Paris - Après deux journées en garde à vue, le milliardaire français Vincent Bolloré est ressorti mercredi soir du bureau des juges financiers parisiens avec une mise en examen retentissante pour "corruption", dans une enquête sur les conditions d'attributions de ses concessions portuaires en Afrique de l'Ouest.
"Vincent Bolloré qui reste présumé innocent pourra avoir enfin accès à ce dossier dont il n'a jamais eu connaissance et répondre à ces accusations infondées", a déclaré son porte-parole dans un communiqué annonçant la mise en examen.
L'homme d'affaires de 66 ans, qui avait été placé en garde à vue mardi matin dans les locaux de la police anticorruption à Nanterre, a été mis en examen pour "corruption d'agent étranger" et complicité d'"abus de confiance" et de "faux et usage de faux", a-t-on appris de source judiciaire.
Cette mise en examen, rarissime pour un chef d'entreprise français d'une telle envergure, a été décidée par les juges Serge Tournaire et Aude Buresi, connus pour avoir récemment poursuivi Nicolas Sarkozy dans l'affaire du financement libyen de sa campagne de 2007.
Le chef d'entreprise, encore aux commandes du groupe Bolloré mais qui vient de céder à son fils Yannick les rênes du géant de la communication Vivendi, est ainsi rattrapé par cette vaste enquête qui cible également deux cadres de son groupe, placés avec lui en garde à vue à Nanterre.
Présenté à son tour aux juges, le directeur général de Bolloré, Gilles Alix, a été mis en examen pour les mêmes chefs que son patron. Jean-Philippe Dorent, responsable du pôle international d'Havas, filiale du groupe, est lui poursuivi pour "abus de confiance" et "faux et usage de faux" mais échappe aux poursuites pour "corruption", a annoncé à l'AFP son avocat Hervé Témime.
Un quatrième homme placé en garde à vue mardi à leurs côtés, l'entrepreneur Francis Perez, a, lui, été remis en liberté mercredi vers 14H00 sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui, a annoncé son avocat, Me Jean-Robert Phung.
- "Sans autre forme de procès" -
Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi soupçonnent le groupe Bolloré d'avoir utilisé les activités de conseil politique de Havas afin de décrocher la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée, via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.
SDV a obtenu la gestion du port de Conakry quelques mois après l'élection d'Alpha Condé fin 2010, et avait remporté la concession à Lomé peu avant la réélection en 2010 de Faure Gnassingbé, qui étaient alors tous deux conseillés par Havas.
S'appuyant en particulier sur les documents retrouvés lors des perquisitions de 2016 au siège du groupe Bolloré, les magistrats soupçonnent Havas d'avoir sous-facturé ses services rendus aux deux candidats victorieux pour obtenir, en contrepartie, la gestion des concessions portuaires, selon Le Monde.
A chaque fois, la désignation de SDV a entraîné à une bataille judiciaire avec les anciens gestionnaires. S'agissant de Conakry, le français Necotrans avait, dès mars 2011, déposé une plainte pour "corruption internationale", rapidement classée sans suite par le parquet de Paris.
Bolloré avait fini par être condamné en 2013 à Nanterre à verser plus de 2 millions d'euros à Necotrans. Le groupe avait toutefois été placé en redressement judiciaire en juin 2017 avant d'être racheté par Bolloré.
Les soupçons sur les activités africaines de Vincent Bolloré ont aussi été nourris par les plaintes d'un de ses anciens associés, le Franco-Espagnol Jacques Dupuydauby, évincé du port de Lomé en 2009.
Mardi, le groupe Bolloré avait déjà "formellement" démenti avoir commis des irrégularités en Afrique, où il gère 16 terminaux portuaires.
"Les concessions obtenues au Togo l'ont été en 2001, bien avant l'entrée du groupe dans Havas, et en Guinée, en 2011, à la suite de la défaillance du n°1 (le groupe étant arrivé en seconde position lors de cet appel d'offres), défaillance constatée avant l'élection du président", a fait valoir le groupe.
"Bolloré remplissait toutes les conditions d'appel d'offres. C'est un ami, je privilégie les amis. Et alors ?", s'était toutefois justifié Alpha Condé au journal Le Monde en 2016.