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Mélégué Maurice Traoré : «Dans ce domaine, il n’y a pas de morale»

Publié le vendredi 25 mai 2018  |  L`Observateur Paalga
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Ce 24 mai 2018 est incontestablement un tournant pour la diplomatie burkinabè : le ministre en charge des Affaires étrangères, Alpha Barry, a en effet annoncé ce jour la rupture des relations diplomatiques avec Taiwan et le retour de la Chine populaire. C’était quelques heures avant qu’il s’envole pour Pékin et non Hong-Kong comme indiqué dans notre livraison d’hier. Après l’officialisation de la fin des relations taïwano-burkinabè, nous avons pris langue avec l’un de ceux qui étaient au cœur du pouvoir de Blaise Compaoré en 1994, époque où Ouagadougou avait abandonné Pékin pour Taipei : il s’agit de Mélégué Traoré, ex-président de l’Assemblée nationale, ambassadeur, ministre. L’ancien diplomate pense qu’avec ce choix, le Burkina va dans le sens de l’histoire.









On vient de nouveau de rompre avec Taïpei et on renoue avec Pékin. Quel commentaire faites-vous de cela ?







On va dans le sens de l’histoire. C’est un mouvement général que la politique étrangère des pays africains a connu progressivement. Nous avions dans un premier temps été avec Taïwan pendant la plus grande période de la guerre froide. Aligné sur les Occidentaux, le Burkina Faso reconnaissait la Chine Taïwan. A partir de 1971, les Américains eux aussi ont commencé à aller vers Pékin. Une équipe de ping-pong est allée aux Etats Unis et c’est par ce biais qu’ils ont repris contact avec la Chine populaire. C’est pourquoi on a parlé de la diplomatie du ping-pong. De fil en aiguille, les pays africains ont quasiment tous suivi dont le Burkina Faso en 1973.







A votre avis, est-ce politiquement saint de naviguer ainsi régulièrement entre les deux rives du détroit de Formose ?







Il n’y a pas de morale dans ce domaine. Les Etats n’ont que des intérêts qu’ils suivent. A un moment donné, le gouvernement burkinabè a estimé que ses intérêts étaient du côté de Taïwan, il est allé avec lui. Aujourd’hui il estime que ses intérêts sont avec Pékin.







En 1994, vous étiez au cœur du pouvoir de Blaise Compaoré quand nous avions laissé tomber Pékin pour Taïpei. Contez-nous cette période.







En 1994, quand nous avions repris avec Taipei au détriment de Pékin, c’était suite à beaucoup de choses. Il y avait notamment eu cette tournée du ministre des Affaires étrangères de la Chine populaire dans la sous-région. Il était passé partout sauf à Ouaga, alors qu’en 1989, quand il y a eu les troubles à la place Tiananmen, le chef de l’Etat burkinabè a été le tout premier à s’y rendre alors que personne ne partait encore à Pékin. Ici on n’a pas très bien compris pourquoi la Chine populaire a fait ça. Il faut y ajouter cette histoire des fonds que Pékin avait alloués au Conseil de l’Entente. C’est la Chine qui a construit le stade du 4-Août, il y avait un reliquat et on ne s’est pas très bien entendu sur la manière de dépenser ce restant d’argent.



C’est dans le sillage de tout cela qu’on a suspendu nos relations en 1994. Mais je dois bien préciser que le Burkina n’a jamais dit qu’il rompait avec Pékin. Nous avons dit que nous renouions avec Taïpei. Même le gouvernement chinois ne nous a jamais dit qu’il rompait avec nous. Ils ont dit qu’ils suspendaient leurs rapports avec nous. La Chine populaire a dit en son temps que le Burkina supporterait les conséquences historiques de la décision que nous avons prise.



Je dois dire que j’étais l’un des rares, peut-être le seul, à être contre la rupture avec Pékin. J’ai été le lendemain voir le premier ministre, Roch Marc Christian Kaboré, pour lui dire que nous sommes en train de commettre une erreur. Il m’a dit que c’était mieux que j’aille voir le président du Faso. C’est comme ça qu’on a rompu avec Pékin et aujourd’hui, c’est l’inverse.



