L’audition du témoin, Alidou Savadogo, s’est poursuivie, le mardi 29 janvier 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou. A sa suite, c’est Noël Sourwèma, un autre témoin, qui a été appelé à la barre. Celui-ci a soutenu que c’est l’accusé Salifou Savadogo, qui l’a instruit de convoquer les militants du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) au rond-point des Martyrs, le 17 septembre 2015.
Dans le témoignage de Alidou Savadogo, il est ressorti qu’il a remis un million F CFA au journaliste Adama Ouédraogo dit Damiss, de la part du général Djibrill Bassolé. Quand le parquet militaire a voulu comprendre les raisons d’un tel don, le conseil de Damiss, Me Stéphane Ouédraogo, a indiqué que la remise de cet argent n’a aucun rapport avec le coup d’Etat. Mais le ministère public a répliqué que quand Damiss s’est présenté à la barre, il était question de sa présence au camp Naaba Koom II au moment des faits et de la rédaction de la déclaration du Conseil national de la démocratie (CND). «Il n’a jamais été question d’un million F CFA reçu du général Bassolé», a-t-il relevé. Quant à Me Guy-Hervé Kam de la partie civile, il a voulu savoir si le témoin Savadogo a échangé avec Nicodème Bassolé le jour de son audition à la gendarmerie, mais celui-ci a dit n’en avoir plus souvenance. Et l’avocat de lui rafraîchir la mémoire en révélant que dans les écoutes téléphoniques, Nicodème Bassolé a instruit le témoin de ne pas signaler qu’il a remis de l’argent à Ismaël Diendéré.
«Je n’ai pas l’intention de mentir. Je ne peux pas me rappeler tous les échanges que j’ai eus avec x ou y», a réagi Alidou Savadogo. Mais Me Kam le trouve amnésique, refusant de répondre exactement aux questions relatives au dossier. Pour lui, les versions du général Bassolé, de Damiss et de M. Savadogo, ne sont pas concordantes. «Il y a quelque chose qu’on veut cacher», s’est convaincu l’avocat. A l’opposé, Me Ouédraogo a souligné que le témoin, que la partie civile cherche à intimider, est constant dans ses propos car ce qu’il a relaté à la barre est conforme à ce qu’il a dit dans son Procès-verbal (PV) d’audition à la gendarmerie. Pour preuve, selon lui, le témoin Savadogo qui était accusé dans le dossier du putsch, a été incarcéré pendant sept mois avant de bénéficier par la suite d’un non-lieu.
A la suite de M. Savadogo, le tribunal militaire a convoqué Noël Sourwèma à la barre. Né en 1957 et fonctionnaire retraité du ministère en charge de la communication, il a aussi comparu en qualité de témoin. Après sa prestation de serment, il a relaté ce qu’il a vécu le 16 septembre 2015 et jours suivants. A l’entendre, le 16 septembre, lui et ses camarades politiques étaient en réunion au siège de leur parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) quand ils ont appris l’arrestation des autorités de la Transition et l’instauration d’un couvre-feu. Très vite, chacun a rejoint son domicile, selon ses propos. «Arrivé à la maison, Salifou Savadogo m’a instruit de convoquer les camarades des différentes structures pour une rencontre le lendemain au rond-point des Martyrs», a précisé le Secrétaire général (SG) de la section provinciale du CDP au Kadiogo, au moment des faits. Il a souligné être arrivé au rond-point, le 17 septembre, en compagnie de Charles Niodogo mais personne n’y était.
C’est quand il était en train de rebrousser chemin qu’il a reçu un coup de fil de l’ancien député, Salifou Savadogo qui lui disait de revenir. De retour au rond-point, selon ses propos, M. Savadogo lui aurait demandé de rester sur place avec une quarantaine de camarades. Mais à écouter M. Sourwèma, une altercation entre certains de leurs éléments et d’autres jeunes manifestants l’ont poussé à rentrer chez lui. Le 18 septembre, le témoin a mentionné que des manifestations l’ont contraint à quitter son domicile pour se réfugier chez son fils. Arrêté par la suite et écroué à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), M. Sourwèma a indiqué qu’il a été blanchi du dossier du putsch mais cité comme témoin.
Contradictions entre camarades politiques
Il a surtout relevé que quand il était à la MACO, il a reçu une délégation de députés de son parti dont Salifou Savadogo qui lui a glissé une enveloppe de 500 mille FCFA. Cet argent devrait être réparti entre dix détenus du CDP, y compris ceux qui n’avaient aucun lien avec le coup d’Etat. «A mon retour chez moi, il est venu me voir et il m’a remis encore 200 mille FCFA», a ajouté le témoin. Il a aussi informé que M. Savadogo a cherché à savoir le contenu de ses dépositions à la gendarmerie et au Tribunal de grande instance (TGI) afin de s’y conformer et ne pas faire crouler leur parti.
Répondant au parquet, le témoin a insisté sur le fait que la mobilisation des camarades au rond-point n’a jamais été sa propre initiative mais celle de Salifou Savadogo. Il a même signalé que l’argent aurait circulé au lieu du rassemblement, car des camarades lui ont dit qu’ils ont reçu 500 mille FCFA de M. Savadogo pour sécuriser les domiciles des responsables du parti. Concernant la remise des sommes d’argent au témoin par M. Savadogo, les parquetiers ont parlé «d’achat de son silence». «Ça peut être interprété comme un achat de conscience mais j’estime que c’est une contribution de sa part pour tout ce que j’ai subi», a relativisé Noël Sourwèma.
Pour répondre aux propos du témoin, l’accusé Salifou Savadogo a été rappelé à la barre. Celui-ci a rejeté en bloc les déclarations de M. Sourwèma à son encontre. Il a maintenu que la convocation des camarades au rond-point est sur initiative de la section du CDP au Kadiogo dont Noël Sourwèma était le SG. «Si c’était mon initiative, on allait se rencontrer au siège du parti ou ailleurs et non au rond-point. C’est Salifou qui a échangé avec les camarades et c’est lui qui leur a distribué de l’argent», a rétorqué le témoin. Mais M. Savadogo a dit avoir parcouru les PV du témoin Sourwèma dans lesquels il n’a pas évoqué la réunion du 16 septembre pendant laquelle il a aussi reçu de l’argent. «Il en a parlé que lors des confrontations», a-t-il mentionné, avant d’y voir des contrevérités dans les dépositions du témoin qui cache une fuite de responsabilité. Pour les 500 mille FCFA, il a dit les avoir remis par modestie aux camarades en difficultés, car il était le seul député du CDP au Kadiogo. «Je ne voulais pas soudoyer quelqu’un», a rectifié M. Savadogo, avant de noter une volonté manifeste de M. Sourwèma de plonger un camarade politique.
L’audience reprend ce mercredi 30 janvier à 9h.