Préserver à tout prix le legs sacré du vivre-ensemble
L’une des conséquences fâcheuses possibles du phénomène terroriste que tout le monde redoutait dans notre pays, est incontestablement la remise en cause de la cohabitation pacifique et multi-séculaire de la multitude d’ethnies et de croyances. Avec ce qui vient de se passer à Yirgou à Barsalogho (une cinquantaine de morts) dans le Centre-Nord du pays, l’on a de quoi nourrir des inquiétudes quant à la préservation de ce riche patrimoine que nous ont légué nos ancêtres. En effet, le Burkina Faso a toujours constitué une sorte d’îlot du vivre-ensemble dans cette Afrique agitée et dont bien des pays sont tragiquement rongés par des questions d’animosité entre les ethnies d’une part et les religions d’autre part. Les exemples, on peut les citer à profusion. En Afrique de l’Ouest, pratiquement tous les pays sont de véritables chaudrons ethniques et religieux. Et bien des politiciens de ces contrées, visiblement en panne d’idées et de visions, ne sont pas étrangers à cet état de fait. Le Burkina, de ce point de vue, constitue une exception qui confirme la règle. Et on le doit non seulement aux autorités coutumières et religieuses, mais aussi à l’ensemble des autorités politiques et administratives que notre pays a connues. A cela, l’on doit ajouter la contribution de bien des organisations de masse comme les syndicats. L’un dans l’autre, le Burkina a privilégié les contradictions d’ordre politique au détriment de celles à caractère ethnique, régionaliste et confessionnel. Et l’expérience a réussi au point que beaucoup de pays africains envient le Burkina en termes de dialogue des religions, de cohabitation pacifique des communautés. Et c’est cet atout qui fait du Burkina un grand pays d’Afrique en dépit de la rigueur de son climat, de l’aridité de ses terres et de l’insuffisance de ses ressources. Cet atout est une grande richesse a préserver à tout prix. Car c’est elle qui explique que le Burkina, même en périodes de turbulences politiques gravissimes, peut arriver à plier, tel le roseau, mais sans jamais rompre.
L’objectif de ceux qui ont mis le feu aux poudres à Yirgou, est de pousser le Burkina à une guerre d’arrière-garde
De ce point de vue, toutes les énergies doivent être fédérées pour que les affrontements inter- communautaires qui se sont déroulés à Yirgou dans le Sanmatenga, ne se reproduisent plus jamais. A ce propos, l’Etat doit y mettre de la pédagogie et de la fermeté. Car ce genre d’événements malheureux ne peuvent pas trouver de solutions durables par la justice classique. Il faut mettre à contribution les mécanismes séculaires de nos traditions dans la recherche de la normalisation de la situation. L’on sait quand ces évènements douloureux commencent mais nul ne peut prévoir quand ils prendront fin. D’autant plus que l’instinct bestial d’appartenance à une ethnie ou à une région, sommeille en chacun de nous avec tout ce que cela charrie comme dérives. Il faut donc arrêter les choses pendant qu’il est encore temps. Car, l’objectif de ceux qui ont mis le feu aux poudres à Yirgou, est de pousser le Burkina à une guerre d’arrière-garde qui oppose les ethnies les unes aux autres. Après quoi, ils auront la latitude de diffuser leur idéologie funeste dans tout le pays. Déjà, les terroristes ont réussi le tour de force de faire du Burkina, à coups d’attaques meurtrières répétées, dont certaines sont osées, un pays où l’on circule avec la peur au ventre et où le voisin peut faire l’objet de méfiance à cause de son choix religieux. Il ne faut donc pas en rajouter en manipulant les esprits de sorte à y intégrer le délit de faciès. Ce combat est celui de la patrie sans distinction de sexes, de religions et d’ethnies. Il avait été fait par nos ascendants. A ce propos, tous les chefs de l’Etat qui se sont succédé à la tête de ce pays, ont droit à une mention spéciale. En effet, personne d’entre eux n’a trempé sa tartine de tô dans la sauce fétide de l’appartenance à une religion ou à une ethnie. La palme d’or pourrait en revenir au président Sangoulé Lamizana. C’est ce dernier, en effet, qui a donné toutes ses lettres de noblesse à notre vivre-ensemble. Aujourd’hui, ce legs est fortement menacé. Les évènements de Yirgou pourraient être l’élément déclencheur s’ils ne sont pas gerés comme il se doit. Mais balayons vite ce scénario- catastrophe. Car le Burkina compte encore des fils et des filles suffisamment éclairés et patriotes pour conjurer le mal. En tout cas, l’heure est grave et elle exige de tous un engagement franc et sincère, indépendamment des chapelles politiques, pour apporter aux démons de la division et de la haine, la riposte appropriée. Et c’est le minimum que l’on doit à ce pays. L’on peut saluer déjà le déplacement que le chef de l’Etat a fait dans la zone pour apaiser les cœurs. Il doit aller au-delà de cette démarche pour s’inscrire dans l’anticipation. Car, l’on pouvait prévoir ce genre de situations, depuis que les terroristes ont pris pied dans notre pays. Le Mali, pour n’avoir pas fait cette option, se retrouve aujourd’hui avec des conflits inter-communautaires sanglants à n’en pas finir.