Pour des « raisons » socioculturelles, les Mutilations génitales féminines (MGF) continuent de sévir au Burkina Faso. Dans la province du Mouhoun, ce sont les communes de Bondokuy et de Safané qui détiennent la palme d’or de cette pratique ancestrale aux conséquences parfois néfastes pour la femme.
Les Mutilations génitales féminines (MGF) ont la peau dure au Burkina Faso, malgré les multiples campagnes de sensibilisation. Le taux de prévalence, si l’on se fie aux données du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), est de 75,8% chez les femmes âgées de 15 à 49 ans. Dans la province du Mouhoun, ce taux est de 49% avec les communes de Bondokuy et de Safané les plus touchées, selon les chiffres du sondage réalisé en 2017 par le Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE). « Malgré toutes les sensibilisations, l’excision est une pratique courante. De plus en plus, nous recevons des femmes qui ne sont pas excisées. Mais, il faut avouer qu’elles sont nombreuses, celles qui ont déjà subi cette pratique. Le phénomène est réel», reconnaît le maïeuticien d’Etat en service à la maternité du Centre hospitalier régional (CHR) de Dédougou, Issouf Boly. L’homme de droit, Benjamin Aly Coulibaly, par ailleurs procureur du Faso près le Tribunal de grande instance (TGI) de Dédougou, relate que sa juridiction enregistre, malheureusement des plaintes relatives à l’excision. « Rien qu’en 2018, nous avons connu deux cas avec trois fillettes victimes dans le premier cas et quatre dans le second », soutient-il. Connue dans le temps sur une tranche d’âge de 15 à 49 ans, cette pratique d’une autre époque, à en croire la directrice provinciale en charge de la femme du Mouhoun, Odette Méda, a pris d’autres formes au regard de son interdiction au pays des Hommes intègres. « La pratique est passée à la forme clandestine. Avant c’était la tranche d’âge de 15 à 49 ans qui était la plus concernée, mais de nos jours, dès le bas-âge on pratique déjà l’excision. En plus, les gens, parce qu’ils ne sont pas prêts à abandonner cette pratique pour des raisons socioculturelles, n’hésitent pas à franchir nos frontières ou faire venir des exciseuses d’ailleurs pour exciser leurs filles », regrette Mme Méda. L’excision, poursuit Mme Bationo, considérée dans certaines contrées comme une tradition transmise de génération en génération est devenue un gagne-pain pour ses auteurs. « C’est une pratique ancrée dans nos mœurs si fait que son éradication devient compliquée », conclu-t-elle. L’excision, selon les témoignages de l’agent de santé, Issouf Boly, laisse des séquelles à vie sur la femme. D’ordre physique ou psychologique, les conséquences de la pratique de l’excision à court, moyen et long terme, sont dévastatrices pour l’autre moitié du ciel. « L’excision est un grand désastre pour la femme. Le bébé ou la petite fille peut immédiatement souffrir d’hémorragie ou d’infection. Dans la vie de couple, certaines d’entre elles n’ont aucun plaisir pendant les rapports sexuels. Sans oublier les douleurs atroces lors de la pénétration parce que l’orifice, à cause de l’excision, s’est rétréci après la cicatrisation. A l’accouchement, ce sont d’autres souffrances qu’elles endurent », affirme Issouf Boly. « A cause de l’excision, je vis un calvaire dans mon foyer. Je n’ai aucun plaisir sexuel. C’est la peur permanente quand mon mari me désire. J’ai mal à chaque rapport sexuel parce que mon époux, à chaque fois, est obligé de forcer la pénétration. J’ai fini par élire domicile au salon avec notre enfant pour éviter ce traumatisme », témoigne sous l’anonymat avec chagrin une jeune dame d’une vingtaine d’années, victime de l’excision. « Moi, c’est à l’âge de 14 ans que j’ai été une première fois excisée, et une seconde fois encore, parce que c’était mal fait. A la seconde fois, on a tout raclé. Après la cicatrisation, c’était la croix et la bannière pour me soulager. J’ai eu la vie sauve grâce à une chirurgie réparatrice. Dieu merci, je me suis remise, et aujourd’hui, je suis une épouse avec des enfants », renchérit Sita Coulibaly.
