Vols par effraction, vols à l’arrachée, vols d’engins, cybercriminalité et drogue sont des cas d’insécurité vécus à Ouagadougou. Une analyse de la situation avec un homme de terrain ; le commissaire Rasmané Ouangraoua, préfet de la ville de Ouagadougou, montre que plusieurs fléaux monstrueux s’attaquent à la jeunesse.
La paisible capitale du pays des Hommes intègres a beaucoup évolué. Les brigands, qui n’existaient naguère que sur les écrans, sont devenus une réalité d’à-côté. Les problèmes de sécurité sont passés au stade de « préoccupations majeures énormes », selon le commissaire divisionnaire de police, Rasmané Ouangraoua, préfet de police de la capitale depuis décembre 2011.
Patron du commissariat central de Ouagadougou de 1995 à 2004, M. Ouangraoua a expliqué que la drogue, les vols, la cybercriminalité et l’insécurité routière sont les « préoccupations majeures » dans la capitale, des monstres qui détournent les jeunes pour mieux les engloutir.
Sur la sécurité routière, il a rappelé que la route tue et blesse énormément et doit être une « priorité » à « regarder » sérieusement. « Il y a trop d’accidents dans la circulation » s’inquiète-t-il. Il indique que plusieurs pères de famille, satisfaits des performances scolaires de leurs enfants, ont tendance à leur offrir des motos en cadeaux, sans avoir testé leur capacité à circuler dans une grande ville carrefour, où grouillent taxis, charrettes, tricycles, cars, citernes, et un parc important d’autos, de motos et de vélos. Par ces temps de vacances, on les voit à deux ou à trois sur chaque moto, roulant en zigzag et en groupes à vive allure.
Le commissaire estime que « la méconnaissance du code de la route aggrave cette situation » ; mais il sait aussi que la consommation d’alcool et de drogue est plus grave encore. En 2012, les forces de sécurité ont saisi 17 tonnes de cannabis, 3 kg de cocaïne, 8 tonnes de médicaments de la rue. Parmi ces médicaments, figurent en bonne place les amphétamines, les fameux « bleus-bleus ».
Des jeunes s’y adonnent à cœur joie. Selon des témoignages, ils commencent souvent par la cigarette, l’alcool, puis arrivent à des combinaisons nescafé-alcool, amphétamine-nescafé, nescafé-alcool-amphétamine. Certains s’essaient à sniffer de la dissolution collante. Le passage à la drogue n’est qu’un passage de grade avec l’idée qu’ils appartiennent désormais à un monde craint.
Le commissaire Ouangraoua appelle à « sensibiliser ces jeunes qui doivent assurer les arrières-gardes et la destinée de ce pays afin qu’ils s’abstiennent de prendre ces amphétamines, ces drogues dures et autres ».
Des armes et de la drogue dans des écoles
Son inquiétude est d’autant plus justifiée que la drogue et les armes se retrouvent dans les écoles. En mai dernier, la gendarmerie de Boulmiougou avait présenté trois dealers présumés qui participent à la vente de la drogue dans les écoles. Parmi leur client, un élève de 3e qui a permis de remonter les ficelles pour montrer publiquement la face hideuse de cette réalité au sein des établissements de Ouagadougou en particulier.
On peut raisonnablement mettre le lien entre la drogue et l’existence des gangs d’élèves. Romain Joël Ouédraogo, élève d’à peine 15 ans au lycée Saint Viateur a été tué en janvier 2013. Les forces de sécurisé avaient interpellé des élèves membres de « Marley Family », un gang tirant son nom du célèbre reggaeman Bob Marley, connu pour son addiction à la drogue. « Capital du crime », gang rival des « Marley family », avait été évoqué, mais sans lien avec Romain.
Pour le préfet de police, la drogue est certes un « phénomène nouveau » Ouagadougou étant jusqu’à récemment un lieu de transit et non une destination finale. Mais regrette-t-il, « malheureusement la consommation est en train de prendre de l’ampleur, que ce soit au niveau des établissements scolaires ou au niveau de certains milieux jeunes ».
Qu’à cela ne tienne, la violence s’est emparée des élèves, prêts à brûler leurs propres classes pour soutenir une grève de leurs enseignants, comme c’était le cas le 10 mai 2013 à Ouagadougou.
On reste perplexe face à l’audace de ces élèves qui ont séquestré trois éléments de la police anti-émeute qu’ils ont pris en otage, le 30 novembre 2011 à Ouagadougou. Leurs propos font plutôt penser à une inversion des rôles. « Nous les avons arrêtés depuis ce matin à 8 heures et enfermés dans le bureau du proviseur tout en prenant soin de retirer leurs téléphones portables afin d’éviter tout contact avec leur base ». D’autres élèves ont attaqué des commissariats entiers.
La multiplication des initiatives pour contenir la violence des élèves est le signe même que quelque chose ne va pas dans ces milieux. Le 16 mars 2009, un élève de la classe de 4e au lycée Newton-Descartes de Ouagadougou, avait été fauché malencontreusement en classe par un camarade qui détenait un pistolet.
