Les difficultés récurrentes de fonctionnement du système judiciaire burkinabè : Les propositions de Me Paul KERE, Avocat (1ère Partie : La chaîne pénale)
Sans aucune flagornerie, il n’est pas exagéré de consacrer, honnêtement, et en premier lieu « in limine logos » cet article aux magistrats burkinabè qu’ils soient en Province ou dans les grande villes comme Ouaga et Bobo, qui travaillent d’arrachepied, dans des conditions difficiles tant en ce qui concerne leurs conditions matérielles (infrastructures, cadre de travail, emploi de temps, nombres de dossiers) que de l’aisance spirituelle et intellectuelle dans laquelle ces Magistrats devront se trouver pour accomplir simplement leurs missions.
Pour illustrer concrètement ces insuffisances d’infrastructures, certains justiciables ont pu constater par eux-mêmes que les substituts du Procureur du Faso sont deux, trois et parfois quatre (lorsqu’ils reçoivent des magistrats stagiaires) dans un seul bureau confiné et surtout, les juges d’instruction sont placés dans le même bureau que leur greffier sans aucun minimum de confort matériel et de respect de la confidentialité minimale en matière d’instruction.
Si ce ne sont pas des feuilles de ramettes qui manquent, c’est la climatisation qui est défectueuse par une température suffocante et intenable même au mois de décembre.
Par ailleurs, il n’y a aucune toilette digne de ce nom ni dans les couloirs du Palais de Justice de Ouaga, ni dans les bureaux des juges d’instruction. Le seul bureau du Doyen qui en dispose ne comporte même pas de chasse d’eau. Chaque jour, ce sont des femmes de ménage qui déposent des sceaux d’eau pour permettre le fonctionnement désastreux de l’un de ces rares lieux de soulagement…c’est vraiment regrettable en comparaison des bureaux de leurs collègues Magistrats ivoiriens…que je viens de constater lors de mon précédent passage pour un dossier d’agrément douanier.
Rien que ça, et la description est faible et minorée, car le matériel informatique n’est pas non plus au top niveau sans compter les délestages qui viennent interrompre violemment les instructions alors que le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou ne dispose pas d’un groupe relais n’en parlons pas des autres juridictions. Vraiment, « Ya gnandé ! ». Traduction : C’est honteux pour le justiciable burkinabè !
S’agissant de l’égalité entre les autorités de poursuite et la défense (mise à part, l’enquête préliminaire) il n’a pas de délivrance possible ni rapide de copies des procès-verbaux de la procédure pénale aux avocats pour leur permettre de diligenter promptement les actes judiciaires. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les magistrats, leurs greffiers, leurs secrétaires et les avocats puissent être efficaces, efficients et diligents dans l’administration de la justice pénale ?
Ou encore comment voulez-vous que certaines décisions judiciaires que ces magistrats sont amenés à prendre ne soient pas empreintes de ces mauvaises conditions de travail? Il semble que récemment, 9 milliards de francs CFA résultant d’une coopération avec un pays européen ami aient été consacrés à la rénovation informatique de ladite chaîne pénale.
On attend donc de voir comment seront améliorées « in concreto » les conditions existentielles de travail de nos braves Magistrats burkinabè. C’est pourquoi, lorsque des magistrats et greffiers français me parlent de leur manque de moyens, cela me fait gentiment sourire et je n’ose même pas leur parler des conditions existentielles de leurs homologues burkinabè. Si comparaison n’est pas raison, les conditions de travail des Magistrats ivoiriens sont nettement plus avantageuses qu’au Burkina Faso alors qu’on peut améliorer ces conditions de travail sans grands moyens financiers.
Hélas, tel n’est pas actuellement le cas où la moindre rénovation des locaux judiciaires n’est pas envisagée depuis une vingtaine, voir plus d’années. La critique ne s’adresse donc pas seulement aux autorités actuelles qui n’ont fait guère mieux…Il est écœurant de constater que la justice burkinabè est le parent pauvre des institutions nationales et, dès lors, le dire relève d’un acte citoyen responsable !
Par conséquent, le justiciable burkinabè ne devrait même pas s’étonner du mauvais fonctionnement de la justice au Burkina. Tous ceux qui, de mauvaise foi comme d’habitude et dans leur lâcheté dont ils n’ont plus honte, élèveront des critiques à l’égard de cet article en le considérant comme une quelconque diatribe vis-à-vis des autorités politiques, ignorent superbement les souffrances silencieuses des magistrats, cachés qu’ils sont, derrière leurs obligations de réserve.
