Dans cette tribune, le metteur en scène et comédien burkinabè Ildevert Méda fait une «lecture libre» de la cérémonie d’ouverture de la décade des 40 ans de l’Atelier théâtre burkinabè.
«Il est six heures du soir en ce vendredi quinze juin. La rumeur festive vespérale du quartier Gounglin de Ouagadougou s’estompe à mesure que le ramadan rabat ses volets, coïncidant comme par enchantement, avec l’ouverture des portes de la salle ‘’Alliance 2000’’ de l’Atelier Théâtre Burkinabé (ATB) ; Ce Théâtre gradiné en plein air avale ainsi son monde venu participer à la cérémonie d’ouverture de la décade de célébration des quarante ans de l’ATB. Un public qui se verra servi à la hauteur de l’évènement. Pendant l’accueil et l’installation, le voici bercé par les sonorités envoutantes de l’orchestre ‘’BAOBAB’’ donnant ainsi le « La » à une soirée belle et pleine de partage.
Dès l’entame de la cérémonie, l’assistance a droit à ce rituel désormais estampillé ‘’ATB,’’ du fait de la récurrence de sa pratique dans ce lieu emblématique du Théâtre burkinabè, celui du « zom koom » offert aux hôtes dans des calebasses, un breuvage onctueux dont nous nous garderons de commenter le goût pour ne pas rendre jaloux les absents.
Ce rituel savamment chorégraphié et soutenu par ce chant polyphonique légendaire du patrimoine moaga ‘’M’ data san’n bélé’’ dont la sémantique traduit à la perfection l’hospitalité congénitale des gens du pays des hommes intègres. Après cet épisode de tendre convivialité, vint le second rituel prévu dans le déroulé du programme de la soirée : celui de l’ouverture des portes menant à la décade prévue pour célébrer les quarante ans de l’ATB.
Un rituel dont la modestie et la simplicité dans son déploiement esthétique n’ont d’autre effet que de mieux brandir sa force symbolique à la face des consciences en présence.
Tentons une reconstitution : deux battants d’une porte placée par stylisation au milieu de la scène, la serrure de la porte est par suggestion hermétiquement bloquée, il faut alors la clef pour l’ouvrir. Dans un premier temps, arrive un monsieur, la condition sociale lisible par son accoutrement et par la panse nettement rebondie au-dessus de la ceinture ; on devine par approximation son âge à la couleur de sa barbe grisonnante.
Notre monsieur, imbu de lui-même et de sa puissance, tentera vainement, même pas encore d’ouvrir la porte, mais de se saisir de la clef qui le lui permettra. En désespoir de cause, il poursuit son chemin tout honteux et perplexe. Et c’est à ce moment qu’arrivent deux enfants, des gamins devrons nous dire, une fille et un garçon, pour bien marquer la double complémentarité (numérique et de sexe) qui, sans le moindre effort, soulèvent la clef mystérieuse sous les yeux ahuris de tous.
On ne peut qu’être saisi par le sensationnel de cette petite scène qui nous émeut, mais on l’est davantage par l’acuité de sa triple symbolique qui crèverait les yeux d’une taupe et brillerait dans l’esprit d’un simplet :
- Les mains juvéniles réunies sous nos yeux nous disent tout de la valeur d’être ensemble.
- La couleur de l’épiderme de ces deux enfants nous suggère une certaine couleur probable du futur, lorsque tous se seront guéris d’un certain purisme et d’un conservatisme antédiluvien leur commandant le rejet de la différence et des autres. En effet, la couleur de la peau de ces deux enfants exprime l’inexorable rencontre des natures, de nos natures qui produira la population de l’avenir. Cet avenir là n’appartient-il pas au métissage ? quoi de plus expressif pour ouvrir la porte qui mène vers demain ?!
