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Juste Tiemtoré, directeur du Protocole d’Etat sous le CNR : ’’Sankara était un homme ordonné’’

Publié le lundi 15 octobre 2018  |  Sidwaya
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Depuis les événements du 15 octobre 1987, Juste Windpabasba Tiemtoré, 63 ans, ancien directeur du Protocole d’Etat et proche collaborateur du défunt leader de la Révolution, Thomas Sankara, ne s’était pas confié aux médias. Handicapé à la suite d’une maladie, ce diplomate à la retraite a décidé de briser le silence en accordant une interview exclusive à Sidwaya, à la faveur de la célébration du 31e anniversaire de la disparition de cette icône mondiale.

Sidwaya (S.) : On vous a connu grand sportif. Qu’est-ce qui a pu vous imposer un handicap et réduit votre mobilité ?

Juste Windpabasba Tiemtoré (J.W.T.) : J’ai été victime d’une tuberculose osseuse au cou qui m’a rongé trois vertèbres. Deux d’entre elles se sont affaissées et ont sérieusement blessé les nerfs. Après une paralysie générale, Dieu m’a relevé au point que, de ma chaise roulante, je peux marcher avec des béquilles sur une distance réduite de 100 mètres.

S. : Vous avez été proche du leader de la Révolution du 4-Août 1983, Thomas Sankara. Quel a été votre rôle à cette époque ?

J.W.T. : Sous la Révolution, j’ai été directeur du Protocole d’Etat, ministre Coordonnateur général de la Présidence du Faso et ministre de l’Information. Ce sont les fonctions que j’ai occupées, sinon je suis un diplomate de carrière.

S. : N’aviez-vous pas bénéficié de certaines faveurs pour occuper ces postes ?

J.W.T.: Le mérite et le militantisme présidaient à la désignation des responsables des structures. C’est dans ce cadre que j’ai occupé ces fonctions. J’ai d’abord été directeur adjoint du Protocole d’Etat, puis Chef du protocole du Premier ministre Thomas Sankara, sous le Conseil de Salut du Peuple (CSP). C’est le camarade président qui m’a nommé à toutes ces fonctions sans demander mon avis. Je ne saurai vous dire quels critères ont pu peser dans la balance. Mes relations avec le président Sankara relèvent d’une histoire qui, même si elle n’a pas été longue, était faite de confiance éprouvée, mais aussi de compétence approuvée, le tout soutenu par une même vision du monde.

S.: Est-ce à dire que vous n’aviez pas une carte politique en son temps?

J.W.T. : Elle a dû exister. J’étais membre de l’Union des communistes burkinabè (ulc), mais je ne sais pas si c’est cela qui a joué plus que mon profil professionnel.
S. : Vous aviez connu Thomas Sankara. Pouvez-vous nous dire qui était l’homme ?

J.W.T. : Il est difficile de camper l’homme dans des qualificatifs plus ou moins définis, au risque de verser dans l’exagération ou de comprimer l’exception qu’il était à notre mesure. Il me semblait seulement porter en lui un logiciel plein d’espoirs pour son peuple.

S. : Quelles étaient les valeurs défendues sous le Conseil national de la révolution (CNR) ?

J.W.T. : Les valeurs sont connues et étaient inscrites dans le Discours d’orientation politique (DOP) du 2 Octobre. La vision de la Révolution est concentrée dans ce document d’orientation.

S. : Une certaine opinion pense que le DOP est une œuvre collective. Avez-vous contribué à sa rédaction?

J.W.T. : Je n’étais pas à ce niveau de conception. Celui qui l’a écrit l’a déclaré haut et fort. Il l’a clamé dans vos colonnes, qu’il a écrit le DOP mais il n’a pas dit que le discours était une vision de sa seule personne. Il l’a écrit et le document a été accepté par tous. Je n’ai pas connu une organisation parmi les trois formations politiques initiales de la révolution (ULC, PAI et OMR) qui l’a remis en cause à quelque point que ce soit. Valère Somé, paix à son âme, fut un grand idéologue de grande foi révolutionnaire, qui s’identifiait entièrement aux différents combats qu’il a menés.

