Mariam Nonguerma/ Zorome, présidente de l’association burkinabe des sages-femmes « La durée des enquêtes empêche souvent les filles violées de bénéficier de l’avortement légal et sécurisé»
Mariam Nonguerma/Zoromé, présidente de l’Association burkinabè des sages-femmes et présidente du conseil d’administration (PCA) du groupe La communauté d’action pour la promotion de la santé sexuelle et reproductive (CAPSSR), à travers cette interview qu’elle nous a accordée le 3 juin 2018, nous parle de l’avortement légal et sécurisé au Burkina. Lisez !
« Le Pays » : Quelle définition pouvez-vous donner de l’avortement de façon générale ?
Mariam Nonguerma : Un avortement, c’est l’expulsion de produit de conception (le fœtus et ses annexes) avant 22 semaines de grossesse. Cette définition ne concerne que le Burkina. Mais ailleurs, à 22 semaines, on peut toujours faire l’avortement.
Existe-t-il plusieurs types d’avortement au Burkina ?
Oui, il y a l’avortement spontané : c’est le cas où une femme est enceinte et perd spontanément sa grossesse. Il y a aussi l’avortement thérapeutique : la femme est enceinte et les médecins décident d’interrompre la grossesse pour une raison définie par un conseil de personnes. Cela peut être à cause d’une incompatibilité avec la vie de la mère ou même que l’enfant que cette dernière porte, n’est pas un enfant viable. Il existe aussi l’avortement provoqué ou clandestin. Ce genre d’avortement est le cas d’une femme qui est enceinte, qui trouve qu’elle ne peut pas garder la grossesse et qui décide de l’interrompre d’une manière ou d’une autre de façon clandestine.
Quelle est l’ampleur de l’avortement clandestin au Burkina ?
L’ampleur de l’avortement clandestin est grande au Burkina, vu le désastre que ce type d’avortement provoque, notamment les hémorragies, les infections et souvent des perforations de l’utérus et même des décès. Il arrive que des filles viennent dans nos centres de santé dans des situations très désastreuses, avec des hémorragies dues à l’avortement. Mais quand elles se présentent, elles n’avouent pas que c’est dû à un avortement clandestin provoqué. Et c’est suite au diagnostic qu’on se rend compte que c’est un avortement provoqué clandestinement. Du coup, on ne se contente pas de faire une différence entre les types d’avortements, mais on s’emploie à thérapie adéquate pour sauver la vie de la mère et de l’enfant.
Vous êtes l’une des promotrices de l’avortement légal et sécurisé au Burkina. Qu’est-ce que l’avortement légal et sécurisé ?
Au Burkina Faso, on a une loi qui permet d’interrompre une grossesse. Comme je le disais tantôt, il arrive qu’une grossesse mette la vie d’une femme en danger et au prix de sa vie donc, la loi autorise l’interruption de ce genre de grossesse. Il arrive aussi que la femme ou la jeune fille soit victime d’un viol et si elle est enceinte et que le viol est prouvé, un collège de médecins peut décider d’interrompre la grossesse. Il arrive aussi que si la vie de l’enfant qui va naître n’est pas compatible avec celle de la mère, on interrompe la grossesse. C’est le cas souvent d’un enfant fortement malformé, c’est-à-dire polymalformé. Si une jeune fille tombe enceinte par inceste, autrement dit si l’auteur de la grossesse est son frère ou son père, la loi lui permet d’avorter. Ce sont ces quatre cas de figures que la loi autorise pour faire un avortement.
Est-ce que l’avortement légal et sécurisé est connu de l’opinion publique ?
Justement, c’est le but de la CAPSSR, parce que l’opinion publique ignore qu’il existe un avortement légal et sécurisé. Même les victimes des types de grossesses cités plus haut ne savent pas qu’elles peuvent avorter, surtout dans les cas d’inceste et de viol. Les victimes préfèrent se suicider ou accoucher et abandonner leur bébé que d’en parler, car elles ne savent pas qu’il existe une loi qui les protège.
Où se fait ce type d’avortement et à quel prix ?
