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Avortements clandestins au Burkina :La contraception pour éviter la mort

Publié le mardi 23 octobre 2018  |  Sidwaya
Avortement
© aOuaga.com par Séni Dabo
Avortement au Burkina : une étude fait l`état des lieux
Mercredi 12 février 2014. Ouagadougou. L`Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) de l`Université de Ouagadougou a animé une conférence de presse pour présenter une étude sur l`état des lieux de l`avortement au Burkina
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Les grossesses précoces prennent de l’ampleur chez les adolescentes. Mais, par peur de donner la vie, beaucoup d’entre elles, ont recours à l’avortement. Pratiqué clandestinement et dans des conditions dangereuses, il a diverses conséquences sur la santé sexuelle et reproductive de la jeune fille. Et pourtant, l’utilisation des méthodes contraceptives est l’une des solutions aux grossesses précoces…

Aïcha Zoungrana (nom d’emprunt) vient d’échapper à la mort. Elle a 18 ans et filait le parfait amour avec son petit ami Marc, un étudiant de 24 ans. En une année de relation, le bonheur des deux tourtereaux tourne au cauchemar. A un si jeune âge, un embryon a commencé à « germer » dans ses entrailles. Bien qu’ils ont choisi d’utiliser le préservatif lors de leurs ébats amoureux, les deux jeunes gens se sont autorisés le plaisir charnel en « direct » (sans protection) dans un moment d’égarement où l’excitation frisait la frénésie. Trois mois après leur « nuit d’amour », Aïcha est prise de panique dès que son état de grossesse a été formellement établi. Fille d’un fervent religieux, la sentence pour elle ne souffre d’aucun doute : elle sera bannie, si son géniteur découvre qu’elle n’est plus « pure ». L’adolescente n’a donc qu’une seule idée en tête : se débarrasser du fœtus de trois mois. Elle harcèle son copain qui finit par accéder à sa requête. Ensemble, ils contactent K.V, un infirmier. Mais ce dernier ne veut pas engager sa responsabilité, puisque l’interruption volontaire de grossesse, dans le cas de Mlle Zoungrana, est illégale au Burkina Faso. Sous l’insistance des jeunes, l’infirmier cède. Il prescrit à Aïcha un produit pharmaceutique sous la forme d’ampoules buvables. Ce médicament, selon ses explications, est censé faire couler la grossesse. Le fœtus va fondre littéralement et sera évacué sous forme d’écoulement sanguin. Les deux amants se réfugient dans la chambre de Marc, leur nid d’amour pour pratiquer « l’opération ». Tout semble bien se dérouler. Le sang est recueilli dans des morceaux de pagnes et enfoui dans un sachet pour finir dans les toilettes. Mais Aïcha ressent une douleur des plus insupportables. Elle rentre en famille pour avoir la vie sauve. Le mal est de plus en plus persistant. Ses parents la conduisent dans un centre de santé. La jeune fille est entre la vie et la mort. Ses parents découvrent alors que leur fille souffre de complications d’un avortement inachevé. Tous les débris du fœtus n’ont pas été évacués. « Sauvée », Aïcha va subir le courroux de son géniteur. Ce dernier qui sent son honneur bafoué, menace de la répudier et de convoquer le copain à la gendarmerie. Après moult « médiations », Marc échappera à la prison.
Désemparées, beaucoup de filles n’hésitent pas à interrompre volontairement leur grossesse. C’est le cas d’Ariane Koanda (nom d’emprunt). Elle qui avait décidé de passer à l’acte sexuel, mais à une condition : le préservatif. Mais, le jour-J, Hassane, son partenaire se rétracte. Il veut vivre des moments de plaisir en «live» (sans protection). Agée de 17 ans, Ariane cède sur l’insistance de son copain. Un mois après, le fruit de leur union commence à se faire sentir. Prise de peur, elle ne sait plus à quel saint se vouer. Hassane refuse la paternité. « Il m’a dit que je veux lui attribué une grossesse qui n’est pas la sienne. Je lui ai ainsi rappelé que si tel était le cas, je ne lui aurais pas demandé de se préserver », se souvient-elle. Comme Aïcha, Ariane n’a qu’une idée : se débarrasser immédiatement de sa grossesse. Dans la clandestinité, elle va solliciter les services d’une tradi-praticienne. « C’est une amie qui m’a conduite chez elle. Je lui ai remis 25 000 F CFA. Et elle a introduit des tiges dans mon vagin », confie-t-elle, avec un brin de regret. Elle ajoute : «j’ai saigné pendant 5 jours dans ma chambre. Heureusement que personne n’a su l’acte que j’avais posé malgré moi. Si j’avais utilisé la contraception ou insisté à ce que Hassane se protège, je n’allais pas connaître les douleurs atroces de l’avortement ». Pleine de remords et de regrets, elle n’en dira pas plus.