A l’époque Pékin a été très dur avec le Burkina Faso. Nous n’étions pas le seul à suivre ce mouvement : il y avait le Tchad, le Niger. Je me souviens que le Niger a rompu avec ce pays, mais il a accepté de garder les étudiants nigériens qui étaient dans ses universités. Pour ce qui est de nous, ils ont refusé catégoriquement et on a été obligé de les envoyer à Taïwan. J’étais contre mais les opinions personnelles ne comptent pas.







A l’époque, qu’est-ce que Taipei a mis sur la table pour arracher cet accord ?







Il faut être honnête. Ce n’est pas Taïwan qui est venu vers nous. C’est nous qui sommes allés vers eux. Ils l’ont toujours rappelé d’ailleurs. Même si les gens vous disent le contraire, c’est faux. Ils n’ont pas apporté d’emblée un plan, néanmoins la coopération a été bénéfique, car ils ont repris les grands chantiers que Pékin promouvait. C’est Pékin qui a construit le stade du 4-Août, démarré les travaux de l’hôpital de Koudougou, la culture du riz dans la vallée du Kou, le barrage de Louda à coté de Kaya, les rizières à Boulbi. (NDLR Cela n’est pas exact en ce qui concerne Boulbi, Louda et la Vallée du Kou, tous initiés par Taïpeh dans les années 60-70 et poursuivi par Pékin en ce qui concerne la Vallée du Kou.) Ce qui est important, c’est que Taïwan a repris au pied levé tous les projets et les a poursuivis. En plus de cela, il faut retenir que la Chine Taïwan est un petit pays en matière de population et c’est d’ailleurs l’un de mes arguments quand je discutais avec le président Compaoré et son premier ministre Roch. Je disais en substance que l’on n’allait pas rompre nos relations avec un pays d’un milliard 300 millions d’habitants pour aller avec un qui à la taille du nôtre.



Il faut savoir que la plupart des grands pays qui ont rompu avec Taïwan ne l’ont jamais fait complètement. Ils ont gardé une part de relation. Ils ont gardé des rapports de type consulaire. C’est-à-dire des rapports commerciaux, culturels. Petit pays, Taiwan est, il est vrai, l’une des premières puissances financières au monde. Leur capacité n’a rien à avoir avec leur taille. Ils ont une grande capacité d’intervention financière. Le volume de leur investissement au Burkina Faso est un exemple. On a beaucoup bénéficié de cette coopération mais j’avais dit à mes collaborateurs dans le temps que tôt ou tard, on retournerait vers Pékin, et c’est ce qui se produit à présent.







On imagine que la diplomatie du yuan a dû fonctionner à plein régime pour aboutir à ce revirement. Concrètement qu’est-ce que nous gagnons dans ce deal ?







En matière de diplomatie il est rare qu’un gouvernement propose de l’argent à un autre pour qu’il rompe. Par contre, Pékin va certainement en tirer des bénéfices immédiatement et nous aider à justifier notre décision. Pékin a d’énormes moyens à consacrer à l’aide au développement. Je n’ai pas de doute sur ce plan. A terme, la décision du gouvernement va être bénéfique. Il ne restait plus que le Burkina Faso et le Swaziland en Afrique qui étaient avec Taipei. Le Swaziland est un petit pays dont la population vaut à peine celle de Ouaga. Si vous regardez les autres pays partenaires de Taïwan, ce sont de petits pays d’Amérique latine. Ce n’est pas grand-chose. Ce revirement est bénéfique, je l’ai toujours pensé, et c’est le réalisme brut de la politique étrangère. De toute façon, il fallait le faire un jour. On ne va pas avec un pays parce qu’on l’aime. Ce n’est pas une femme à plus forte raison un homme pour que vous l’aimiez. On va avec celui-ci parce qu’on a des intérêts, parce que cela arrange le Burkina Faso. C’est ce qui s’est passé.



Propos recueillis par



Lévi Constantin Konfé

&

W. Harold Alex Kaboré
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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