La douce démocratie à laquelle rêvaient les Egyptiens, en déboulonnant Hosni Moubarak, est-elle enterrée à jamais ? Le Nil, le fleuve providentiel de l’Egypte, ne charrie plus les tracts, affiches et drapeaux innocents de manifestations pacifiques, mais le sang de personnes tuées ou blessées. Plus de 400 tués en une seule journée (des milliers selon les Frères musulmans), c’est un véritable massacre indigne d’un pays qui se veut démocratique. Ce bain de sang est-il le prix à payer pour aller résolument vers l’Etat de droit ou est-ce l’expression du retour des années de dictature féroce ? Nul ne peut le dire pour le moment. Toujours est-il que ce bilan, trop lourd, ne fera que creuser davantage le fossé entre les partisans du président renversé Mohamed Morsi et l’armée. Les effets collatéraux de ces affrontements meurtriers sont aussi désastreux pour l’Egypte. Le tourisme, principale source de revenus pour le pays, déjà exsangue, s’arrêtera net, avec les événements actuels. C’est l’économie nationale qui va en prendre un coup, mais ce sont aussi des milliers, voire des millions d’Egyptiens vivant du tourisme qui vont en pâtir. Mais, il y a plus grave. Le déferlement de violences en cours fait planer le spectre d’une guerre civile. L’Egypte a du reste connu, par le passé, une insurrection islamiste dont elle a du mal à s’en sortir. La revoilà donc aux portes d’une guerre civile, à la différence que cette fois-ci, les islamistes se disent avoir été dépossédés d’un pouvoir obtenu à la loyale, au cours d’élections démocratiques. Ils n’ont pas tort, même si leur gestion de ce pouvoir, teinté d’amateurisme et d’extrémisme, a fait peur à une partie des Egyptiens et aux grandes puissances. Les islamistes se disent donc dans leur bon droit et il sera difficile de leur enlever cette conviction de la tête. L’Algérie en sait quelque chose.
Sauf si les modérés au sein des islamistes pèsent de tout leur poids, il faut craindre pour l’avenir de l’Egypte. Car pour le moment, ce sont les faucons des deux camps qui tiennent le haut du pavé. Les islamistes ne jurent que par le retour au pouvoir de leur président, alors que l’armée n’hésite pas à tuer pour faire respecter l’ordre public. Si des fissures sont légèrement perceptibles au sein de la coalition soutenant les militaires (cas de la démission du vice-président Baradei et des condamnations des pays occidentaux), il reste que la fermeté demeure le maître mot de part et d’autre. Outre la dégradation de la sécurité et de l’économie, l’Egypte doit aussi s’interroger sur son avenir démocratique. Visiblement, l’armée est la seule vraie dirigeante du pays. Avec l’état d’urgence, le recul des libertés démocratiques est presque consommé. Jusqu’à quand va durer cet état d’exception ? A quand les nouvelles élections ? Bref, on est loin du scénario idéal, celui où des élections seraient rapidement organisées, pour permettre le retour d’un pouvoir démocratique. Ceux qui rêvaient d’un pays avec les civils au pouvoir et les militaires dans les casernes, comme dans toute bonne démocratie, en ont pour leurs frais. L’Egypte est partie pour un voyage dont seuls les militaires connaissent la destination. Les démocrates qui se sont alliés à elles pour renverser Morsi sont devenus des observateurs d’une situation qui les dépasse. Autant dire qu’ils seront aussi perdants, si l’armée s’accroche au pouvoir, avec une dictature des militaires succédant à celle des islamistes. Dans cette lutte de pouvoir, les plus grands perdants sont les citoyens ordinaires, eux qui arrivaient déjà péniblement à joindre les deux bouts .