Des élèves s’organisent contre la violence
Le gouvernement n’avait pas hésité, un mois plus tard, à mettre en place un Conseil national pour la prévention de la violence à l’école (CNPVE). Cette année encore, le ministre en charge des enseignements secondaire et supérieur, Moussa Ouattara, a installé un comité restreint de réflexion sur la violence scolaire en mai 2013.
Les élèves eux-mêmes s’inquiètent et s’organisent. On a ainsi assisté à la naissance le 11 avril 2013, de l’Association des scolaires contre la violence dans les établissements (ASCVE) qui regroupe les principaux établissements secondaires de la capitale : le lycée Philippe-Zinda Kaboré, le lycée Marien-N’Gouabi, le lycée technique Amilcar-Cabral(LTAC), le lycée Song-Taaba...
Plus récemment, le 6 juillet 2013, le Comité national des élèves et étudiants sages et fair-play (CNEES-FP) a été installé pour promouvoir la paix en milieu scolaire et universitaire.
La drogue, la violence et les excitants de toute nature touchent les élèves et c’est toute la jeunesse qui est atteinte. Les quelque 2500 jeunes de 6 ans à 25 ans vivant dans la rue de Ouagadougou, selon des estimations de l’Association nationale pour l’éducation et la réinsertion sociale des enfants à risques, sont davantage exposés. Il en est aussi ainsi des jeunes désœuvrés.
L’une des conséquences, c’est la multiplication des vols des motos, qui, selon le commissaire Ouangraoua, s’écoulent rapidement et souvent au-delà des frontières. « Que ce soit au niveau des unités de police ou de gendarmerie, on a eu à présenter un nombre effroyable d’engins à deux roues retrouvés entre les mains de malfaiteurs », a-t-il dit.
Il y a aussi les vols à l’arrachée, un « phénomène récurrent », de l’avis de l’officier de police et face auquel, il est demandé aux dames, cibles privilégiées des attaques, de porter leur sac à droite.
Sur le plan individuel, on assiste à des troubles de comportement qui aboutit parfois à la débilité.
Rasmané Ouangraoua est catégorique : « Tous tirent leurs sources de la drogue » et cela favorise l’apparition d’autres types de violences.
Les braquages, une forme de violence importée
Parmi ces nouveaux types de violences, il y a les braquages, « une forme de violence importée », il y a une quinzaine d’années de l’avis de l’expert. « Il ya peut-être 10-15 ans, vous pouviez marcher 40 km hors de Ouagadougou et voyager tranquillement », se souvient-il.
Mais la lutte lancée contre l’insécurité sur toutes ses formes, à travers des patrouilles, des opérations de ratissage, a plus ou moins sécurisé les voies. « Comme ils voient que les voies sont sécurisées, les délinquants se déplacent dans les domiciles ».
La cybercriminalité est aussi un phénomène récent à Ouagadougou mais déjà classée « préoccupation majeure » par les services de police et de gendarmerie. Les téléphones et l’internet sont les moyens privilégiés pour entrer en contact avec leurs victimes. Les cybercriminels sont capables d’intercepter des messages et de pirater des adresses qu’ils exploitent pour lancer leur offensive, selon le commissaire Ouangraoua. « S’ils vous approchent, ils arrivent à vous convaincre à travers des propositions alléchantes…vous ne voulez pas que quelqu’un d’autre l’apprenne alors qu’en réalité, c’est de la supercherie », explique le préfet de police.
Toutes ces pratiques ont fini par installer une certaine méfiance systématique des uns à l’égard des autres. La psychose s’est parfois invitée dans la capitale avec comme référence, l’histoire de l’homme à la hache. Dans cette affaire, l’officier de police déplore le manque de témoignages et la culture de la non-dénonciation malgré des numéros verts comme le 10-10. « Je ne dis pas que ce type-là aurait pu être interpellé dès les premiers moments », explique-t-il. Mais si la population avait collaboré suffisamment, il pense que le coupable aurait été arrêté. « Lorsque l’opinion publique laisse entendre que l’auteur de ces actes est invisible, c’est assez compliqué déjà », déplore-t-il.
Il appelle donc les populations à attirer systématiquement l’attention de la police ou de la gendarmerie sur les voisins et parents de « mauvais esprit », « malhonnêtes » ou oisifs et qui se retrouvent du jour au lendemain avec des biens de grandes valeurs.
Même si beaucoup restent hésitants devant des cas suspects, un exemple a été donné par la famille de l’élève de 3e consommant la drogue. Si les Ouagalais veulent être en sécurité, il ne leur reste qu’à renseigner et collaborer au mieux avec les forces de l’ordre car « les policiers et les gendarmes ne peuvent pas seuls lutter contre l’insécurité » de l’avis même du chef de la sécurité intérieure de la capitale.