Dans la déclaration ci-dessous parvenue à notre rédaction, des organisations féminines de confessions religieuses se disent opposées au projet de légalisation de l’avortement au Burkina. Pour ce faire, elles demandent au gouvernement de s’abstenir de prendre toute initiative allant dans le sens de la banalisation de la vie humaine. Lisez plutôt !
Le quotidien Sidwaya, dans son édition n°8719 du vendredi 24 août 2018, a rendu compte d’une audience que M. Bala Alassane Sakandé, président de l’Assemblée nationale, a accordée au ministre de la Santé, le Pr Nicolas Méda, accompagné de M. Allen Greenberg, président de la Fondation Susan Buffett, le 22 août 2018. Cette audience, largement relayée par les réseaux et médias sociaux, était en fait une action de plaidoyer consistant à sensibiliser le premier responsable de la Représentation nationale sur la nécessité de réviser « les lois afin que la femme et la jeune fille puissent jouir de tous leurs droits », selon Sidwaya.
Ainsi pour le ministre, « permettre à la femme d’avoir tous les droits possibles, c’est lui donner aussi la possibilité d’une interruption sécurisée de la grossesse, quand avoir cet enfant va menacer sa vie ».
Par ailleurs, « Il s’agira […] d’adapter l’arsenal juridique pour permettre aux femmes et aux jeunes filles en détresse, avec une grossesse non désirée, d’avoir accès à une interruption sécurisée de cette grossesse. » Ce partenariat noué sur initiative du ministère de la Santé du Burkina Faso vise aussi à « atteindre la gratuité de la planification familiale au Burkina Faso », à réaliser les « objectifs de son nouveau plan en matière de santé qui sont, entre autres, l’accès des populations aux soins » et à « nous accompagner parce que leur but est en phase avec le programme du président Roch Marc Christian Kaboré en matière de santé et d’accès des populations aux soins essentiels».
Au cours de cette audience, M. A. Greenberg a souligné que « La Fondation Susan Buffett est une organisation philanthropique basée aux USA dont la philosophie est la transformation des sociétés pour l’effectivité des droits des femmes et des jeunes filles, notamment ceux liés à la santé, à la reproduction, au droit de choisir d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant au moment désiré. »
Avant d’en venir au fond des propos du ministre N. Méda et A. Greenberg, il sied de rappeler que l’interruption volontaire de grossesse (l’avortement) est encadrée au Burkina Faso par la loi n° 025-2018 /AN du 31 mai 2018 portant Code pénal et celle n°049-2005/AN du 21 décembre 2005 portant santé de la reproduction. Le Code pénal punit, en son article 513-10, d’une peine d’emprisonnement au moins d’un à cinq ans et d’une amende d’un million à trois millions de F CFA, toute personne qui s’est rendue coupable d’avortement.
Quant à la loi portant sur la santé de la reproduction, elle dispose en son article 21 que l’’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée que dans les cas suivants et sur prescription d’un médecin :
- lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte ;
- à la demande de la femme, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse ;
- lorsqu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité au moment du diagnostic.
Dans ces cas, l’interruption volontaire de grossesse doit se faire dans de bonnes conditions de sécurité.
L’Etat, à travers le ministère de la Santé, a le droit et même le devoir de rechercher, de nouer et de mettre en œuvre des partenariats susceptibles de permettre d’atteindre ses objectifs en matière de santé contenus dans le Plan national de développement économique et social (PNDES).
Tout en reconnaissant à l’Etat ce rôle régalien, nous, femmes des confessions religieuses, estimons avoir aussi le droit et le devoir d’affirmer, en tant que croyantes, notre position face à ce qui n’est, en réalité, ni plus ni moins qu’un plaidoyer en faveur de ce qui est, sous d’autres cieux, l’interruption volontaire de grossesse.
Pour nous, les arguments développés par le ministre Méda pour justifier la nécessité de réviser les lois portant Code pénal et santé de la reproduction sont, du point de vue des religions abrahamiques et dans le contexte de notre pays, éthiquement inacceptables et culturellement inopportuns. De plus, l’avortement a un coût économique, psychologique et physique du fait des traumatismes qu’il engendre immanquablement chez la femme concernée.
Nous, femmes catholiques, évangéliques et musulmanes estimons, en tant que mères et sœurs des autres Burkinabè, qu’infliger un traumatisme psychologique aux femmes et jeunes filles est aux antipodes de la facilitation de l’accès aux soins.
En outre, si cette velléité du ministre devenait réalité, le risque serait grand que, dans un contexte culturel marqué déjà par une dépravation tendancielle des mœurs, d’une part, les acquis du travail de sensibilisation des femmes et des jeunes (filles et garçons) en matière de sexualité et, d’autre part, les résultats de la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles connaissent un sérieux reflux. De même, cette initiative contribue à banaliser la vie humaine, la chose la plus sacrée que nous ayons sur terre.
Quant à l’affirmation selon laquelle cette démarche en direction de la représentation nationale est « en phase avec le programme du président Roch Marc Christian Kaboré en matière de santé et d’accès des populations aux soins essentiels», nous sommes fondées d’en douter car le PNDES souligne que pour atteindre les objectifs dans le domaine de la santé de la population, « Les principales actions … consisteront en l'amélioration de la qualité et de la quantité de l'offre des services de santé, en la réduction des inégalités régionales d'accès à la santé, au renforcement du système d'information sanitaire, en la mise à disposition des ressources humaines et des infrastructures aux normes internationales et en la bonne gouvernance des établissements de santé. » (p. 40) Quid alors de la révision des instruments juridiques relatifs aux grossesses non désirées ?
En fait, le droit de choisir d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant au moment désiré, ne peut s’exercer qu’avant toute conception de la vie sauf en cas de viol ou de relation incestueuse. Ce dernier cas est déjà pris en compte à l’alinéa 2 de l’article 21 de la loi n°049-2005/AN du 21 décembre 2005 portant santé de la reproduction. Le défi à relever aujourd’hui n’est pas de réviser les lois, mais d’accentuer l’œuvre de sensibilisation sur la santé sexuelle et reproductive.
Au regard de ce qui précède, nous, femmes croyantes du Burkina, qui donnons la vie et œuvrons à la sauvegarder :
- Recommandons au gouvernement de s’abstenir de prendre toute initiative tendant à réviser la loi n° 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal et celle n°049-2005/AN du 21 décembre 2005 portant santé de la reproduction, dans une perspective de légalisation de l’avortement ou de l’interruption volontaire de la grossesse.
- Interpellons l’Assemblée nationale (les députés) sur son devoir de légiférer conformément à la volonté du peuple qui l’a élue.
- Lançons un appel aux différentes organisations de croyants et de croyantes ou non, qui promeuvent la vie, d’unir leur voix à la nôtre pour le rejet catégorique de toute tentative de révision de la loi n° 025-2018/AN portant Code pénal et celle n°049-2005/AN portant santé de la reproduction telle que l’envisagent M. le ministre de la Santé et ses partenaires ; si tant est que cette révision vise la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse au Burkina Faso.