Ceci est une déclaration du Syndicat autonome des Magistrats burkinabè (Samab) à l’occasion de la rentrée judiciaire 2018-2019 effectuée ce lundi 1er octobre 2018.
Une année judiciaire s’est achevée, 2017-2018, cédant la place à une nouvelle année judiciaire, 2018-2019. L’année judiciaire qui s’est achevée a été fortement éprouvante pour le peuple burkinabé qui continue de subir la foudre d’individus d’une barbarie et d’un sadisme diaboliques ayant fait à ce jour plus d’une centaine de victimes civiles, militaires et paramilitaires. Nous nous inclinons devant la mémoire de toutes ces victimes du terrorisme. Que leurs âmes reposent en paix et que Dieu les reçoive au paradis ! Nous témoignons toute notre compassion et notre solidarité aux familles endeuillées et réaffirmons notre engagement aux côtés des forces de défense et de sécurité ainsi que des populations pour lutter contre cette hérésie criminelle et inhumaine.
Cette rentrée judiciaire constitue encore pour les acteurs de la justice et plus particulièrement les magistrats, un moment d’introspection pour tirer des leçons de l’année judiciaire écoulée. Le SAMAB invite donc ses militants à faire preuve de plus d’engagement et de dévouement au travail. Chaque magistrat devra se donner comme défit de donner le meilleur de lui-même au cours de cette année judiciaire pour qu’au bilan, en fin d’année, l’on puisse au-delà des statistiques, saluer le niveau élevé du professionnalisme et la satisfaction éprouvée de nos populations au nom desquelles la justice est rendue.
D’ores et déjà, notre organisation qu’est le SAMAB tient à féliciter tous les acteurs de la justice, magistrats, personnels du corps des greffiers, gardes de sécurité pénitentiaire, interprètes, avocats, huissiers de justice, notaires, officiers de police judiciaire et tous les personnels d’appui pour le travail satisfaisant abattu au cours de l’année judiciaire écoulée, même si la justice est encore sous le feu des critiques acerbes de l’opinion publique et de certaines organisations de la société civile s’intéressant aux questions de justice. Nous savons tous que c’est grâce au travail acharné de tous ces travailleurs invétérés que la vie démocratique de notre pays poursuit sa construction. Nous savons aussi que les critiques portées sur la justice constituent un moyen d’interpellation pour une meilleure qualité de justice et un meilleur rendement des activités judiciaires. Nous encourageons donc tous les burkinabé épris d’une justice indépendante et impartiale à s’intéresser davantage à la justice et à toujours faire des critiques constructives sans dépasser les limites convenables de la polémique et surtout sans tomber dans le discrédit des décisions de justice. Sur le plan quantitatif, les annuaires statistiques produits chaque année par le ministère en charge de la justice permettent d’attester de l’évolution positive constatée en termes de nombres de dossiers traités, vidés et disponibles au profit des justiciables. Ces annuaires statistiques sont disponibles sur le site dudit ministère au « www.justice.gov.bf ».
En effet, l’image de la justice d’un pays est fortement dépendante de la raison, du niveau de civisme et de l’esprit de citoyenneté, tant des populations que des dirigeants politiques. Les hommes et femmes en toge ne peuvent être respectés si dans la conscience collective et dans l’action des dirigeants politiques, il n’est pas accepté qu’à l’instar des pays civilisés, la justice est une institution marquée par son ambivalence entre justice institutionnelle, agissant au nom de textes applicables à l’ensemble de la collectivité et le sentiment personnel de justice qui n’est pas toujours objectif. C’est du reste, ce que les états généraux de la justice organisés en mars 2015 ont permis de constater, ce qui a déterminé le choix de la forme et de la nature du « pacte national pour le renouveau de la justice » qui est, contrairement aux conclusions des autres fora, un ensemble d’engagements dont le pouvoir politique actuel est signataire. La finalité étant de mettre en œuvre les mesures minima permettant de prendre en compte comme indiqué dans son préambule « l’aspiration du peuple burkinabè à un Etat de droit où la justice joue pleinement son rôle de pouvoir ». Le préambule dudit pacte est une source à laquelle tout pouvoir post insurrectionnel doit s’inspirer dans le but de rester logique avec la volonté née de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, de mettre en place des jalons solides d’un Etat de droit.
Tirant conséquence de cette volonté du peuple burkinabé exprimé à travers le pacte national pour le renouveau de la justice, les autorités de la transition ont adopté plusieurs réformes qui offrent à la justice burkinabè des lueurs d’espoir d’une justice impartiale, indépendante et équitable sans laquelle aucune démocratie n’est pérenne. Nonobstant ce référentiel important, le discours de nos dirigeants politiques qui dès le départ est apparu en déphasage avec ces aspirations du peuple burkinabè, a cédé la place à des conceptions de laboratoires juridiques d’une certaine doctrine, marquée par des velléités manifestes, d’une dévalorisation du pouvoir judiciaire attentatoire des droits acquis, d’une administration de commandement empreinte d’une vision néocolonialiste des libertés syndicales, dont les odeurs d’ancre nous parviennent. Un avant-projet de loi organique serait, en effet, en cours d’élaboration et pour le peu des dispositions qui parviennent à notre organisation, nous attirons l’attention de Son excellence Monsieur le Président du Faso, Garant de l’indépendance de la magistrature sur le caractère illégal d’une loi organique qui viendrait à violer l’esprit de la constitution burkinabé, tant sur le principe même de son objet par rapport au domaine des lois organiques, que sur le bloc de constitutionnalité à laquelle fait partie le statut de la magistrature à travers la loi organique 050-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature.
Par ailleurs, les réformes adoptées par les autorités de la transition concernant le Conseil supérieur de la magistrature à travers la loi organique n°050-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature devraient permettre à cette instance de connaître un fonctionnement plus efficace et efficient au regard de ses attributions. Le constat que notre organisation fait est qu’il y a encore des causes profondes qui sont facteurs de son dysfonctionnement et qu’il est urgent que cette loi organique soit relue pour permettre la prise en compte d’un cadre normatif qui garantisse véritablement l’indépendance de la magistrature en amont comme en aval de la profession de magistrat, ce qui évitera des précédents graves de nature, non seulement, à pervertir les règles élémentaires de droit de la défense des magistrats mis en cause dans une procédure disciplinaire, mais aussi à créer, comme l’avait prévenu Michel Le POGAM [Président du tribunal de grande instance des Sables d’Olonne, membre du Conseil supérieur de la magistrature, in La Semaine juridique, Edition générale, 4 octobre 2010, Hebdomadaire n°40, Page 1852] sur le même sujet en France, des risques « d’une déstabilisation des juges et d’un blocage ou d’un ralentissement des procédures concernés ».
Le SAMAB reste engagé pour toutes les réformes à venir et contribuera avec pour seul leitmotiv l’objectivité, la règle de droit et l’indépendance de la magistrature.
Bonne rentrée judiciaire à tous, sous la bienveillante miséricorde divine.
Que Dieu veille sur notre Patrie, le Burkina Faso.