Une vraie implication au lieu de la propagande
Dangereuses pour la femme, les violences sexuelles sont interdites par la loi au Burkina Faso. Une interdiction qui remonte à 1996 où le législateur a pris des mesures pour sanctionner les auteurs de ces violences sexuelles à l’endroit de la femme. Il s’agit de la loi 025/2018 du nouveau code pénal qui dispose en son article 513-7 : « est puni d’une peine d’emprisonnement d’un à dix ans, et d’une amende de cinq cent mille à trois millions francs CFA, quiconque porte atteinte ou tente de porter atteinte à l’intégrité de l’organe génital féminin par ablation, par excision, par infibulation, par insensibilisation ou par tout autre moyen. Si la mort en est résultée c’est un emprisonnement de onze à vingt et un ans, et une amende d’un million à cinq millions francs CFA », et l’article 513-8 dispose : « les peines sont portées au maximum si l’auteur est du corps médical ou paramédical. La juridiction saisie peut en outre prononcer contre lui l’interdiction d’exercer sa profession pour une durée qui ne peut excéder cinq ans ». En substance, selon les explications de Benjamin Aly Coulibaly, la loi réprime tout auteur qui pourrait porter atteinte à l’intégrité physique de l’organe génital d’une femme ou d’une fille. Une atteinte qui peut être par ablation, excision, infibulation, insensibilisation ou par tout autre moyen. C’est-à-dire, quel que soit le procédé utilisé par l’auteur, poursuit M. Coulibaly, pourvu que cela porte atteinte à l’intégrité physique de l’organe génital de la femme, l’acte est condamnable. Cette peine est aggravée lorsqu’il s’agit d’un agent de la santé ou du corps paramédical pour la simple raison qu’étant de la santé, « il est mieux placé pour connaître les conséquences de cette pratique sur la femme. Si malgré tout il agit, cela veut dire qu’il a agi avec une certaine méchanceté qui mérite la rigueur de la loi », soutient Benjamin Aly Coulibaly. Malgré cet arsenal législatif, le procureur du Faso admet que les vrais auteurs de l’excision sont rarement épinglés par la police judiciaire. « Rares sont les cas où, on a pu interpeller les exciseuses elles-mêmes. La raison est toute simple. On fait venir une dame d’ailleurs (souvent d’un autre pays) qui fait la ronde pour exciser les filles. Et c’est après son départ que les faits sont découverts. En ce moment, l’exciseuse est loin. Généralement, ce sont les complices, les mamans ou les grands-mamans, et quelques rares fois, les papas eux-mêmes qui sont interpellés. Tout ça pour dire que la population ne collabore pas franchement », déplore le procureur du Faso près le TGI de Dédougou. Pour venir à bout de cette pratique ancestrale, Benjamin Aly Coulibaly encourage et invite la population à une réelle collaboration car : « sans intervention extérieure, sans dénonciation, il est difficile pour nous, et surtout pour la police judiciaire d’avoir l’information en temps réel ». L’agent de santé, quant à lui, préconise une véritable implication des autorités, qu’elles soient administratives, coutumières ou religieuses si l’on veut arriver à vaincre la pratique de l’excision. « Il faut réorienter la lutte et impliquer réellement les différentes autorités. L’on doit arrêter de faire de la propagande et s’attaquer au véritable fonds du phénomène car ce qu’on fait jusque-là, ce ne sont que des tapages. Allons vers les acteurs de la pratique pour comprendre leurs motifs. Ainsi, on pourra les convaincre d’abandonner les mutilations génitales féminines », insiste le maïeuticien d’Etat. La lutte contre l’excision, poursuit-il, est permanente et quotidienne. « Il est certes vrai que l’on a beaucoup fait pour réduire le phénomène, mais au regard des nouvelles méthodes, il va falloir impliquer davantage les responsables coutumiers. Si l’on a l’engagement de ces leaders on peut espérer obtenir de meilleurs résultats », renchérit la directrice provinciale de la Femme, de la Famille et de la Solidarité nationale du Mouhoun. Une vision que partage Mme Mana qui a mis en place l’association « YENIMAHAN » en 1993 pour impliquer les garants des us et coutumes, et les exciseuses dans la sensibilisation afin que l’ampleur de la pratique diminue. « Le but de YENIMAHAN est de barrer la route à la pratique de l’excision », dit cette victime de l’excision qui a décidé d’éviter la souffrance à d’autres filles. Avec l’implication des responsables coutumiers, Mme Mana confie avoir convaincu de nombreuses exciseuses à abandonner la pratique à Bondokuy, son village natal, et dans d’autres contrées de la Boucle du Mouhoun. Ces désormais anciennes exciseuses, actives dans l’association « YENIMAHAN », s’investissent dans des Activités génératrices de revenus (AGR).