Son histoire avec la Chine populaire ne date pas d’aujourd’hui. Karim Demé, entrepreneur dans le BTP est connu depuis une vingtaine d’années comme le grand ami des Chinois dont il en assurait la «défense» alors que leur séjour était jugé «illégal» au Faso. Aujourd’hui il peut bien être fier de lui car, ses efforts ont payé. Le Burkina a en effet renoué avec la Chine populaire. Dans cet entretien, Karim Demé revient sur les temps durs de sa vie et de celle des Chinois au Burkina ainsi que sur ce que le rétablissement des relations diplomatiques pourrait apporter à notre pays.
Vous êtes connu comme le « papa des Chinois ». Quelle est cette histoire qui vous lie à la Chine populaire ?
L’histoire remonte à il y a des années, je faisais de l’import export et j’étais très fréquent dans ce pays pour acquérir mon matériel jusqu’en 1997. De ce fait j’y ai fait beaucoup de voyages et noué des contacts. J’ai même milité dans le FASIB (Forum d’amitié sino-burkinabè) avant de créer le Point focal depuis une quinzaine d’années
En son temps, l’absence de relations diplomatiques entre le Burkina et la Chine compliquait les situations de part et d’autre, pour nos compatriotes qui veulent aller en Chine et pour les Chinois qui veulent venir chez nous.
La situation était d’autant plus compliquée ici pour les Chinois qui s’adonnent au petit commerce, du fait de la barrière de la langue, de l’ignorance de la règlementation, et de bien d’autres difficultés. Et quand ils avaient des problèmes, ils n’avaient pas d’ambassade où s’adresser. C’est donc vers moi qu’ils se retournaient pour que je plaide leur cause, soit sur place ici, soit à travers l’ambassade de la Chine populaire à Abidjan. C’est ainsi que je m’impliquais dans la résolution de beaucoup de problèmes liés l’administration, aux soins, à l’alimentation, à la sécurité et même aux rapatriement des corps quand il y avait décès.
Le 24 mai dernier le Burkina Faso a annoncé le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la Chine populaire. Vous devez en être fier…
Bien sûr. C’est une joie. J’y ai cru pendant 15 à 17 ans alors qu’au début personne ne donnait 1 chance sur 1000 que ça puisse arriver et ç’est arrivé. Mais moi je l’ai fait même si cela m’a attiré beaucoup d’ennuis. En effet, à un certain moment les autorités de mon pays n’ont pas compris que je travaillais pour l’intérêt des Burkinabè. La police a été envoyé chez moi pour une perquisition, pour voir si je ne faisais pas la politique ou la subversion. Mais elle n’a rien trouvé. C’est rendre service à mes compatriotes et aux Chinois qui m’intéressait. Aujourd’hui c’est un sentiment de satisfaction et de mission accomplie qui m’anime.
Quels peuvent être les avantages de ce rétablissement pour les Burkinabè ?
Les intérêts sont à plusieurs niveaux. Je commence par le monde paysan dont le Burkina est en majorité constitué. Que ce soit dans la production du coton ou dans la production céréalière, ce beau monde travaille dur pour ne récolter que des centimes. La Chine est une réponse pour lui. Et pourquoi ? Aujourd’hui le sésame du Burkina est exporté frauduleusement par des circuits détournés vers la Chine. Nous avons une exportation de sésame de 168 000 tonnes qui passent par les pays limitrophes pour être exportées en Chine. En comparaison, seulement 2000 tonnes sont exportées vers Taïwan. Ce serait une grande opportunité pour les paysans qui cultivent ce sésame de traiter directement avec les Chinois. Quant au coton, la Chine en est un grand consommateur. Et nous n’avons jamais réussi à le lui vendre directement. Ce sont des intermédiaires qui prennent ce coton et se font des bénéfices en partant le revendre en Chine. C’est dire que c’est une aubaine pour le monde paysan, qui pourra désormais traiter directement par l’intermédiaire du gouvernement burkinabè. Ça peut être en brut ou transformé. Tout dépend de la politique gouvernementale. Si elle privilégie la transformation de ce coton par l’installation d’usines, ce serait une aubaine parce que les Chinois ont tout aussi besoin du fil. Pourquoi ne pas solliciter la délocalisation d’une usine de filature chinoise au Burkina ? Ce serait une valeur ajoutée pour notre pays. De la Chine continentale, le monde paysan et celui des affaires tireront profit. Les petits et grands commerçants pourront y voyager librement et sans peine
Et en terme de projets et programmes ?
Surtout pas de petits projets qui n’ont pas d’impact sur la population. Il faut des projets de grande envergure. Aujourd’hui, nous souffrons beaucoup de délestage et de manque d’eau. Il faut qu’on y mette fin par une politique d’investissement massif. Prenez le cas de la Côte d’Ivoire. Le seul barrage de Soubré, que les Chinois ont construit, peut alimenter tout le Burkina. Nous on est là à faire une petite centrale par-ci, une autre par-là… Et rapidement la demande dépasse l’offre. C’est un perpétuel recommencement. Avec nos nouveaux amis, nous pouvons mettre en place de grands projets qui nous permettront d’atteindre l’autosuffisance énergétique, la disponibilité permanente en eau, et booster les infrastructures routières. Pourquoi ne pas penser à un chemin de fer vers le Ghana ? Pourquoi pas ? Parce que nous avons des minerais et la Chine est friande de minerais. C’est à nous de savoir négocier les projets avec eux afin que ce soit un partenariat gagnant-gagnant.