L’audition du capitaine Abdoulaye Dao s’est poursuivie, le vendredi 21 septembre 2018, au tribunal militaire de Ouagadougou. Accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires et incitation à commettre des actes contraires à la discipline militaire, l’officier est resté ferme sur sa position en plaidant non coupable.
A la barre, le capitaine Dao a continué à réfuter les faits qui lui sont imputés. Il a surtout indiqué qu’au moment des événements de septembre 2015, il y avait des éléments au sein de l’ex- Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui étaient incontrôlables, car recevant les ordres de certaines autorités politico-militaires. Mais le parquet militaire n’épouse pas cette version de l’accusé. Dans ses observations, il a estimé que chacun doit assumer ses actes au lieu de rejeter la responsabilité sur les soldats de la troupe. A entendre le procureur militaire, lorsque les officiers sont en connexion avec les milieux politiques, les fantassins vont indubitablement leur emboîter le pas.
Les avocats de la partie civile, eux, sont revenus sur l’arrestation des autorités de la Transition. Me Prosper Farama a voulu savoir ce qu’a fait le capitaine Dao en tant que responsable de la sécurité rapprochée du président du Faso, quand il a appris que ce dernier a été enlevé.
A cette préoccupation, l’accusé a expliqué qu’en pareille circonstance, il faut d’abord identifier et localiser la menace avant d’intervenir. Et à cet effet, il a confié avoir appelé le major Eloi Badiel et le commandant Aziz Korogo pour comprendre.
« Quelles sont les dispositions que vous avez prises pour circonscrire la menace ? », a insisté l’avocat. A cette question, le prévenu a fait savoir que la hiérarchie militaire étant informée de la crise, cela ne relevait plus de la responsabilité d’un seul chef de groupement. Mais Me Farama revient à la charge. « Donc si la hiérarchie militaire est impliquée dans l’arrestation d’un président, cela ne s’appelle pas coup d’Etat ? », a-t-il martelé.
Pour sa défense, l’accusé a soutenu que c’est à partir du 2e communiqué lu à la télévision nationale, désignant le Général Gilbert Diendéré comme président du Conseil national de la démocratie (CND), qu’il a su qu’il s’agissait d’un coup d’Etat. Sinon, au premier communiqué, à son avis, il a cru à une gestion de la crise par la hiérarchie militaire.
Un argumentaire que Me Farama a trouvé « bancal », puisque, de son avis, l’officier devrait, en tant que chef de la sécurité présidentielle, savoir que la dissolution du gouvernement telle que dit dans le premier communiqué équivaut à un putsch.
« Je ne devrais pas douter de mes chefs »
Les échanges se sont également focalisés sur la déclaration du CND lue à la télévision par le colonel Mamadou Bamba alors que celui-ci n’était pas de l’ex-RSP. A ce sujet, celui-là qui avait 333 hommes sous son commandement a répliqué que la crise n’était pas celle du Régiment mais de toute l’armée.
Dans le même ordre d’idées, Me Guy Hervé Kam s’est préoccupé de savoir si le capitaine Dao a fait connaissance du contenu de la déclaration avant qu’elle ne soit lue. L’accusé a répondu par la négative.
Selon son récit, c’est juste après la rencontre avec le Collège de sages que le colonel-major Boureima Kyéré l’a appelé de venir récupérer un document qu’il doit faire lire à la télévision. Mais avant, le capitaine a affirmé avoir demandé au Général Diendéré si la hiérarchie était au courant.
Ce dernier a été affirmatif, à l’en croire. En outre, Me Kam a dit ne pas comprendre pourquoi le capitaine Dao a choisi un haut gradé, au lieu d’un subalterne pour lire un communiqué dont il ignorait le contenu. « C’est vous qui avez récupéré et imprimé le document.
C’est vous qui l’avez apporté à la télévision et choisi la personne qui va le lire. Et cela ne vous dit rien ? », s’est-il étonné avant d’indiquer que c’est le Tribunal qui va apprécier. Mais le prévenu a tenu à préciser que c’est le sous-lieutenant Boureima Zagré qui avait été désigné pour la lecture du communiqué.
Mais après une conversation téléphonique avec le colonel Bamba, il lui aurait demandé s’il pouvait lire la déclaration et il n’a pas trouvé d’inconvénient. Quant à Me Pierre Yanogo, toujours de la partie civile, il s’est préoccupé de savoir pourquoi le document n’a pas été remis à la rédaction de la télévision pour lecture ?
« Je ne sais pas. Je n’ai fait que répondre à un ordre de mes supérieurs. Peut-être que je n’ai pas été assez prudent mais si on commence à douter des chefs, ça devient compliqué », a rétorqué l’officier. Le capitaine Dao a aussi souligné avoir été induit en erreur par sa hiérarchie et dit regretter ce qui s’est passé.
Quand Me Bonkoungou veut juger le parquet
Dans l’après-midi, la partie civile a continué à « cuisiner » le prévenu. Pour Me Ali Néya, celui-ci n’a rien fait contre l’arrestation des autorités. Au contraire, a insisté l’avocat, à son arrivée de Bobo-Dioulasso, il a assumé la paternité des actes de « ses hommes » en prenant la parole en leur nom à une réunion avec le Collège de sages.
« Je refuse d’assumer la paternité de l’arrestation. Il y a eu un dysfonctionnement dans un dispositif. Ceux qui ont enlevé les autorités n’étaient pas seulement du Groupement des unités spéciales (GUS) que je commandais mais de tous les groupements du RSP », a fait comprendre le capitaine Dao.
Pour lui, ce sont les personnes chargées d’exfiltrer le président du Faso en cas de menace qui l’ont enlevé. Quant à Me Séraphin Somé, aussi de la partie civile, il a souligné que le capitaine a prétexté de l’implication de la hiérarchie dans la crise pour ne rien faire contre le putsch. Mais l’accusé a soutenu qu’il n’y pouvait rien face à ses chefs. « J’ai fait de mon mieux pour régler la situation.
C’est à la hiérarchie d’apprécier », a expliqué l’officier. Pour sa part, Me Dieudonné Bonkoungou, l’un des conseils du capitaine Dao, a reproché au parquet de recourir à des procès-verbaux annulés pour charger son client. « Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? », s’est-il adressé au ministère public.
« M. le président, votre tribunal n’est pas saisi d’un tel chef d’accusation. Il n’y a aucun acte de procédure contre le parquet. Ici, il est demandé à Me Bonkoungou de défendre son client », a réagi un parquetier. Passé l’incident, le deuxième conseil du capitaine Dao, Me Maria Mireille Barry, s’en est prise à l’expertise des téléphones et ordinateurs.
Selon ses dires, l’expert a travaillé sur un ordinateur Toshiba alors que celui du son client est de marque HP. En outre, a soutenu l’avocate, l’expert a attribué à l’accusé un numéro de téléphone qui n’est pas le sien. Pour Me Barry, son client n’a pas entériné le coup de force mais a, sur la base de son expérience, opiné que « les choses pouvaient aller très vite ». A l’entendre, le capitaine Dao est la mauvaise star que tout le monde accable de tous les forfaits. L’audition continue ce lundi à 9h.