- Quant à la réussite même de l’action de se saisir de la clef par opposition à notre monsieur ; elle nous en dit de la valeur qui, comme l’a évoqué Pierre Corneille au dix-septième siècle, « … n’attend point le nombre des années. »
Etonnant n’est ce pas dans un contexte où la gérontocratie semble de mise, où l’on confond parfois ancienneté et expérience ? surprise parfaite aussi quand on sait que la plupart des intellectuels ont consacré l’élision de l’essentiel dans le propos du sage Amadou Hampaté Ba, pour ne conserver que la désormais célèbre particule disant : «
En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Ce petit rituel rectifie à jamais cet effet réducteur largement partagé et nous ramène à l’authenticité de la maxime du vieux sage qui rajouta à cette occasion-là à l’UNESCO : « … mais je ne parle pas de la barbe blanche, je parle du savoir et de la sagesse car il y’a des gamins de soixante-dix ans et des vieillards de dix-sept ans ».
Cette cérémonie officielle, par son déroulé minutieusement pensé et exécuté à la perfection aura nourri les deux cerveaux de chacun dans l’assistance, comme sait si bien le faire l’art. N’est-ce pas d’ailleurs ce que l’ATB a passé ces quarante dernières années à faire ? quarante ans d’éveil des consciences de nos concitoyens, quarante ans de participation au divertissement nécessaire à l’équilibre psycho-social de nos populations, quarante ans à créer pour nos nations un imaginaire qui leur est propre et qui leur ressemble, quarante ans à forger par la sensibilisation ‘’le vivre ensemble’’ même si on ne mesure parfois l’apport de cette valeur que lorsque celle-ci vient à manquer terriblement.
C’est pour cela du reste, qu’on ne peut s’empêcher de déplorer l’absence très présente (ce n’est pas pour l’oxymore, c’est pour être juste dans la description) de nos autorités publiques à cette cérémonie. Toute déférence faite aux différents responsables d’institutions et de structures artistiques, culturelles ou de l’enseignement que nous y avons trouvés, toute déférence faite à Monsieur le Directeur de cabinet du ministre en charge de la culture ayant représenté à l’occasion sa haute hiérarchie, et qui a du reste présidé par défaut la cérémonie, mais tout de même, un évènement de ce type méritait, à notre humble avis, une plus grande attention au plus haut niveau de l’état.
Monsieur Prospere KOMPAORE, directeur fondateur de l’ATB a du légitimement s’attendre à mieux, après tant d’années passées à bâtir autant de cerveaux et à façonner certains des meilleurs de notre société.
Toutefois, si d’aventure son moral s’est trouvé troublé par cet état des choses, puisse-t-il en son for-intérieur, penser, pour compenser et se consoler, à la multitude d’artistes venus des quatre horizons pour soutenir la commémoration de ces quarante ans de combat et de semence. Professeur, cette foule venue de partout vous crie du fond de ses tripes BRAVO !!! Alors, ne baissez pas les bras, retroussez encore et encore les manches et en avant ! la tâche n’entamera pas de sitôt son épilogue !
Semez encore et encore, sans relâche. Il n’est nul repos prévu pour vous que celui réservé aux bâtisseurs de consciences, celui de la dernière demeure et n’oubliez surtout pas : « l’artiste est le sel de la terre, celui qui vit que l’on goute, qui meurt et que l’on oublie ». Ce n’est pas un sort, c’est notre condition commune, implacable, et cela n’empêchera pas la terre de tourner ni le soleil de se lever à l’est.
Nous devons alors continuer de pétrir en silence l’avenir avec nos soupirs, notre sang, notre solitude et notre sueur, avec nos espoirs aussi, car comme le dit Sonia, le personnage du dramaturge Russe Anton Tchekhov dans sa pièce Oncle Vania : « nous devons supporter patiemment les épreuves… et quand notre heure viendra, nous partirons sans murmure et nous dirons dans l’autre monde que nous avons souffert, que nous avons été malheureux, et Dieu aura pitié de nous… et nous nous reposerons ».
Pour notre part, nous rendons hommage à tous ceux, absents ou présents, qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à ce que tout cela soit et que vive encore pour longtemps la pratique théâtrale au pays des hommes intègres.
Quant à nos autorités, qu’elles se sentent toujours les bienvenues, il n’est nulle offense qui ne soit pardonnable, il n’y a nulle faute qui ne soit réparable, surtout tant qu’une décade fera dix jours.
Joyeux anniversaire à l’Atelier Théâtral Burkinabé et… au suivant de ces épisodes. »