L’interrogatoire des accusés du putsch de 2015 s’est poursuivi, les 6 et 7 juillet 2018, à la salle des Banquets de Ouaga 2000.
A la barre, l’adjudant-chef Moussa Nebié et l’adjudant Ouekouri Kossé, contre lesquels sont retenues des charges d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, complicité de dégradation volontaire aggravée de biens. Pour sa part, Rambo reconnaît l’arrestation du président Kafando et nie en bloc, comme Kossé, les autres faits.
L’adjudant-chef de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), Moussa Nébié dit Rambo a 53 ans. Il est marié et père de quatre enfants. Il a comparu devant la Chambre de 1re instance du Tribunal militaire, les 6 et 7 juillet 2018, pour répondre des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, du meurtre de 13 personnes, de coups et blessures sur 42 personnes, d’incitation de plusieurs militaires à commettre des actes contraires à la discipline et de complicité de dégradation des biens.
«Reconnaissez-vous ces faits ? », a demandé le président du Tribunal, Saïdou Ouédraogo. « Je reconnais seulement avoir arrêté l’ex- président, Michel Kafando mais pour les quatre autres chefs d’accusation, je plaide non coupable », a répondu l’accusé Moussa Nebié. « Pourquoi aviez-vous agi ainsi ? », lui a demandé le président du tribunal.
« J’étais de garde le jour du 16 septembre 2015. Dans l’après-midi, j’ai reçu un coup de fil du major Eloi Badiel me demandant de venir au palais. Je suis arrivé 5mn après le coup de fil. Arrivé au lieu du regroupement sous le hall du palais, j’ai reçu l’ordre du major de ramener le président Kafando à la résidence.
Alors, j’ai démarré mon véhicule en compagnie de Jean Florent Nion et deux autres personnes. Le gouvernement était au 1er étage, Wekouri Kossé m’a ouvert la porte. Pour amener le président à me suivre sans ambages, je lui ai dit : Excellence nous sommes attaqués, je dois vous mettre en lieu sûr.
Chose qu’il a faite sans poser de question. Accompagné de son garde du corps, Mohammed Siguiri et de son chauffeur, il a été conduit à la résidence. Jean Florent Nion, lui, a reçu l’ordre d’arrêter l’ex-Premier ministre Yacouba Isaac Zida », a raconté Rambo. Et de poursuivre qu’il a suivi le véhicule du président jusqu’à sa résidence.
C’est en partance pour la résidence que Nion a reçu un coup de fil lui demandant de ramener le ministre Réné Bagoro. Une fois à la résidence, M. Badiel a ordonné d’aller chercher le général Gilbert Diendéré à son domicile, et Rambo s’est porté volontaire. « Je me suis porté volontaire pour le faire. On est revenu ensemble à la résidence. Puis, je suis reparti au poste de commandement du camp Naaba-Koom. J’y suis resté jusqu’au 1er octobre 2015 », a souligné l’accusé.
« J’assume mon acte »
« Pourquoi avoir fait ce coup d’Etat ? », a interrogé M. Ouédraogo. « J’ai exécuté un ordre émanant de mon supérieur », a expliqué Rambo. En agissant ainsi, a-t-il poursuivi, il pensait qu’il s’agissait de régler le différend qui existait entre l’ex-Premier ministre et l’ex-RSP car tout portait à croire qu’au sortir du Conseil des ministres, un décret serait pris pour dissoudre le RSP. C’est le 17 septembre 2015, après le communiqué passé dans les medias, a confié l’accusé, qu’il a su que c’était un coup d’Etat et que le général endossait la paternité.
« Et comment vous vous êtes senti après cela ? », a questionné le procureur militaire, Alioun Zanré. « J’ai éprouvé un sentiment de fierté, d’honneur d’avoir accompli un ordre qui m’a été confié. J’assume mon acte. Certes, je regrette la mort des 13 personnes mais si c’était à refaire je le ferai sans hésiter », a-t-il soutenu.
«Est-ce donc une fierté dans une République d’arrêter un président ? », a poursuivi le procureur militaire. « Oui. Parce que c’est un ordre d’un supérieur hiérarchique. Dans l’armée, on exécute les ordres sans murmures », a-t-il confié. « Mais pourquoi n’avoir pas répondu à l’appel de la hiérarchie militaire qui demandait aux soldats du RSP de rendre les armes ?», a rétorqué Me Prosper Farama.