105 000 avortements…

Pour Awa Yanogo, chargée de programme à la Communauté d’actions pour la promotion de la santé sexuelle et reproductive au Burkina Faso (CAPSSR), les causes des avortements sont multiples : les grossesses non désirées, le refus de paternité, l’échec de la méthode contraceptive, le rejet de la société, etc. Tous ces facteurs, explique-t-elle, peuvent amener la fille à recourir à l’avortement. Mais, lorsqu’elle est pratiquée clandestinement, la jeune fille peut avoir des séquelles très graves : des perforations de l’utérus, des hémorragies, la stérilité. Pour elle, l’idéal serait donc d’investir dans la Planification familiale (PF). « Il faut travailler à ce qu’elle soit accessible. Malheureusement, il y a une mauvaise campagne autour de la PF. Les jeunes et les adolescents sont souvent stigmatisés par les personnes censées leur offrir les PF qui les sensibilisent plutôt à l’abstinence », regrette-t-elle. Selon une étude réalisée (en 2008 et 2012), par l’Institut supérieur des sciences de la population (ISPP) de l’Université de Ouagadougou, sur les grossesses non désirées et avortements provoqués, chaque année, au Burkina Faso, un tiers des grossesses ne sont pas désirées. Soit elles n’interviennent pas au moment souhaité, soit elles ne sont pas souhaitées du tout et un tiers de ces grossesses non désirées se terminent par un avortement. Pour l’année 2012, la même étude a relevé qu’environ 105 000 avortements ont été pratiqués au Burkina Faso, estimant le taux d’avortement national de 25 pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans. En 2017, une étude réalisée par la société des gynécologues et obstétriciens en collaboration avec la mission Médecins du monde-Burkina sur les grossesses d’adolescentes de 13 à 17 ans dans 5 formations sanitaires, montre une situation pas reluisante des grossesses précoces et ou non désirées. Sur 23 764 admissions pour grossesses en 2017 dans les maternités étudiées, 797 (3,4%) adolescentes de moins de 18 ans (mineures) ont été répertoriées. En tenant compte uniquement des primipares, le pourcentage des moins de 18 ans était de 10,5% (797/7591). Parmi ces adolescentes 27,9% étaient des élèves, 58,2% avaient déjà une vie maritale. 4% des mineures étaient au moins à leur deuxième grossesse. La grossesse chez les adolescentes s’est soldée par un avortement dans 12,9% (103 / 797).

Le droit à la contraception

Au Burkina Faso, l’avortement n’est autorisé que pour sauver la vie et protéger la santé de la femme enceinte, dans des cas de viol, d’inceste ou de graves malformations fœtales. Par conséquent, la grande majorité des filles qui mettent fin à leur grossesse le font dans la clandestinité, par peur des poursuites, et pour éviter la stigmatisation sociale. C’est pourquoi, la plupart des avortements clandestins se produisent dans des conditions à risque, qui mettent en danger la santé des femmes, et parfois leur vie. Les nombreuses filles qui avortent sollicitent des praticiens traditionnels sans compétence particulière ou non formés, ou bien elles utilisent leurs propres méthodes souvent dangereuses et parfois inefficaces. Ce qui se solde souvent par un avortement incomplet et des complications (saignements, infections vaginales, stérilité…). La conséquence la plus radicale est la mort, prévient Awa Yanogo de la CAPSSR. Rachelle K. est passée de vie à trépas, à cause d’une interruption volontaire de grossesse, témoigne l’un de ses amis qui a requis l’anonymat. « Elle ne voulait pas de sa grossesse. Elle est allée se faire avorter clandestinement. Malheureuse-ment, tout s’est compliqué. Elle a saigné jusqu’à ce que mort s’en suive », déplore-t-elle. En dépit de leurs bienfaits, les méthodes contraceptives ne sont pas suffisamment utilisées au Burkina Faso, selon l’Association burkinabè des sages-femmes. En 2015, le taux de prévalence contraceptive moderne a été estimé à 22,5%, selon l’Enquête sur le module démographie et santé (EMDS) et les besoins non satisfaits en planification familiale à 19,4 %. Des millions de femmes et de filles n’arrivent pas à jouir pleinement de leur droit à la contraception. La situation s’explique par des pesanteurs socio-culturelles, les idées reçues sur les effets secondaires de la contraception, l’inaccessibilité géographique et économique aux produits contraceptifs, à en croire, l’association Entre jeunes du Faso.

Lever les barrières

Réduire le nombre de grossesses non intentionnelles est primordial pour faire baisser le taux d’avortements à risque. Pour mettre fin à l’hécatombe, la contraception s’impose comme l’une des solutions, selon le groupe de plaidoyer «Stop grossesses non désirées ». Du préservatif à la pilule, en passant par l’anneau, l’injectable, l’implant sous-cutané, le stérilet, etc., un vaste choix de moyens contraceptifs, à la fois efficaces et peu contraignants s’offrent aux jeunes filles. La contraception se veut aussi une alternative aux avortements provoqués. Ainsi, elle peut contribuer, se convainc le groupe de plaidoyer « STOP grossesses non désirées », à la baisse de la mortalité maternelle de 1/3, à la réduction de la mortalité infanto-juvénile, au bien-être de la famille, etc.». Selon le Dr Georges Guiella de l’Institut supérieur des sciences de la population(ISSP), des initiatives en matière de politiques, de programme et d’éducation publique sont nécessaires pour promouvoir le concept de planification familiale et élargir la prise de conscience de ses bienfaits en termes sanitaires et sociaux. Pour Djénéba Traoré (20 ans), seul l’accès aux contraceptions permettra aux filles de ne pas compromettre leur avenir. A cet effet, le groupe de plaidoyer « STOP grossesses non désirées », estime qu’il est temps de lever les barrières à l’adoption de la contraception des adolescents et jeunes.

Abdel Aziz NABALOUM
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