Cette année, le Grand prix littéraire de l’Afrique noire est revenu au dramaturge burkinabè Aristide Tarnagda. Un tel prix a l’intérêt de mettre sous les lumières un écrivain « photophobe » dont l’œuvre s’est imposée dans le monde du théâtre. C’est ce jeudi 24 mai 2018 à Paris que l’auteur recevra son prix. L’occasion de découvrir un dramaturge singulier qui monte, qui monte.
Aristide est le lauréat 2018 du Grand prix littéraire d’Afrique noire, un prix prestigieux créé en 1961 et dont il est le troisième Burkinabè à être lauréat. 1982, ce fut Frédéric-Titinga Pacéré avec son recueil La poésie des griots. Poèmes pour l'Angola. Une décennie plus tard, en 1992, Patrick G. Ilboudo remporte le prix avec son roman Le Héraut têtu.
Cette annonce s’est faite dans l’indifférence du département de la Culture et des médias. Cela pourrait choquer quand on voit tout le tintouin fait autour de dédicace de potache d’écrivaillon et le raffut autour d’artistes sans épaisseur. Mais qui connait Aristide Tarnagda sait que ce silence-là l’arrange bien, il a toujours pris de la distance par rapport aux parades et aux cérémonies officielles. C’est dans l’ombre et loin des bruits et fureurs des médias que son œuvre a mûri.
Après l’annonce du prix, nous l’avons rencontré dans un restaurant à Ouagadougou, la veille d’un voyage à Bamako où il se rendait pour animer un atelier d’écriture théâtrale. Il était assis au milieu d’une foule bruyante, mais on avait l’impression qu’il absorbait le bruit et son corps délimitait une sorte de zone de silence, qu’il était un trou noir qui avalait tous les bruits.
Et pourtant le silence est un mot qui n’existe pas dans son œuvre. Comme si, taiseux dans la vie, il réservait toute la faconde à son théâtre. C’est un théâtre de paroles, de la parole donnée aux hommes et femmes des marges, à ces individus qui sont exclus des centres du pouvoir politique et économique mais qui vivent dans la défiance des règles. Son théâtre met en scène une cohorte d’exclus, des femmes meurtrières, des individus sans attache et sans sol tels les émigrés, des personnages à l’étroit dans un monde qui les charrie à la marge comme le fleuve impétueux rejette les rebuts sur la rive.
Mais ces personnages, bien que marginaux ne sont pas vaincus. Leur arme: les mots. Tous partagent cette logomachie fleuve, une incontinence verbale qui en fait des procureurs de la société. La double œuvre dramatique qui a séduit le jury ne déroge pas à la règle. Terre rouge, ce sont deux frères, l’un resté sur la terre ocre latéritique de son pays et le frère aîné, parti en Europe, qui dialoguent d’une seule voix. Le royaume de leur enfance a été saccagé par les bulldozers du gouvernement, enterrant à jamais l’odeur des mangues, la course dans la brousse et les plongeons dans la rivière…
Façons d’aimer, c’est l’histoire d’une gauchère qui est jugée pour avoir assassiné son époux et sa coépouse. Là où on se serait attendu à un jugement de la société sur cette criminelle, c’est l’inverse. La meurtrière instruit un procès en règle de la société, de l’appareil judiciaire, de la famille.
Toutefois une telle analyse de l’univers du dramaturge burkinabè, bien que juste, est réductrice, car elle ne rend pas justice à cette œuvre très poétique. Elle pourrait faire croire que le théâtre d’Aristide Tarnagda donne à voir un univers violent, glauque, crépusculaire...
L’univers dramaturgie n’est pas du tout sombre, il est zébré d’éclats lumineux, de fulgurances et de confettis dorés. En fait, toute cette violence est lustrée à grande eau pour la poésie de la langue, une sorte d’abrasif poétique qui atténue la noirceur de cet univers difficile.
Même s’il n’est pas très connu des Burkinabè, de ceux qui ne s’intéressent pas au théâtre, Aristide fait partie de ces créateurs qui s’inscrivent dans une littérature-monde mais vivent sur le continent. Il a compris que l’écrivain est comme Antée, c’est en restant en contact avec sa terre que son œuvre forcit et de là qu’elle puise l’énergie pour se lancer à la conquête du monde.