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Blandine Sankara, l’agroécologie au cœur pour nourrir le Burkina Faso

Publié le samedi 29 septembre 2018  |  LeMonde.fr
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© Autre presse par DR
Insécurité alimentaire en hausse: l’Afrique soutient trop peu son agriculture
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« On est parti de rien, c’était vide ici, avant. » Au milieu de ses plantations de légumes, Blandine Sankara, port altier et longue robe mauve, nous guide sur les terres verdoyantes de sa ferme, à Loumbila, une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les plants de tomates, les pousses d’épinards et les fleurs de courgettes jonchent le sol, aux côtés d’aromates piqués dans des bouteilles plastiques recyclées.

Difficile d’imaginer qu’il y a six ans, ce paysage se résumait à une étendue de sable et aux balanites, un arbre typique du Sahel, qui y trônaient. Et pourtant, Blandine Sankara, 51 ans, a dû se battre contre les caprices de ce sol aride. « Les anciens propriétaires, des cultivateurs, avaient abandonné la parcelle car elle était dégradée et trop pauvre. On nous disait qu’il serait impossible de semer », explique-t-elle. Mais Blandine Sankara, sœur cadette du défunt président révolutionnaire Thomas Sankara, n’est pas de celles qui abandonnent. Son ambition : rendre cette exploitation, de près de deux hectares, à nouveau fertile et y produire des légumes biologiques.

Respect de l’humain et de l’environnement
En 2012, elle commence à travailler sans relâche, avec l’aide de trente-quatre femmes recrutées dans le village voisin et formées par son association, Yelemani. Il leur faudra près de douze mois pour parvenir à dompter la terre, avec pour seules armes le zaï et la demi-lune, des techniques agricoles traditionnelles. « La tâche était très pénible. Une partie des femmes a abandonné, certaines n’y croyaient pas. C’est vrai que cette méthode prend du temps », reconnaît la fondatrice. Peu à peu, leur travail commence à porter ses fruits, la production augmente progressivement.

« Quand Blandine est venue nous présenter son projet, je n’avais jamais entendu parler d’agroécologie. Je ne pensais pas que c’était possible, je me suis accrochée. Aujourd’hui je suis fière quand je regarde ce qu’on a réussi à créer », confie Jeanne Talato Savadogo, l’une des six dernières cultivatrices du site. Vente sur les marchés, formations agricoles, ateliers de sensibilisation dans les écoles et bientôt ouverture d’un restaurant, prévue pour la fin de l’année : la ferme de Yelemani (« changement » en langue dioula) s’impose désormais comme un centre d’expérimentation de l’agroécologie au Burkina Faso. « C’était ça mon rêve : valoriser nos produits locaux et amener les Burkinabés à s’y intéresser, tout en promouvant des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement et de l’humain », indique la coordinatrice.

Agir pour la souveraineté alimentaire et rompre avec l’agriculture conventionnelle, l’idée a commencé à germer dans son esprit il y a une dizaine d’années, lorsque cette sociologue de formation suivait des études en développement à Genève. « Je ne pouvais pas croire qu’en Suisse on valorise le “local” et que chez moi on le dénigre, au profit de produits venus d’Occident », se rappelle-t-elle. Au cours de ces quatre années d’expatriation, une question la taraude : « Qu’est-ce que je pouvais apporter à ma patrie ? Je souhaitais changer les mentalités et amener les Burkinabés à croire en eux-mêmes. » Impensable pour Blandine Sankara d’abandonner sa terre natale. « Ma vie était au Burkina Faso, c’est ici que je pouvais apporter véritablement quelque chose. »

De retour au pays en 2008, elle assiste aux « émeutes de la faim ». A l’époque, la flambée des prix des denrées alimentaires avait poussé des dizaines de milliers de manifestants dans les rues. « Pour moi, c’était la confirmation que l’on subissait les effets de la mondialisation. Je ne comprenais pas comment le Burkina, où plus de 90 % de la population vit de l’agriculture, pouvait encore dépendre des importations pour se nourrir », s’indigne-t-elle.

Peu après, elle tombe sur un livre de Pierre Rabhi, c’est le déclic. « C’était ça la solution : l’agroécologie ! » En 2009, Blandine Sankara se lance et crée Yelemani. Mais les débuts de ce projet atypique sont difficiles. « J’assurais toute seule les allers-retours entre Loumbila et Ouaga pour vendre mes légumes sur les marchés et à domicile. Les gens ne comprenaient pas tous ma démarche, ils ne voyaient que le prix. A l’époque, on entendait beaucoup moins parler de bio, on me disait que c’était utopique », se souvient-elle.

« J’aurais pu faire des choses avec lui »
Chez les Sankara, la combativité est une affaire de famille. Le grand frère de Blandine, Thomas Sankara, qui renomma la Haute-Volta Burkina Faso, le « pays des hommes intègres », peu après son arrivée au pouvoir, est le père de la révolution burkinabée de 1983. A l’époque, sa petite sœur, dixième d’une fratrie de onze, a tout juste 16 ans, « trop jeune pour entrer dans le combat ». Mais elle se souvient encore avec émotion de leurs discussions : « Il me demandait ce que je voulais faire plus tard, nous parlions de mon avenir. Vers la fin, je me souviens, il y avait cette lueur en lui, comme s’il avait senti que quelque chose pointait en moi. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que mes convictions étaient proches de celles de mon frère, de celles de la révolution, qui a marqué certainement mon parcours. C’est dommage, si j’avais été plus grande à ce moment-là, j’aurais pu faire des choses avec lui. »

Aujourd’hui, Blandine Sankara, qui a repris la maison de son frère dans le quartier de Bilbalogo à Ouagadougou, n’hésite pas à battre le pavé de la capitale pour protester contre les projets d’introduction d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans le pays. Figure de la lutte contre Monsanto au Burkina, cette militante aguerrie, armée de son franc-parler, est également membre du collectif Balai citoyen, avec lequel elle a participé au soulèvement populaire de 2014 qui a entraîné la chute du président Blaise Compaoré.

Se lancer dans une carrière politique ? « Soutenir l’indépendance alimentaire de mon pays, pour moi, c’est déjà faire de la politique », balaie-t-elle. Enième combat : celui pour « la vérité » sur la disparition mystérieuse de Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987, il y a plus de trente ans. « C’est lourd à porter, notre famille attend que justice soit faite pour pouvoir reprendre une vie normale. Tôt ou tard, la lumière sera faite », promet Blandine Sankara.
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