Bobo-Dioulasso (Burkina Faso),(AFP) - Des amplis, une mixette, un synthétiseur. Ecouteurs sur les oreilles, Jonathan Sougué dit "Johnyto", 25 ans, T-shirt noir "Hatehero", chante du rap et des ballades dans le micro du studio... sous l'oeil intéressé des matons burkinabè.
Condamné à deux ans de prison pour complicité de cambriolage, c'est l'un des 700 détenus de la Maison d'arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MACB) au Burkina Faso, un lieu célèbre pour sa surpopulation carcérale et ses conditions de vie précaires.
"L'école n'a pas marché, parce que je voulais faire la musique... Beaucoup d'histoires, jusqu'à ce que je me retrouve là... J'espère bien un jour être une vraie star et oublier cette vie", explique Johnyto.
Il a été sélectionné en mars parmi quatre candidats lors d'un casting organisé par Freeman Tapily, une star du reggae burkinabè, pour participer à l'enregistrement d'un album dans l'enceinte de la prison.
Pendant trois jours, l'équipe de Freeman a installé son matériel dans la prison. Au programme: enregistrement de cinq titres, séance photo et tournage d'un clip. Un projet financé par le Bureau burkinabè des droits d'auteurs et par African culture, une structure appartenant à Freeman Tapily et qui organise notamment depuis 2010 des concerts de vedettes dans les prisons.
- "Je suis désolé" -
"Ces projets me tiennent à coeur parce que moi j'ai commencé en 2010 à la MACO, la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou, avec (un public de) 1.400 détenus. Aujourd'hui, nous sommes en 2018 et il y a (là-bas) à peu près 2.000 détenus. Ca augmente!", déplore Freeman Tapily.
"Pour que le nombre diminue, il faut qu'on attaque la réinsertion, avec laquelle on va combattre les infractions et le récidivisme, c'est ça notre combat!", assure-t-il.
Il estime qu'en terme de réinsertion, la musique peut faire beaucoup".
"Moi je vis de la musique [...] et je pense que le talent de Jonhyto est trois fois au-dessus du mien. Il va se réinsérer et je pense qu'il pourra même faire réinsérer d'autres personnes, il pourra embaucher des gens", estime Freeman.
Dans le cadre de ce projet d'album, Johnyto a écrit les paroles de ses chansons, en français et en dioula, et dédié le titre principal, "Je suis désolé", à sa mère.
"Je ne savais pas que tu m'aimais autant, je suis désolé oui maman je suis désolé, je suis désolé de t'avoir causé tant de malheurs", chante-t-il.
- "Ne plus revenir" -
La sortie du disque est prévue pour décembre 2018 au plus tard. Une fois l'album prêt, l'équipe de Freeman Tapily lui en confiera une centaine que Jonhyto distribuera et vendra lui-même, comme le font la plupart des artistes burkinabè.
Si l'administration pénitentiaire ne participe pas au financement de cette initiative venue de l'extérieur, elle l'encourage et facilite les démarches.
Pour Pascal Yabré, directeur régional de la Garde de sécurité Pénitentiaire, la réinsertion des détenus fait partie des "priorités" des autorités carcérales: "Le but, c'est de permettre aux détenus une fois dans nos murs de ressortir et de ne plus revenir".
Ainsi, à travers le pays, des formations sont mises en place pour les détenus dans différents domaines tels que le jardinage, l'élevage, la couture, la menuiserie ou encore la savonnerie. Menées sous la direction de la production pénitentiaire, ces activités varient d'une maison d'arrêt à l'autre mais ne concernent finalement que peu de détenus.
"Le problème, c'est qu'on est confronté souvent à des problèmes de moyens, qui font qu'on n'arrive pas (à développer ce type de formations) dans toutes les prisons", reconnaît Pascal Yabré, évoquant les problèmes financiers de l'administration pénitentiaire dans un des pays les plus pauvres du monde.
Pour Freeman Tapily, cette difficulté de financement des projets carcéraux s'explique facilement: "on est dans un pays pauvre où tous les domaines sont prioritaires, donc l'Etat ne peut pas se permettre de mettre trop de moyens dans les prisons. Moi-même si j'étais président, entre construire un nouvel hôpital et une nouvelle prison, je choisirais un hôpital !"