L’on avait pourtant cru, avec l’identification formelle suivie de l’arrestation de certains présumés terroristes dans la région du Sahel, le renforcement progressiste des capacités opérationnelles des forces anti-terroristes tant dans les interventions que dans les renseignements et le déploiement massif sur le terrain, que l’on avait enfin trouvé le bon bout vers la victoire contre ces forces du mal.
Mais manifestement, la réalité est tout autre. D’autres groupes semblent avoir pris le relais. Le Burkina Faso se retrouve face à un sérieux souci de maillage du territoire par ses Forces de défense et de sécurité. Mieux, il manque de moyens pour faire face aux nouvelles méthodes des groupes terroristes. Ce glissement territorial des régions du Nord et du Sahel vers celle de l’Est semble être bien mené et vise particulièrement les Forces de défense et de sécurité.
Malheureusement, le commandement ne semble pas bien préparé à cette nouvelle forme d’attaque. En effet, pour le cas de l’embuscade du 29 août sur la route de Pama, certains experts évoquent une erreur de commandement. De leur point de vue, dans une zone où une patrouille a déjà été piégée par une mine, stratégiquement, il aurait fallu un véhicule de tête avec le strict minimum de soldats. L’on aurait alors pu réduire le nombre de victimes.
Mais au-delà de cette erreur sans doute liée à l’urgence, il y a le fait que jusque-là, l’on a encore du mal à assurer une couverture aérienne des régions les plus exposées. L’armée de l’Air est-elle impliquée comme il se doit dans la lutte contre le terrorisme ? Le Burkina a-t-il les moyens aériens nécessaires ? Que deviennent les deux hélicoptères offerts par Taïwan pour lutter contre le terrorisme ? Depuis leur réception en grande pompe au temps où le Burkina et Taïwan étaient encore en instance de divorce, l’on n’a plus entendu parler de leur usage dans la lutte contre le terrorisme. L’on apprend avec le président du Faso lors de sa rencontre avec ses compatriotes de Chine, le jeudi 30 août dernier, l’envoi prochain d’une mission militaire pour discuter de la surveillance aérienne du territoire avec l’appui de l’Empire du milieu. Le 21 août dernier, le ministre de la défense nationale et des Anciens combattants, Jean-Claude Bouda, a signé un accord avec la Russie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
En dehors des déclarations du ministre Bouda publiées par l’agence de presse russe «Sputnik » affirmant que le Burkina apprécie le matériel russe qualifié de «robuste et de bonne qualité», rien a filtré de cet accord. Cet accord prend-il en compte les moyens aériens ?
En attendant, les hélicoptères disponibles servent-ils seulement à l’évacuation des Blessés ou des corps ou encore aux déplacements des autorités de la hiérarchie militaire ?
Bref, l’on a l’impression que malgré la recrudescence des actes terroristes, le gouvernement burkinabè ne semble pas encore avoir une vision claire et un projet structuré de l’action à déployer et l’équipement qui va avec. Sans être un expert en la matière, l’on peut affirmer qu’il y a un sérieux problème de gouvernance du secteur de la sécurité, à l’image d’ailleurs de la gouvernance globale de l’Etat. C’est regrettable de constater que le président du Faso a du mal à trouver les hommes et les femmes qu’il faut pour occuper les postes stratégiques de gestion de la sécurité et de la défense. Ses ministres de la Sécurité et de la défense sont loin de rassurer les acteurs. A ce sujet, l’on évoque un « incident » lors de la dernière rencontre du cadre de concertation des acteurs de la sécurité. Pour une rencontre prévue pour se tenir à 15h, les deux ministres se sont emmenés au lieu de la réunion après 16h. Las d’attendre, certains diplomates, en l’occurrence les Ambassadeurs de France et des Etats-Unis, ont quitté les lieux après une heure d’attente. Et ils n’étaient pas les seuls. Il ressort également que le ministre de la défense a assisté à la rencontre sans placer le moindre mot. Comme quoi, il n’avait rien à dire. C’est peut-être une banale anecdote mais pour bien des acteurs qui étaient à la rencontre, cette situation traduit un état d’esprit : l’insouciance et le manque de rigueur sur des questions aussi sensibles que stratégiques.
