Ceci est une déclaration du Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB), du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM) et du Syndicat des greffiers du Burkina (SGB). L’ensemble de ces syndicats invitent le gouvernement à reconsidérer urgemment les mesures prises. Ils expriment par ailleurs, leur disponibilité à échanger avec une délégation gouvernementale afin de trouver une solution à temps à cette crise avec la garde de sécurité pénitentiaire.
Les Syndicats de magistrats et de greffiers du Burkina Faso ont suivi avec surprise et stupeur la décision sans précédent prise le 14 novembre 2018 par le gouvernement et relative, d'une part, à la suspension du Syndicat National de la Garde de Sécurité Pénitentiaire (SYNAGSP) et d'autre part, à la révocation de dix agents de la garde de sécurité pénitentiaire. Une telle décision appelle de la part des syndicats de magistrats et de greffiers les analyses et observations suivantes:
1)- La survenance de cette crise doit être entièrement imputée au refus d'anticipation du gouvernement qui a manqué, non seulement d'une volonté de gérer commodément les légitimes préoccupations de la garde de sécurité pénitentiaire en dépit des nombreux rappels par elle faits, mais également, de saisir les signes annonciateurs du mouvement qui étaient devenus pourtant évidents à un moment donné. Du reste, les syndicats de magistrats et de greffiers avaient déjà attiré l'attention du Gouvernement par lettre en date du 02 novembre 2018 quant à l'impérieuse nécessité de trouver une solution afin d'éviter à la justice et à la nation des situations extrêmement regrettables. Ce refus d'anticipation suggère alors au gouvernement de garder à l'esprit sa propre responsabilité dans l'appréciation de toutes les étapes de la crise. C'est, du reste, en ayant en vue cet aspect que les magistrats et les greffiers ont su garder la sérénité quoiqu'ayant eux-mêmes souffert de certaines des mesures prises dans le cadre de ce mouvement.
2)- Les graves mesures prises par le gouvernement l'ont été à un moment où il était toujours raisonnable de penser que le dialogue maintenait encore toutes ses chances. Si le rêve est nourri par le gouvernement d'envoyer un message fort au milieu syndical, les syndicats soussignés doutent fortement de l'efficacité de la formule choisie.
3)- Même en prenant sur lui l'historique responsabilité d'ignorer les deux premiers points, le gouvernement devrait se souvenir que:
a) - la sanction administrative obéit à des principes dont le principe de proportionnalité;
b) - la suspension ou la dissolution des organisations syndicales obéit à des principes au plan international. En effet, la Convention OIT n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, ratifiée par le Burkina Faso et s'imposant donc au dispositions internes en vertu de l'article 151 de notre Constitution, a été l'objet d'un contrôle particulier dans son application par le comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du Bureau International du Travail qui a pour mandat d'examiner les plaintes concernant les cas de violation de la liberté syndicale. À ce titre, il a édité un important instrument en la matière qui est le recueil de décisions et de principes qui constitue une source importante de référence en matière de liberté syndicale. Le comité de la liberté syndicale a posé les principes suivants concernant les mesures de suspension ou de dissolution des syndicats: « Les mesures de suspension ou de dissolution par voie administrative constituent de graves violations aux principes de la liberté syndicale» ; « La dissolution par voie administrative d'organisations syndicales constitue une violation manifeste de l'article 4 de la convention n° 87 » (Voir Recueil 1996, paragr. 664 et 665) ; « Le fait de priver des milliers de travailleurs de leurs syndicats au motif que quelques
uns de leurs dirigeants ou de leurs membres ont été condamnés pour avoir exercé des activités illégales constitue une violation flagrante des principes de la liberté syndicale» (Voir Recueil 1996, paragr. 667); « Les principes énoncés à l'article 3 de la convention n° 87 n'interdisent pas le contrôle de l'activité interne d'un syndicat lorsque cette activité viole des dispositions légales ou statutaires. Toutefois, il importe que le contrôle des activités internes d'un syndicat et l'adoption de mesures de suspension et de dissolution demeurent entre les mains des autorités judiciaires, et cela non seulement pour garantir une procédure impartiale et objective et pour assurer les droits de défense (qui ne peuvent être garantis pleinement que par une procédure judiciaire régulière), mais aussi pour éviter que les mesures adoptées par les autorités administratives ne paraissent arbitraires» (Voir Recueil 1996, paragr. 426.). Dans la même dynamique, la commission des experts du Bureau International du Travail (BIT) a, dans son Étude d'ensemble de 1994 sur la « Liberté syndicale et négociation collective », rappelé aux paragraphes 122 et 123 que « Toute destitution ou suspension des dirigeants syndicaux qui ne résulte pas d'une décision interne du syndicat, d'un vote des adhérents ou d'une procédure judiciaire régulière constitue une grave ingérence dans l'exercice des fonctions syndicales auxquelles les dirigeants ont été librement élus par les membres de leurs syndicats. Les dispositions permettant la destitution et la suspension des dirigeants ou la désignation d'administrateurs provisoires par les autorités administratives, par l'organe directeur d'une centrale unique, ou encore en vertu d'une disposition législative ou d'un décret promulgués pour la circonstance, sont incompatibles avec la convention. Les mesures de cet ordre devraient avoir pour seul but de protéger les membres des organisations, et n'être possibles que par voie judiciaire. La loi devrait fixer à cet égard des critères suffisamment précis permettant à l'autorité judiciaire de déterminer si un dirigeant syndical a commis des actes justifiant sa suspension ou sa destitution; les dispositions trop vagues ou ne respectant pas les principes de la convention ne constituent pas une garantie suffisante à cet égard. Les personnes concernées devraient également bénéficier de toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière ».
Au regard de ces observations et analyses, les syndicats de magistrats et de greffiers:
1}- Invitent le gouvernement à reconsidérer urgemment les mesures prises; 2}- Expriment leur disponibilité à échanger avec une délégation gouvernementale afin de trouver une solution à temps à cette crise avec la garde de sécurité pénitentiaire que le gouvernement aurait gravement tort de simplifier aussi bien dans ses conséquences actuelles que dans ses possibles développements ultérieures.
Ouagadougou, le 19 novembre 2018
Christophe COMPAORE / Syndicat des magistrats burkinabè
Emmanuel Ouédraogo/Syndicat Autonome des Magistrats Burkinabè (SAMAB)
Moriba Traoré/ Syndicat Burkinabè des Magistrats (SBM)
Mathieu Simporé/ Syndicat des Greffiers du Burkina (SGB)
Jean Lankoandé/ Syndicat National des Greffiers (SYNAG)