Selon l’accusé, il était sur la liste des personnes recherchées. C’est pourquoi, il a préféré se cacher à la résidence de l’ancien président Blaise Compaoré. Pour le procureur militaire, l’accusé n’a pas exécuté un ordre, car l’ordre vise toujours l’intérêt du service public alors que M. Nebié n’a agi que dans son intérêt. Et son avocat, Me Solange Zeba d’affirmer que son client ne reconnaît qu’un seul chef d’accusation et c’est à cela qu’il s’en tient. Par conséquent, il ne peut être jugé que sur ce fait et non les autres.
« Certains ont profité de la pagaille pour tuer … »
A l’audience du samedi 7 juillet 2018, l’interrogatoire de l’adjudant-chef Moussa Nébié s’est poursuivi, portant sur les circonstances de sa rencontre avec Minata Guelwaré, une des accusés. Interrogé sur ses liens avec cette dernière, il a dit n’avoir jamais rencontré dame Guelwaré avant le coup d’Etat de 2015.
« Un soir, elle est venue avec d’autres jeunes pour voir le général Gilbert Diendéré après le coup d’Etat », a laissé entendre l’accusé. Sur le type de relation qu’il entretenait avec Minata Guelwaré, Rambo a expliqué qu’elle lui fournissait des informations sur tout ce qui se passait en ville comme les attroupements des jeunes, la casse et aussi la position et le mouvement des troupes loyalistes qui avaient pris la direction de Ouagadougou.
« Je l’ai envoyée à Zorgho pour me renseigner sur l’avancée des forces loyalistes », a-t-il affirmé. Est-ce qu’elle vous a renseigné sur le studio Abazon et du domicile de Salifou Diallo ? « Négatif», répond l’adjudant-chef, à cette question des parquetiers. Mais que faisait-il avec les informations qu’il obtenait? Il a répondu, « rien ».
Au cours de l’interrogatoire, le conseil de la partie civile et le parquet militaire sont revenus sur les autres chefs d’accusation que sont l’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre et complicité de meurtre, coups et blessures volontaires, dégradation aggravée de biens et l’incitation à commettre des actes contraires à la discipline militaire.
Moussa Nebié a dit n’avoir donné d’ordre à personne, n’avoir tué personne ou porté la main sur personne. « J’ai fait sortir le président Michel Kafando de la salle du Conseil des ministres sans brutalité », a-t-il affirmé. Et d’ajouter que l’ex-RSP n’est pas responsable des morts pendant le coup d’Etat de 2015.
« Certains ont profité de la pagaille pour tuer et mettre cela sur notre dos », a-t-il soutenu. Mais le parquet militaire, sur la base de l’article 67 du Code pénal, estime que l’adjudant-chef Moussa Nebié est coupable des faits qui lui sont reprochés. La défense de l’accusé, maître Solange Zeba, a rétorqué qu’aucune preuve de ce que le Tribunal militaire a avancé, n’est établi et que par conséquent, son client ne peut être tenu responsable de ce dont il est accusé. A la suite de l’adjudant-chef Nebié, l’adjudant Ouekouri Kossé a été appelé à la barre.
« Profiter pour zapper »
Les charges retenues contre lui sont, entre autres, attentat dans le but de renverser un gouvernement légal, attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, enlèvement du gouvernement, coups et blessures, destruction aggravée de biens.
Il a nié en bloc toutes les accusations avant d’expliquer son rôle dans cette affaire. En effet, il a indiqué être revenu à la Présidence le 16 septembre 2015 à la suite d’un coup de fil du major Eloi Badiel. Celui-ci l’aurait ensuite informé qu’il tenait un ordre du général Diendéré pour arrêter le Premier ministre, Isaac Zida.
Après quoi, l’ordre lui a été donné de se joindre au sergent-chef Laougo Zerbo et d’autres jeunes militaires pour une mission d’observation de l’aile ouest de la Présidence du Faso.
Il a signifié au Tribunal qu’il a simulé une excuse pour aller chercher sa tenue à la maison afin de pouvoir fuir mais il n’a pas pu. « J’ai eu peur de la mission d’arrêter Isaac Zida et je voulais profiter pour ‘’zapper’’ mais je n’ai pas pu », a-t-il confié.
Selon l’avocat de l’adjudant Kossé, maître Timothée Zongo, s’il est vrai que M. Zida a été arrêté une fois par le RSP sans qu’il n’y ait eu un coup d’Etat, l’ordre donné à son client d’arrêter Isaac Zida ne saurait être compris comme un coup d’Etat par celui-ci. C’est sur ces mots que la défense a demandé une suspension de l’audience. Elle reprend ce matin du lundi 9 juillet à 9 heures.