La tribune de Me Hermann Yaméogo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) sur la controverse actuelle relative à la mise en place du Sénat a fait réagir Abdoul Karim Sango, juriste de son état. A Me Yaméogo qu’il trouve qu’il va être difficile de revenir sur le Sénat qui a été constitutionnalisé, l’enseignant de droit répond qu’il n’en est rien. "Il n’y a aucun problème constitutionnel à suspendre ou abroger la loi sur le parlement", dit-il en substance dans la tribune ci-dessous.
Dans un article daté du 19 août et paru dans la presse, l’UNDD de Me Herman YAMEOGO tente de démontrer que la révision de la constitution en vue de l’abrogation de la disposition constitutionnelle relative à la création du sénat ne peut se faire qu’en violation de la constitution. En effet, conformément aux nouvelles dispositions constitutionnelles de juin 2012, désormais toute révision constitutionnelle par la voie législative requiert un vote du congrès c’est-à-dire la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat. Au regard de la non mise en place du Sénat, du point de vue du raisonnement juridique, je suis d’avis avec l’UNDD pour soutenir que seul un référendum peut légalement permettre à l’heure actuelle la modification de la constitution.
Toutefois, je n’irai pas jusqu’a suggérer cette option encore moins proposer de façon opportuniste que soit soumis au peuple un vote référendaire sur l’article 37 (cet article doit demeurer tel qu’il est prévu dans sa mouture actuelle). En fait, derrière ce raisonnement juridique relativement bien mené par le parti de la panthère, j’y décèle des motivations purement politiciennes qui ne tiennent pas compte de la réalité politique et sociale du moment. La démarche opportuniste de l’UNDD qui, au plan politique politicienne peut se comprendre, est révélatrice d’une certaine conception de la politique dont les Burkinabè, dans leur grande majorité, ne veulent plus. La politique doit être menée pour servir la communauté et non pour se servir. Renoncer à la mise en place du Sénat n’est pas la victoire d’un camp sur un autre, mais plutôt la victoire de la voix du peuple, vox populi, vox dei, disent les latins.
L ’UNDD serait fondée à défendre la constitution aujourd’hui si ce parti avait manifesté la même rigueur juridique lors de l’adoption de la loi organique portant sur le parlement. Depuis la révision précitée de juin 2012, il est prévu que l’adoption des lois organiques et même de la loi de finances doit se faire par un vote du parlement (article 97). Autrement dit, les lois organiques, pour être légales, doivent être votées à la fois par l’Assemblée nationale et le Sénat. Or, lorsque l’Assemblée a voté en mai les lois organiques sur le parlement, le CSC et le médiateur du Faso, nos chers constitutionnalistes de l’UNDD, soucieux de la légalité constitutionnelle et du respect de l’Etat de droit, n’ont pas soulevé et invoque dans ces cas la violation de la constitution. Maintenant qu’il s’agit d’abroger la disposition relative au sénat, on invoque le respect de la constitution. Il s’agit là d’une interprétation à géométrie variable de la constitution qui est une pratique qui a causé de nombreux torts aux Etats africains. Il faut en finir avec ces pratiques opportunistes afin de rebâtir nos Etats sur des valeurs plus sûres.
Du reste, l’abrogation ou la suspension de la mise en œuvre du sénat n’est plus une question juridique, elle est éminemment politique et en cela le président du Faso a été très bien inspiré d’opter pour cette voie que certains ont qualifié de voie de la sagesse. Plus rien n’est négociable hic et nunc sur cette question. Le mécontentement populaire s’est clairement exprimé là dessus. La consolidation de la démocratie peut s’opérer à travers d’autres mécanismes que l’on retrouve dans le rapport du MAEP.
Il n’y a aucun problème constitutionnel à suspendre ou abroger la loi sur le parlement. Tout comme l’Assemblée avait en son temps adopté cette loi, elle peut, en application du parallélisme des formes, l’abroger empêchant du même coup l’existence effective de la deuxième chambre. Encore faut- il le rappeler, le sénat est resté prévu pendant dix sept ans dans la constitution camerounaise sans avoir connu d’existence effective jusqu’en 2013 ! Au BF, la chambre des représentants, prévue dans la constitution de juin 1991, n’a été mise œuvre que plusieurs années plus tard. Combien de droits fondamentaux sont-ils prévus dans notre constitution sans qu’ils ne soient pleinement mis en œuvre ? Je pense en particulier au droit au travail (combien de jeunes diplômes sont-ils au chômage sans espoir d’en trouver un très prochainement ?). Et pourtant le Faso continue de tourner !
Pour les aspects relatifs à la modification de la constitution sur la question du sénat, elle pourrait se faire sur la base d’un accord politique de tous les partis représentés à l’Assemblée, ce qui permettrait à cette institution de voter les lois de révision y nécessaires. Dans l’histoire constitutionnelle et politique des Etats modernes, ce ne serait pas la première fois qu’un accord politique soit à la base de certains aménagements constitutionnels indispensables à la bonne marche de la nation. On l’a vu en Côte d’Ivoire avec les différends accords politiques de Linas Marcoussis, de Pretoria et de Ouagadougou. Récemment au Mali, il a fallu l’accord politique de Ouagadougou pour faciliter un retour à une vie constitutionnelle normale. Certes, le BF n’est pas dans l’hypothèse d’un conflit armé interne, mais il ne faut pas oublier que la guerre ce n’est pas seulement le crépitement des armes. Tous les rapports d’organismes d’alerte sérieux affirment que nous sommes dans l’œil du cyclone. Il nous faut anticiper positivement sur ces prédictions sombres. Les peuples intelligents n’attendent pas toujours d’en arriver à la guerre avant de s’accorder. Que vaut le droit quand la paix sociale est profondément troublée ? En cela, il faut encore se féliciter de l’esprit de sagesse qui a guidé la décision du président du Faso de revenir sur le sénat. Il confirme du même coup ses talents de médiateur. Au lieu de continuer à l’induire en erreur, ceux qui prétendent l’aimer doivent cesser de lui polluer l’air et l’aider à préparer définitivement sa fin de règne afin d’inscrire durablement son nom dans l’histoire politique du Burkina et de l’Afrique.