L’avocat et criminologue français, Jacques-Louis Colombani, auteur de l’ouvrage «Cyberespace et terrorisme», s’est confié par mail à Sidwaya, courant novembre 2018. L’homme de droit opérant en Europe et en Afrique, évoque la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso, pays qu’il fréquente depuis deux décennies.
Sidwaya (S.): Pourquoi le Burkina Faso, jadis paisible, est devenu la cible privilégiée des terroristes ces deux dernières années ?
Jacques-Louis Colombani (J.L.C.) : La situation au Burkina Faso est fragile. La force française dans le Sahel, Barkhane, fait d’ailleurs preuve de vigilance et est en mesure de fournir un appui aux forces de sécurité burkinabè à la demande des autorités. L’Est du pays a été la cible de plusieurs attaques ces derniers mois. Profitant de la faible densité de la population et d’une végétation luxuriante, des groupes armés mènent des attaques de prédation et des actions à l’encontre des forces de sécurité dans le Gourma. A la suite des remous sociopolitiques qui l’ont agité, on peut dire que le Burkina est de plus en exposé à la menace terroriste incarnée par Al Qaïda et les groupes affiliés, dont le projet est d’imposer une idéologie islamiste totalitaire par la violence. Mais je suis convaincu de la résilience du Burkina et persuadé que le pays n’a pas le triste monopole de subir la menace terroriste. Il reste que le mot terrorisme est désormais un « mot valise ». Il peut englober tout ce qui est contre l’Etat: banditisme de grand chemin, actions déstabilisatrices armées pour générer un chaos et autres actions.
S. : Est-il possible, comme le disent certains, que les attaques récurrentes soient liées à un supposé « pacte de non-agression », signé par le président Blaise Compaoré et que son successeur Roch Marc Christian Kaboré n’aurait pas voulu respecter ?
J.L.C. : L’identité des assaillants reste inconnue, mais, au ministère de la Sécurité, on s’inquiète de la présence d’individus venus de pays voisins et dont l’objectif serait d’implanter des bases terroristes. Il ne m’appartient pas de faire un commentaire là-dessus.
S. : Les attaques terroristes sont désormais dirigées contre les forces de défense et de sécurité, sans revendication. Ne s’agit-il pas d’une opération de déstabilisation comme le prétendent les autorités burkinabè ?
J.L.C. : La réponse à cette question est complexe. A défaut de prouver un complot, je me méfie par esprit scientifique, des accusations sans preuves. La seule solution est de prévenir, sensibiliser, informer, de traquer et punir les auteurs d’attaques, qui tôt ou tard devraient finir par livrer leurs commanditaires. Dans un univers asymétrique et mouvant, les points névralgiques doivent être analysés avec prudence.
S. : Le mode opératoire des terroristes a également évolué avec l’usage d’Engins explosifs improvisés (EEI) dans le Sahel et à l’Est du pays. Quel commentaire cela vous inspire ?
J .L.C. : Ces armes artisanales sont les « armes du pauvre », fabriquées avec des mélanges de fortune. Les EEI sont un fléau. Leur usage renforce la terreur des populations. Il faut savoir qu’entre 2011 et 2015, des médias anglophones ont dénombré au moins 6 320 incidents liés à l’emploi d’EEI dans 75 pays différents. Au total, 12 566 incidents de violence explosive ont été documentés, ceux impliquant des EEI représentant donc plus de la moitié. Les statistiques issus du dispositif de surveillance d’Action on armed violence (AAV) donnent néanmoins un aperçu typologique des dommages provoqués par ce type d’armes. La volonté des terroristes est d’engendrer un chaos en jouant sur la peur, tandis que le rôle de l’Etat est de ne pas céder à la peur et de maintenir l’ordre. L’asphyxie d’une région commerciale, comme l’Est du Burkina, par une action utilisant de tels engins peut effectivement procéder d’un certain terrorisme. Il faut noter que le commerce est l’une des clés de la résilience dans un pays qui ne dispose pas d’accès à la mer. Je connais bien la route de l’Est et les cortèges qui remontent vers Ouagadougou bien achalandés…Couper le pays de ces accès, c’est tenter de prendre la population en otage. La région de l’Est a toujours été sur un axe sécuritaire sensible. La lutte contre les EEI doit se définir autour de deux axes : une formation approfondie des forces de défense et de sécurité sur ce mode d’action pour mieux le contrer et une implication directe des populations locales pour dissuader les poseurs d’engins explosifs. Il ne peut pas y avoir de pose d’EEI sans complicité de la population. J’ajouterai enfin que l’internet regorge malheureusement de mauvaises recettes pour apprentis sorciers.