L’avortement légal et sécurisé se fait dans les centres hospitaliers, mais il y a des examens préalables que les médecins demandent de faire. Surtout pour le cas des enfants polymalformés, qui nécessitent des échographies et autres examens complémentaires. C’est la même chose pour les cas de viol. Mais, il faut que le viol soit prouvé par un médecin et que les services judiciaires fassent des enquêtes. L’avortement légal et sécurisé se fait surtout là où il y a des médecins, car une sage-femme seule ne peut pas décider, dans un CSPS, de statuer sur un cas de grossesse et faire l’avortement. Elle doit obligatoirement se référer à un médecin qui va statuer. Avant que la gratuité des soins chez les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans ne soit instaurée, le kit pour l’avortement légal et sécurisé coûtait 3 600 F CFA. Mais cela est inclus dans la gratuité et se fait maintenant à 0 F CFA.
Quelles sont vos actions pour davantage faire la promotion de l’avortement légal et sécurisé ?
C’est de notre rôle de faire des plaidoyers et des sensibilisations pour que l’opinion publique soit informée et que les leaders coutumiers et religieux puissent être informés, car ces derniers ignorent les dangers et les conséquences de ces grossesses. Donc, il faut des plaidoyers pour qu’ils puissent s’imprégner de la chose.
Connaissez-vous des filles qui ont pu être sauvées grâce à l’avortement légal et sécurisé ?
Je suis prestataire à l’hôpital Yalgado Ouédraogo, et en tant que travailleur de cet hôpital, j’en connais qui ont bénéficié de l’avortement légal et sécurisé, surtout dans le cas où la vie de la mère était en danger. Des femmes ont donc pu être sauvées grâce à ce type d’avortement.
Est-ce qu’une sage-femme peut faire l’avortement légal et sécurisé ?
Pour le moment, comme on est en phase de vulgarisation avec les plaidoyers et la sensibilisation, les sages-femmes ne le font pas, parce qu’il faut que les médecins soient informés et qu’on ait recours à des juges pour prouver. Cela signifie qu’il faut d’abord s’entourer d’un maximum de précautions, d’informations et d’examens préliminaires pour savoir si la grossesse répond aux 4 critères. Du reste, la sage-femme peut faire l’avortement, sur recommandation d’un médecin.
En tant que sage-femme et l’une des promotrices de l’avortement légal et sécurisé, ne rencontrez-vous pas de difficultés avec certaines autorités notamment religieuses pour son application ?
Les difficultés ne manquent pas et ce n’est pas avec les leaders religieux seulement, mais toute la population. Le mot avortement même, chez certaines personnes, est déjà un crime. L’une des difficultés que nous rencontrons est le fait que les gens n’ont pas encore compris l’intérêt de ce type d’avortement. Voilà pourquoi il faut des plaidoyers, des sensibilisations et des informations pour que tout le monde comprenne que c’est une loi qui existe au Burkina. Notre combat est aussi que les juridictions allègent et diminuent la durée des enquêtes qui, souvent, empêchent les filles violées de bénéficier de l’avortement légal et sécurisé.
Quels sont vos rapports avec les autorités religieuses dans le cadre de vos plaidoyers ?
Pour le moment, nous comptons les approcher et leur expliquer l’avantage de l’avortement légal et sécurisé et ses bienfaits. Et je crois qu’ils vont comprendre. Parce qu’on peut penser que ça n’arrive qu’aux autres, et quand ça arrive à soi-même, on se rend compte des dangers, d’où la clarification même des valeurs sur l’aspect de l’avortement légal et sécurisé.
Avez-vous d’autres commentaires à faire ?
Nous comptons, à travers nos actions, faire des plaidoyers pour que la loi sur l’avortement légal et sécurisé puisse être connue de tous. Mais avant cela, nous recommandons aux femmes d’adopter des méthodes contraceptives pour éviter les grossesses. Tout compte fait, si l’un des quatre cas de grossesse nécessitant un avortement légal et sécurisé se produit, nous demandons une prise en charge pour que la femme concernée ne soit pas victime. Sinon, on peut considérer cela comme une violence faite aux femmes, alors que nous souhaitons la protection de la gent féminine et de la communauté toute entière. C’est le droit des femmes de ne pas être marginalisées ni rejetés parce qu’elles ont été violées. Donc, nous demandons que les populations soient réceptives à ces plaidoyers, pour que les quatre types d’avortement soient compris et acceptés de tous. Nous demandons aux autorités religieuses et à toute la population d’être favorables à nos plaidoyers, pour que des vies soient sauvées.