C’est pourquoi, l’amélioration du fonctionnement de la justice incombe également aux avocats qui doivent contribuer à la fluidité des procédures en évitant les multiples demandes de renvoi qui contribuent à gonfler le « passif judiciaire ». Il faut entendre par cette notion, non seulement les jugements et arrêts en retard de rédaction, mais la charge impressionnante des procédures en cours. L’appel d’une décision est souvent considéré comme une « voie de garage » car dans certains dossiers, au moment où la Cour d’Appel est appelée à statuer, certaines infractions sont prescrites alors que la personne détenue est toujours en prison. Il faut que cela cesse de par l’effort de tous les acteurs judiciaires et j’en suis convaincu que tous ces acteurs judiciaires partageront cet avis.
Mais malheureusement, comme chacun le sait dans cette « savane haineuse du Faso », plus certains burkinabè vous aiment, plus c’est très inquiétant parce que cela voudrait dire que vous allez dans le sens de la médiocrité ambiante. Il semble même que si l’on émet des critiques constructives pour améliorer le fonctionnement d’une institution, certains esprits mesquins et minables le considèrent comme une attaque du pouvoir en place ! Comprenne qui pourra ! Et d’ailleurs est-il interdit de critiquer les autorités actuelles avec toutes les misères sécuritaires, sociales, économiques et politiques actuelles que l’on constate ?
Eh bien tant pis, je suggère que chaque burkinabè, dans son domaine de prédilection fasse des critiques constructives idoines et ne reste pas dans une forme de léthargie irresponsable afin d’espérer de chimériques avancements dans les conditions de fonctionnement de notre justice car la justice burkinabè sera toujours à l’image des conditions que les autorités politiques mettront au profit des acteurs qui animent notre justice.
Bien évidemment, ces conditions lamentables et austères de fonctionnement de la chaîne pénale a, nécessairement, des répercussions immédiates sur le quotidien des procédures, l’administration de la justice pénale aux justiciables, dont les plus saillants (sans être exhaustifs) sont les suivants :
Lorsqu’un justiciable relève appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté d’un juge d’instruction ou lorsque le parquet relève appel d’une ordonnance favorable de mise en liberté d’un détenu par le Juge d’instruction, la procédure se déroule désormais devant la Chambre d’accusation qui est la juridiction de contrôle des juges d’instruction. Initialement, le Parquet du Procureur de la République devait élaborer un rapport qui doit accompagner le dossier jusque devant la Chambre d’Accusation. Et tant que ce rapport n’est pas rédigé, le dossier peut faire plusieurs mois sans qu’aucun rapport ne soit diligenté par le Parquet, de sorte que sans aucun envoi du dossier au greffe de la Chambre d’instruction (qui dispose de 15 jours à compter de l’arrivée dudit dossier à son greffe pour faire « audiencer » le dossier au fond), la personne détenue reste toujours en détention provisoire quelle que soit l’importance de son activité professionnelle. Et pourtant nous sommes en matière de liberté.
C’est pourquoi, dans la pratique les justiciables, via leurs avocats préfèrent ne pas relever appel de ces ordonnances, quitte à réintroduire une nouvelle requête devant le magistrat instructeur pour se heurter, le plus souvent, au mêmes obstacles, alors que la Chambre d’Accusation devrait jouer naturellement son rôle de contrôle des actes du magistrat instructeur . Fort heureusement la rédaction de ce fameux rapport du parquet est désormais dispensée de sorte que les dossiers devraient immédiatement être transmis au greffe de la Chambre d’Accusation dans les meilleurs délais. La Chambre d’Accusation pourra désormais jouer son rôle…régalien de contrôleur de l’action du Juge d’Instruction qui ne saurait être omnipotent.
Ce qui permettra d’ailleurs aux parquetiers de vaquer utilement à d’autres occupations beaucoup plus importantes. Malheureusement, ce n’est pas pour autant que les difficultés pratiques ont cessé puisque les Substituts et Madame le Procureur elle-même croupissent sous des piles de dossiers inimaginables et humainement envisageables par une capacité humaine de Magistrat.
Cependant, cette léthargie structurelle doit-elle être préjudiciable au justiciable ? C’est la raison pour laquelle il peut être proposée dans le cadre de la nouvelle réforme que si après une décision du Juge d’instruction, au bout de 10 jours, le dossier n’est pas transmis par le Parquet au greffe de la Chambre d’Accusation que la personne inculpée, quelle que soit la gravité de l’incrimination, soit remise en liberté provisoire d’office sur saisine par voie de requête à la Chambre d’Accusation qui statue dans un délai d’une semaine, car faut-il le rappeler utilement, nous sommes quand même en matière de liberté et pas de vente de cacahuètes ou d’un fonds de commerce.
