Au lendemain de l’annonce de la mort du chef terroriste malien, Amadou Koufa, à la suite d’une opération de la force Barkhane, le spécialiste des questions terroristes, Laurent Kibora, a accordé le dimanche 25 novembre 2018 à Sidwaya une interview. Pour lui, cette disparition est une victoire dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Sidwaya(S.) : Nous avons appris que Amadou Koufa a trouvé la mort à l’issue d’une opération conjointement menée par Barkhane et l’armée malienne. Est-ce que vous croyez à la mort de ce terroriste malien?
Laurent KIBORA(L.K.) : Amadou Koufa serait mort à la suite d’une attaque de la force Barkhane et de l’armée malienne dans la nuit du 23 au 24 novembre 2018 dans la forêt de Wagadou, au centre du Mali. Mais il faudra prendre ces informations au conditionnel car à plusieurs reprises, des chefs terroristes donnés pour mort, ont été aperçus vivants. Par exemple Ben Moctar a été donné pour mort plusieurs fois mais on l’a revu par la suite. Nous avons également en mémoire la prétendue mort de Abubakar Sekhau, le chef actuel de Boko Haram, avec à la clé, des photos de son décès circulant sur les réseaux sociaux, mais qui se sont révélées fausses. C’est pour cela qu’il faut garder une certaine réserve et prendre cette information au conditionnel.
Toutefois si la mort de Koufa est avérée, ce serait une grande victoire, un grand pas en avant dans la lutte contre le terrorisme, car il a été l’un des cofondateurs du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM). Il a dirigé une Katiba très importante qui est le Front de libération du Macina, Anshardine-Macina. Il a eu une grande renommée, beaucoup d’influence dans les sphères terroristes notamment auprès des populations peulhes qui subissent souvent les exactions des Touaregs et des Dogons. Koufa est donc une figure emblématique de la nébuleuse djihadiste dont la mort ne sera qu’une grande victoire dans la lutte contre le terrorisme.
S. : Beaucoup de gens entendent parler de Amadou Koufa mais ne le connaissent pas. Qui était-il ?
L. K. : Amadou Koufa était un grand prêcheur islamique, de son vrai nom Amadou Diallo. Il est né autour des années 1960, 1965. C’est un prêcheur virulent qui appelle les peulhs au djihad, à prendre les armes. C’est d’ailleurs à travers ses prêches qu’il y a eu un rapprochement entre lui et Iyad Ag Ali. Dans sa sphère de Macina, Amadou Koufa est un chef incontesté qui bénéficie des relations notamment avec les patrons de GSIM, Iyad Ag Ali, et Ben Moctar qu’il a côtoyé mais avec aussi Adnane Al Saraoui qui est actuellement le chef du groupe islamique au grand Sahara. Il constitue une personnalité incontournable dans la sphère terroriste. Sa perte ne peut qu’être un coup cinglant à cette nébuleuse.
S. : N’y aura-t-il pas une guerre de succession au sein de la confrérie dont il était le patron ?
L. K. : Sa mort va forcément créer une guerre de leadership, parce que dans le milieu djihadiste et terroriste, les mouvements sèment la guerre et la lutte entre eux pour la suprématie. La question qui mérite d’être posée est celle de l’identité de celui qui va le remplacer. Son successeur aura-t-il la carrure de Koufa ? Aura-t-il les mêmes relations? Pour ce qui me concerne, je pense qu’il sera très difficile pour son successeur d’avoir les mêmes relations que Koufa. Il sera pénible pour lui d’avoir l’expérience que son prédécesseur a eue parce qu’il a combattu sur plusieurs fronts. La mort de Koufa est vraiment une perte cinglante pour le milieu terroriste, mais aussi une bénédiction pour le Mali et le Burkina Faso. Quoique la mort d’une personne ne soit jamais une bénédiction pour quelqu’un d’autre, celle de Koufa pourrait apporter une certaine accalmie de façade au Burkina Faso parce que c’est souvent des groupes qui font des représailles. Il faudrait que nous restions sur nos gardes et ne pas crier très vite victoire.
S. : Justement faut-il craindre des représailles ?
L. K. : Il faut craindre le pire car, le GSIM qui est le groupe terroriste le plus important au Sahel a perdu ses grands lieutenants en cette année 2018. Et la mort de Amadou Koufa pourrait grossir leur nombre. Déjà le 14 février 2018, les terroristes ont perdu Mohamed Ould Nouini, la tête pensante de toutes les opérations terroristes dans le Sahel. Ould Nouini est mort à la suite des frappes aériennes de la force Barkhane. Ensuite, le 6 avril 2018, ils ont perdu deux lieutenants, le mauritanien Aymen Alchitingui et Saïd Al Maghribi et un troisième autre mauritanien. La perte de ces trois hommes a beaucoup secoué le monde des groupes terroristes. Cela les a amenés à organiser, quelques huit jours plus tard, des représailles contre le camp des forces Barkhane et celui de la Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au Mali(MINUSMA) dans la zone de Tombouctou. Les terrosites ont pratiquement assiégé les deux camps pendant quatre heures. Ils y ont fait exploser un camion bourré d’explosifs. Il y a même un de nos compatriotes casque bleu qui y est resté.
Amadou Koufa n’est pas mort seul. Il est mort avec deux de ses lieutenants : l’un était chargé de l’organisation de la base et l’autre des opérations. Face à la mort de ces trois figures emblématiques, il faut rester sur ses gardes et se préparer à une riposte à tout moment. Car, la perte des trois figures en début d’année a amené le GSIM, à organiser une attaque spectaculaire. Après la mort de Koufa et de ses deux lieutenants, nous devons aussi nous préparer à des représailles. Ces représailles seront dirigées contre la France, le Mali et ses alliés. Et nous aussi nous n’échapperons pas car les poulains de Koufa comme Malam Dicko, que l’on dit mort et remplacé par son frère cadet, vont s’organiser pour perpétrer des représailles. C’est à nous de rester sur nos gardes.
S. : Peut-on s’attendre une accalmie au Burkina après la mort de chef terroriste ?
L. K. : Il y aura forcément une accalmie parce que la mort de Koufa fragilise la sphère terroriste. L’épicentre des attaques du Burkina vient du Mali.
La mort de Amadou Koufa peut influencer indirectement ce qui se passe au Burkina du moment que le groupe Anshardine Islam a comme arrière base, le Mali. Parce qu’il y a des informations qui sont revenues et qui ont montré que Ibrahim Malam Dicko a formé ses hommes auprès de Amadou Koufa, mentor de Ibrahim Dicko. Même si Malam Dicko n’est plus vivant, il y a son successeur. Ce qui est sûr, son successeur va poursuivre ce qu’il faisait, c’est-à-dire entretenir des relations avec Koufa. Avec la mort de celui-ci, ce n’est pas sûr que ces personnes qui s’appuyaient sur lui puissent bénéficier du même soutien de son successeur.
S. : Avec ce succès, Barkhane ne va-t-il pas faire ombrage à la force naissante du G5 Sahel ?
L. K. : On pourrait dire que face aux performances de la force Barkhane et de l’armée malienne, que le G5 Sahel est une force morte née, mais ce n’est pas le cas. Le G5 Sahel n’a pas encore eu l’occasion de faire ses preuves. C’est une force qui vient de naître. Il faudrait attendre un peu plus pour pouvoir évaluer la force du G5 Sahel. Et il faut aussi le reconnaître, ces deux forces ne s’excluent pas, elles doivent se soutenir mutuellement parce qu’elles ont les mêmes objectifs.