilbert Diendéré, le 16 septembre 2015 entre 20h et 20h30, et que la radio de la résistance aurait été localisée le lendemain 17 septembre. Le témoin a maintenu les mêmes déclarations et s’est montré formel sur les précisions de date et d’heure. Il ajoutera des détails pour démontrer que ses certitudes sont fondées.
Dans son élan de rappeler les faits avec détails, il n’est pas parvenu à se souvenir des références de la loi définissant les conditions pour couper la fréquence d’une radio émettant illégalement, conditions qu’il dit avoir expliquées au colonel Mahamady Deka. Mathurin Bako admettra en cela qu’il a des « trous de mémoire ». Me Olivier Yelkouni, membre du conseil du général Diendéré va d’abord faire remarquer à l’accusé que des déclarations d’autres inculpés, le colonel Mahamadi Deka, le sergent-chef Mahamado Bouda, le sergent Amidou Pagabelem et du témoin Seydou Yao sont contradictoires. Mathurin Bako restera formel sur ses souvenirs.
« Donc Seydou Yao, Mahamady Deka, Mahamado Bouda, Amidou Pagabelem se sont trompés. M. Bako, est-ce que vous ne vous êtes pas trompé ? », lui demandera l’avocat Yelkouni. « Maître, c’est vrai que j’ai pris de l’âge, mais mon cerveau continue de travailler à 99%. Je confirme que c’était le 17, non le 18, ni le 19 septembre », insistera le témoin. Le général Diendéré a réfuté avoir émis un appel le 16 septembre de 17h jusqu’à tard dans la nuit, parce qu’il était en réunion au ministère de la Défense nationale et des Anciens combattants.
L’avocat a confirmé cette thèse en se basant sur les procès-verbaux d’interrogatoires du secrétaire général dudit ministère, Alassane Moné et de l’ancien président burkinabè, Jean-Baptiste Ouédraogo. Son confrère, Me Latif Dabo, a renchéri avec les contradictions en confrontant l’accusé à ses propres déclarations contenues dans son procès-verbal d’audition par la gendarmerie, dans lequel il a affirmé que l’appel du général est intervenu à 22h15, le 16 septembre. Mathurin Bako s’est dit surpris par cette autre déclaration qui lui est prêtée et a maintenu l’intervalle horaire 20h-20h30.
Vendredi noir pour M. Yao
Un autre avocat de la défense, Me Tougma a aussi surfé sur les déclarations divergentes. « Confirmez-vous avoir des trous de mémoire ? », a-t-il demandé au témoin. « Avec l’âge ça arrive à tout le monde. J’ai des trous de mémoire », a admis celui-ci. Et l’avocat de saisir la perche : « Je me demande si votre témoignage peut encore être crédible aux yeux du tribunal ».
Le second témoin appelé à la barre est le technicien, Seydou Yao. En effet, il a affirmé formellement que c’est le vendredi 18 septembre que les recherches ont été menées pour détecter la radio de la résistance. Il se souvient de ce jour comme d’un « vendredi noir » pour lui, car il a beaucoup craint pour sa vie. « J’ai été persécuté et torturé », a-t-il déclaré.
Pour Me Timothée Zongo de la défense, le témoin Seydou Yao a utilisé des mots forts du genre « j’ai été très choqué par l’évènement et je suis toujours sous le choc » ou « les militaires sont venus faire du cafouillage à la radio savane FM », pour faire sa déposition à la barre. « J’allais préférer qu’il modère ces propos, car cela montre qu’il est toujours en colère contre les accusés par conséquent sa déposition n’est pas crédible », a –t-il fait observé. Mais pour celui-ci, il n’a fait que décrire une situation qu’il a vécue. C’est pourquoi, il a souhaité que justice soit rendue.
Du rôle de la hiérarchie militaire
A sa suite c’était au tour du capitaine Cuthbert Somda de faire sa déposition. Dans son témoignage, il a expliqué avoir reçu un appel d’un de ses subalternes aux environs de 20h, le 17 septembre 2015, lui signifiant d’exécuter un ordre émanant de la présidence, alors qu’il était à la maison.
« Juste après cet appel, je reçois un coup de fil de mon supérieur hiérarchique, le commandant Koudbi Ouédraogo qui m’a informé de me préparer à effectuer une mission d’abord à Banfora, puis à Niangoloko enfin à Ouangolodougou. Il s’agissait de transporter des passagers. Alors, j’ai émis des réserves quant à franchir les frontières. Finalement, c’est le poste de péage de Yendéré qui a été retenu pour le lieu d’atterrissage », a-t-il souligné.
C’est une fois à la base pour préparer la mission que le lieutenant, Gaston Seydou Ouédraogo, est venu lui a notifié qu’il s’agissait d’une mission fret, c’est-à-dire ramener du matériel du maintien d’ordre. « Alors, nous avons décollé vers 10h et faire un escale à Bobo –Dioulasso. Arrivé sur les lieux, trois véhicules d’immatriculation ivoirienne sont arrivés avec 300kg de cargaisons de matériel. Mais je n’ai jamais su qu’il y avait une valise d’argent dans l’hélicoptère. Ce n’est que des jours après que j’ai su qu’on serait revenu avec une forte somme d’argent», a-t-il relaté.
Selon lui, l’appareil a atterri à l’héliport de la présidence où les cargaisons ont été débarquées et remis à la police et à la gendarmerie. Le témoin a, par ailleurs, soutenu qu’il n’a fait qu’exécuter une mission, qui était règlementaire. « D’ailleurs, j’ai même remis mon ordre d’opération (l’équivalent de l’ordre de mission) au commandant Ouédraogo », a-t-il indiqué. Les accusés, le colonel-major Boureima Kyéré, le lieutenant Abdoul Kadri Dianda, le capitaine Hussène Zoumbri et le capitaine Gaston Ouédraogo ont confirmé cette version des faits. Cependant, le prévenu, Gaston Ouédraogo, a émis des réserves. A l’entendre, il n’a jamais su l’objet de la mission.
Ce n’est qu’arrivé à Bobo- Dioulasso que son supérieur hiérarchique, M. Kyéré l’aurait confirmé l’objet de la mission. « Mon lieutenant, il s’agit d’une mission M.O.(matériel de maintien d’ordre) », a martelé l’accusé. Mais la défense a relevé que c’est une mission exécutée de commun accord avec la hiérarchie militaire, parce que le chef d’état-major des armées au moment des faits, Pingreonoma Zagré, a donné son accord. Alors pourquoi certains sont accusés et d’autres non ?, s’est interrogé Me Dieudonné Bonkoungou. L’audition des témoins se poursuit ce mercredi au tribunal militaire à 9h.