S. : En termes d’acquis, que peut-on retenir de la Révolution ?

J.W.T. : C’est un vaste registre d’actes et d’idées qu’il serait difficile d’inventorier dans ce contexte. Nous avons tous vécu cette révolution, les domaines sont tellement multiples. Il n’y a pas un domaine qui n’a pas été atteint par la Révolution dans un sens positif. Il est vrai que, selon les degrés, les intentions n’ont pas été réalisées à la hauteur de ce qui avait été prévu et accepté. Il y a des acquis politiques, économiques et idéologiques. Mon souhait est que les révolutionnaires arrivent un jour à les identifier et à les quantifier pour la jeunesse qui a faim d’en savoir.

S. : Qu’est-ce qui a été fait dans le domaine du Protocole d’Etat ?

J.W.T. : L’organisation du Protocole d’Etat repose nécessairement sur une philosophie, si bien que dans les détails, il y a des variétés qui tiennent comptent des susceptibilités et des orientations politiques. Sous la Révolution, il est apparu comme un impératif d’adapter le cérémonial aux nécessités de l’orientation politique, ce qui impliquait de le dépouiller de substrat occidental, pour ne pas dire bourgeois, pour y introduire des valeurs culturelles propres à notre pays et à notre vision révolutionnaire. En tandem avec le camarade président Sankara, nous avons progressivement assis un mode d’organisation typique du cérémonial. Ceci n’enlève rien aux attributs universels de Protocole dans son essence.

S. : Arrivait-t-il souvent que le président Sankara remette en cause vos propositions ?

J.W.T. : Sur ce point, on peut retenir que c’était un homme d’échanges qui improvisait très rarement ce qu’il faisait, malgré les apparences. Une chose est sûre, le camarade Sankara était un homme ordonné, qui tenait bien compte des avis de ses collaborateurs à la seule condition d’arguments convaincants. Il n’était pas dans le tâtonnement, parce qu’il a pensé et muri sa « chose » depuis le jeune âge. Il avait l’avantage d’être un homme convaincu. Nos rapports étaient soutenus et francs, à tel point qu’il pouvait même perturber mes nuits pour s’assurer de la justesse d’une décision à prendre.

S. : Qu’est-ce qui se faisait sous la Révolution et qui ne se fait plus aujourd’hui ?

J.W.T.: Si je vous dis, vous n’allez pas comprendre ; pourtant c’est tout simple : jusqu’au 15 octobre, il y avait la Révolution. Et pendant 27 ans, il y a eu la contre-révolution. Ce sont deux faces différentes.

S. : Tout n’a pas été rose sous le CNR. En témoigne, par exemple, le licenciement des enseignants. Pourquoi une telle décision ?

J.W.T. : C’est dommage, vous aurez pu demander cela à Blaise Compaoré. Il a été l’un de ceux qui ont suggéré ce licenciement massif pour donner l’exemple. On ne peut que le regretter dans ses effets sociaux, mais la décision s’inscrivait dans les limites des principes de la Révolution. Les enseignants n’étaient pas les premiers à être licenciés. Bien d’autres avant les enseignants ont été touchés. C’est dommage, mais c’est justement pour vous faire comprendre la responsabilité des uns et des autres. Cette question s’est imposée au débat continu au sein du CNR. Vous vous souviendrez que, dans son discours du 4-Août 1987, le camarade président a, de manière responsable, invité les révolutionnaires à une autocritique et à relire les décisions et sanctions qui ont pu injustement frapper des compatriotes. Le prétexte était offert à ceux qui étaient en quête de prétextes de contradictions fondamentales, je veux parler de Blaise et de ses « compagnons », pour dénoncer un revirement et une expression de faiblesse de la part du président du CNR. Et ce sont les mêmes, après le 15 octobre, qui se sont précipités pour s’approprier la paternité de la décision et en constituer un justificatif de leur action macabre.

S. : N’est-ce pas très facile d’imputer la responsabilité à d’autres leaders, quand on sait que Thomas Sankara était le numéro 1 de la Révolution ?

J.W.T. : Le président Sankara a toujours assumé la responsabilité des décisions prises à l’unanimité. Il était bien la tête, mais il n’était pas le seul au sein du CNR qui, du reste, avait son mode de fonctionnement que je crois démocratique. J’en sais quelque chose et le moment viendra d’en révéler les détails. De toute façon, les camarades membres du CNR qui sont encore vivants pourraient, sinon qu’ils devraient, éclairer le peuple sur le contexte de nombre de décisions prises en son temps.

S. : Il y a aussi les Comités de défense de la révolution (CDR), qu’on accuse d’avoir causé du tort à des innocents …

J.W.T. : Vous avez vu des structures agir dans le sens d’un groupe sans commettre des erreurs. Dire que les actions des CDR sont majoritairement négatives procèdent d’une vision un peu restrictive. Il y a eu des comportements dévoyés çà et là qui ont été bel et bien dénoncés en public par le camarade président lui-même. Rappelez-vous des « CDR pourris … ». Pourquoi sous le Front populaire les CDR n’ont pas été détruits mais plutôt transformés en Comités révolutionnaires (CR) ? Les CR se comportaient pire que sous la révolution. C’était encore des prétextes de contradiction pour justifier leur plan assassin. Les CDR ont été bien utiles à ce pays et on pourrait bien comprendre qu’on en soit aujourd’hui à regretter leur mode d’organisation. N’oubliez pas que les CDR ne concernaient pas seulement les quartiers, mais embrassaient tous les secteurs de la vie nationale.

S. : Les évènements tragiques du 15 octobre 1987 ont mis fin à la Révolution qui a duré quatre ans. Pourquoi en est-on arrivé à cette situation ?

J.W.T. : C’est l’aboutissement des ambitions personnelles de Blaise Compaoré. Je l’assume pleinement ! Sa tentative de prise du pouvoir ne s’est pas seulement manifestée le 15 octobre ! Et le camarade président le savait bien. Je vous donne quelques repères : Blaise l’a manifesté maladroitement à des journalistes étrangers entre le 17 mai et le 4 août 1983, lorsque qu’il avait organisé la rébellion. Il a dû s’en expliquer au camarade Sankara. Le 4 août, Blaise venait mettre entre parenthèses son camarade de lutte et se proclamer président. L’Histoire devant être écrite autrement, le président Sankara, pour éviter que d’autres groupes qui prétendaient, ce jour-là, au pouvoir ne les devancent, a pris l’initiative d’une proclamation sans se douter des intentions voilées de Blaise. Il faut noter qu’il ne s’est pas désigné président du CNR. A preuve, les caciques du Front populaire, au premier anniversaire de leur prise de pouvoir, ont tenu à démontrer que Thomas était un usurpateur, en plus d’arguments mensongers, ont publié la « Proclamation du camarade Blaise Compaoré » dans votre journal SIDWAYA en octobre 1988. Je vous fais grâce du sort qui devait être réservé à celui que le peuple reconnaissait naturellement comme son leader. Les autres tentatives dont celle du 2 octobre 1983 restent à être décrites en d’autres circonstances ! Le camarade Sankara le savait. Malheureusement, il a longtemps cru qu’il pouvait convertir le diable en saint. On peut aisément comprendre que pendant quatre ans, Blaise et ses acolytes fouinaient à la recherche de prétextes pour justifier l’exécution de leur plan. Ils en ont créé en poussant à des décisions impopulaires. De rectification, il n’y eut donc que la réalisation d’un programme tout contraire aux idéaux et valeurs de la révolution.

S. : Pouvait-on éviter ce scénario dramatique ?

J.W.T. : Certainement oui, vu du côté Sankara. Je sais que le président s’y est attelé de tout cœur, allant jusqu’à proposer sa démission pour dissiper la crise fabriquée. Par ailleurs, et quoiqu’on dise, il avait bien les moyens de parer ce projet funeste mais il n’en avait pas l’arme. Il eut fallu tuer des camarades qu’il espérait dissuader de la perdition par la force des arguments. Mais Blaise Compaoré voulait le pouvoir à tout prix.

S. : Où étiez-vous au soir du 15 octobre ?

JWT : J’étais au ministère des Affaires étrangères pour retirer mon nouveau passeport, parce que je devais aller en mission le lendemain 16 en tant que ministre de l’Information. J’ai entendu les coups de feu, ignorant de tout quand j’ai vu Blaise Compaoré, quelques dix minutes après, roulant à toute vitesse vers le Conseil de l’entente. Contrairement à ce que prétendait le « Mémorandum sur le 15 octobre », cette compilation de mensonges et d’affabulations, je n’ai tenu quelques propos dans le sens de ma culpabilisation. J’ai été victime comme d’autres d’un certain nombre de répressions, de restrictions de liberté et de brimades politiques, administratives qui ne m’ont pas empêché d’être ce que je suis.

S. : Quelles leçons tirez-vous de ces événements ?

J.W.T. : Ce conflit, beaucoup plus subjectif qu’idéologique et qui a connu la fin que vous connaissez, m’a permis de découvrir davantage l’homme dans sa capacité à s’adapter aux situations, fussent-elles contradictoires. Je voudrais seulement prendre en exemple l’empressement avec lequel le bureau de l’Union des femmes du Burkina (UFB) a proclamé son aversion envers ce « misogyne » de Thomas Sankara, qui pourtant avait lié le succès de la Révolution à la cause de la Femme.

S. : Pourquoi avoir attendu plus de 30 ans, avant de vous ouvrir à la presse ?

J.W.T. : Oui, simplement parce que je n’ai pas été invité à ce genre d’exercice. Et je tiens à saluer l’initiative pour le sérieux et le professionnalisme qui m’a convaincu à m’ouvrir aujourd’hui. En outre, j’ai tantôt parlé de répressions. Ce n’est pas une répression de gamins. Les méthodes utilisées et les buts de la manœuvre face à tout ce qui pouvait ressembler à une opposition ou tout ce qui pouvait être la source d’une révélation de quelques vérités sur la Révolution pouvait se terminer dans des tragédies diverses. Et mon intelligence m’a conduit à comprendre, que le rapport de forces n’était pas en ma faveur, donc à ne pas m’exposer inutilement ou de manière suicidaire à ce contexte connu de tous. J’ai préféré ne rien savoir, n’avoir rien su et n’avoir rien vu. Aujourd’hui le risque s’est amenuisé et c’est ce qui fait que je peux oser parler. Je profite d’une certaine liberté d’un contexte général d’expression pour ouvrir un petit volet de ce que je voudrais dire.

S. : A vous entendre, vous donnez l’impression d’en savoir plus sur des dossiers qui pourraient inquiéter certaines personnes…

J.W.T. : Pour parler comme les militaires, je dirai « affirmatif » ! Et heureusement que je ne suis pas le seul à le savoir. Je salue ici la mémoire de mon frère et ami Etienne Zongo (Ndlr : aide de camp du président Sankara), avec lequel nous avions entrepris de produire une œuvre pour l’histoire.

S. : Avez-vous d’autres confidences à faire ?

J.W.T. : Beaucoup reste à dire et je voudrais exprimer ma disponibilité à approfondir ces questions liées qui devront être étalées à l’occasion du procès à venir sur le dossier Thomas Sankara !

Interview réalisée par
Abdoulaye BALBONE
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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