S. : Les terroristes se servent d’Internet pour faire leur propagande. Faut-il sécuriser davantage le cyberespace ?
J.L.C. : Il faut continuer à contester aux terroristes tous les espaces et tous les lieux. C’est d’abord et avant tout une bataille territoriale dans toutes ses composantes et nous devons la mener jusqu’à son terme. Cette bataille se joue également sur le cyberespace, dans laquelle il nous faut continuer à intensifier notre action. Le cyberespace est un espace intangible, totalement contemporain, qui a été surinvesti par Al-Qaïda. Les terroristes utilisent chaque liberté octroyée, chaque facilité offerte, pour promouvoir leur idéologie. Ils comprennent parfaitement les modes d’organisation du cyberespace. Ils comprennent parfaitement la sensibilité des opinions publiques et ont développé très méthodiquement les voies et moyens pour déstabiliser nos opinions publiques en intimidant au maximum par ce truchement. Par chance, le Burkina est conscient de ces enjeux et est présent dans le cyberespace. Sur tous les terrains, je ne doute pas que le Faso trouvera des alliés pour défendre tout à la fois son territoire et le cyberespace par son action contre le terrorisme.
S. : Que faut-il faire pour lutter efficacement contre le terrorisme dans la sous-région ouest-africaine et particulièrement au Burkina ?
J.L.C. : La France est engagée à combattre les financements et les idées du terrorisme. Cette approche est transposable en ce qui concerne la sous-région et le Burkina. Stabilité politique, bonne gouvernance et préservation de l’ordre public sont les mamelles de la lutte contre le terrorisme. Il faut être invariablement résilient avec des actions orientées vers les populations.
S. : Dans la lutte contre le terrorisme, la collaboration entre armée et populations est capitale. Les actions civilo-militaires peuvent-elles faciliter ce rapprochement ?
J.L .C. : L’idée centrale reste de mon point de vue, de concilier la préservation des routes du commerce, qui constituent le poumon de la sous-région, avec la lutte contre le terrorisme. Il faut souhaiter qu’après une phase d’emploi des fonds à l’armement du G5 Sahel, des fonds soient dévolus aux actions civilo-militaires qui, à mon avis, renforcent l’Etat dans les faits et dans la vie des populations. Elles offrent en effet un cadre sécurisé et éprouvé de préservation des fonctions, contribuant à la résilience et à l’équilibre des populations.
S. : Comment voyez-vous le rôle du G5 Sahel dans le combat contre les extrémistes en Afrique de l’Ouest ?
J.L.C. : Le G5 Sahel regroupe cinq pays de la bande sahélo-saharienne : le Burkina-Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. C’est un cadre institutionnel de suivi de la coopération régionale, destiné à coordonner les politiques de développement et de sécurité de ses membres. Il y a un G5 géographique avec des contraintes, des traditions, des routes et des reliefs particuliers. Il y a également, pour reprendre l’analyse de Lise Berbeke sur France Culture, un « G5 géopolitique ». Le G5 Sahel doit agir dans un environnement de « stratégie globale » civilo-militaire, car la seule réponse militaire ne parviendra pas à être victorieux face à la menace terroriste. La montée en puissance du concept « G5 Sahel » dans sa composante civile (développement et gouvernance) sera complémentaire de la seule action de la force conjointe. Je suis par ailleurs convaincu, que la force Barkhane sera motrice d’une coopération plus large dont le G5 a besoin, surtout en termes de formation et de méthodes.