Mais il n’y a pas que cet incident. Beaucoup d’acteurs de la sécurité ont des sérieux doutes sur la capacité des politiques portés à la tête des départements de la Sécurité et de la défense nationale, à rassurer et à motiver la troupe. Quand on entend des railleries faites à leurs égards par certains acteurs de la sécurité, l’on ne peut que douter du sérieux qu’ils accordent à leur autorité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on est surpris que ce soit sur eux que le président du Faso et le PM ont porté leur choix pour gérer cette matière névralgique de la vie de la nation. Au-delà des politiques, la hiérarchie militaire semble avoir du mal à mobiliser toute l’expertise disponible au sein des Forces de défense et de sécurité du Burkina en matière de stratégies de lutte contre le terrorisme. Est-elle, elle-même, à la hauteur des défis ?
En somme, il n’y pas que les moyens matériels, techniques et logistiques qui font défaut. La gestion des ressources humaines pose également problème. Il y a un sérieux doute sur les compétences des hommes qui pilotent la gouvernance de la sécurité au plan aussi bien politique que technique. Un terreau fertile pour les forces du mal.
Beaucoup d’observateurs commencent à se poser légitimement des questions sur les choix politiques en matière de lutte contre le terrorisme. Le pouvoir a-t-il véritablement pris conscience que la sécurité est une matière plus technique que politique ? Va-t-il enfin faire appel à toute l’expertise nationale en la matière (nous ne parlons pas des putschistes) ? A-t- on mis les hommes qu’il faut à la place qu’il faut ?
L’opposition politique n’a pas manqué d’interpeller le gouvernement sur sa responsabilité et son devoir de protéger le peuple et l’intégrité du territoire national contre toutes formes de menaces. D’aucuns soutiendront que l’opposition dans son ensemble devrait d’abord faire preuve d’une franche collaboration avec le pouvoir dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, il se trouve que dans cette matière, la confiance est loin d’être la chose la mieux partagée entre le pouvoir et l’opposition. D’autant plus que le pouvoir suspecte certains anciens dignitaires de l’ancien régime, à commencer par Blaise Compaoré himself, d’être derrière ces attaques ou du moins de connivence avec les groupes terroristes qui attaquent son pays.
Au-delà de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement burkinabè fait face à des tentatives de déstabilisation. Car tout semble indiquer que sur le front de la lutte contre les « terroristes classiques », il y a des acquis, surtout au Sahel. Les nouvelles attaques semblent le fait de groupuscules ayant pour visée la déstabilisation du pays à travers un harcèlement des Forces de défense et de sécurité pour les désorganiser et fragiliser davantage le pouvoir en place. Ces attaques terroristes semblent le fait de Burkinabè qui ont fait le choix, au nom d’obscurs intérêts égoïstes, de rendre le pays ingouvernable en versant le sang de leurs propres frères. A cela s’ajoute un contexte national marqué par un incivisme et une défiance systématique de l’autorité de l’Etat. Une telle situation ne fait que renforcer le déficit de confiance entre Burkinabè. Globalement, le climat socio-politique actuel au Burkina Faso en fait un terreau fertile pour les terroristes.
En tout état de cause, il est urgent de créer les conditions d’un retour à la sérénité. Il appartient au président du Faso et au gouvernement de montrer enfin qu’ils ont pris toute la mesure de la menace. Il faudra, enfin, commencer par mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Il faudra ensuite mobiliser toute l’expertise nationale et tous les moyens logis- tiques adéquats pour redonner à la troupe la confiance. Il faudra aussi rassurer les Burkinabè que la situation n’a pas échappé au contrôle des FdS. Cela les encouragerait à une franche collaboration. Il ne reste plus à espérer que les Burkinabè ne vivront plus de sitôt ces scènes insoutenables au cimetière de Gounghin. Trop, c’est trop ! (Source Le reporter)
Extrait de l’éditorial du N°245 du 1er au 14 septembre 2018 de Boureima Ouedraogo.