Rien ne vaut la liberté ! C’est pourquoi les juges d’instruction devront se montrer davantage vigilants sur les conditions d’appréciation des conditions de la détention provisoire, la liberté étant le principe et la détention l’exception en application des dispositions de l’article 136 du Code de Procédure Pénale « Art. 136. La détention préventive est une mesure exceptionnelle… »
Sur l’appréciation des conditions de placement en détention provisoire. C’est vraiment dans ce domaine que les juges d’instruction, de connivence avec les magistrats du Parquet doivent faire preuve d’invention et d’imagination débordantes en dépit de leurs conditions difficiles de travail, pour ne pas aggraver substantiellement la situation. En effet, la « …détention provisoire est une mesure de privation de liberté consistant au placement en détention d’une personne inculpée en attente d’être jugée dans le cadre d’une procédure déterminée.. ».
La détention provisoire doit toujours être prononcée à titre exceptionnel (Art. 136 précité). Malheureusement, cette exception semble devenir, dans la pratique, un principe. Les objectifs de la détention provisoire sont énoncés par les dispositions des articles 136 à 150 du Code de Procédure Pénale burkinabè et 144 du Code de Procédure Pénale français en ces termes :
« 1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
4° Protéger la personne mise en examen ;
5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé.
En rappel, les différents codes burkinabè et français précisent clairement que « Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire… »
Comme on peut le constater à la lecture de ces dispositions d’ordre public, la détention provisoire ne peut et ne doit être prononcée que lorsqu’elle constitue vraiment, l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs de ces objectifs précités.
Or, dans la pratique, la détention provisoire semble être devenue le principe alors même que les conditions de détention, notamment à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou et, certainement, dans les autres provinces sont exécrables et inhumaines.
Dans le cadre de la défense d’une politique criminelle efficiente, outre la construction de lieux de détention propres à sauvegarder la dignité humaine et toute la politique de réinsertion, il convient de s’engager dans cette voie, en concertation étroite, sans aucune distinction ou discrimination avec les Magistrats et/ou leurs syndicats. La justice ne doit pas être une politique conjoncturelle, mais structurelle. C’est lors de l’incarcération de certaines personnalités politiques qu’ils ont découvert avec stupéfaction et par l’opération du Saint-Esprit, les conditions de détention à la MACO que les avocats pénalistes côtoient depuis plusieurs années. La justice est l’affaire de tous et nous devons contribuer à l’humaniser et à la magnifier.
Certes, si la prison n’est pas un lieu de villégiature, ou de vacances au « club Med » ceux qui s’y trouvent ne doivent pas non plus être privés de leur dignité et de leur humanité en plus de leur liberté, quelle que soit d’ailleurs la gravité de leur crime. Nous n’avons pas le droit d’être plus abominable et plus inhumain que le criminel, mais garder, à la fois notre humanité et notre humanisme…dans le respect de la loi. On peut appliquer rigoureusement la loi en restant humaniste car aucune loi au Burkina Faso n’est inhumaine depuis la suppression de la peine de mort.
Au-delà de ces exigences minimales, qui sont loin d’un prêche dans le désert, c’est le placement en détention provisoire de certaines forces vives et économiques de la Nation qui aggravent encore substantiellement les difficultés économiques du pays et, par voie de conséquence la perception que les justiciables ont de leur justice…
En effet, chaque burkinabè capable de comprendre la chose judiciaire se souvient des conditions dans lesquelles, certains opérateurs économiques ont été placés en détention provisoire. Certes, personne n’est au-dessus de la loi. Mais certaines autorités politiques actuelles qui clament ce principe le respectent-elles ? Comme on le sait, « les donneurs de leçons sont ceux-là même qui les appliquent le moins… ».
Quoi qu’il en soit, autant que faire se peut, compte tenu de ce que la détention provisoire est une mesure exceptionnelle et non le principe, le Magistrat Instructeur devrait appliquer les dispositions sur la détention provisoire avec parcimonie, notamment, en tenant compte de la garantie de représentation qu’offrent certains opérateurs économiques. C’est en continuant à participer activement à l’essor économique de leur pays par ces opérateurs économiques que les parties civiles éventuelles seront équitablement indemnisées à la hauteur de leurs justes préjudices.
C’est en opérant un équilibre judicieux entre l’exigence d’une justice équitable, (égale pour tous) et la sauvegarde d’un tissu économique indispensable, que notre justice gagnerait en honorabilité, ce qu’elle ne perd pas forcément en efficacité.
Et enfin, pour paraphraser GEORGES BERNARD SHAW, « maintenant que nous avons appris à voler dans les airs comme les oiseaux et plonger dans les mers comme les poissons, il ne nous reste plus qu’à apprendre à vivre sur terre comme des êtres humains… ».
Paul KERE
Docteur en Droit de l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne