Longtemps souhaitée par le monde rural, le projet de création de la Banque agricole du Faso (BADF) est en voie de concrétisation avec l’octroi de l’agrément par la Commission bancaire de l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA), le 14 mars 2018. Dans cet entretien, le président du comité de mise en œuvre de la BADF, par ailleurs Directeur de Cabinet du Premier Ministère, Mamadou SEREME (MS), revient sur les tenants et les aboutissants de la création de cette nouvelle institution bancaire qui devrait révolutionner le secteur agricole burkinabè.
DCI : Monsieur le président, depuis le 14 mars dernier, le projet de la mise en place de la Banque agricole du Faso est devenu une réalité avec l’octroi de son agrément, par la commission bancaire de l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA).
Est-ce à dire que c’est le début de la concrétisation d’une volonté politique affichée par les plus hautes autorités burkinabè ?
Mamadou Sérémé (MS) : Je signale d’entrée que j’ai été effectivement le président du comité chargé de la mise en œuvre de la banque agricole du Faso. Ce comité comprenait les ministères concernés par le dossier, à savoir le ministère de l’Economie, des Finances et du Développement, le ministère de l’Agriculture et des Aménagements Hydrauliques ainsi que les représentations des unions et associations du monde paysan. Effectivement, la création d’une banque agricole est une vieille revendication des organisations paysannes. A chaque édition de la Journée nationale du paysan, cette doléance revenait de façon récurrente. C’est ainsi que son Excellence, Monsieur le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, lors de sa campagne pour briguer la magistrature suprême en 2015, a promis de mettre en place une banque agricole au service du monde rural. Cette promesse a été réitérée par son excellence, monsieur le Premier Ministre, Paul Kaba Thiéba, dans sa déclaration de politique générale. Et j’ai eu l’insigne honneur de présider et de diriger les travaux de la mise en œuvre effective de cette banque agricole, dédiée au monde paysan. Nous avons suivi toutes les étapes nécessaires à la mise en place de cette nouvelle institution financière au Burkina et c’est ainsi, que l’agrément d’ouverture a été délivré par la commissaire bancaire de l’UMOA, le 14 mars 2018. Je peux effectivement dire que c’est le début de la concrétisation d’une volonté politique affichée par les hautes autorités de notre pays, le Burkina Faso. Et cette volonté politique avait une place de choix, dans le programme de société du Président Roch Marc Christian Kaboré.
DCI : Monsieur le président du comité de pilotage, une banque entièrement dédiée au monde agricole, pourquoi ?
MS : C’est important. Une banque agricole a été jugée nécessaire pour le Burkina Faso, pour un certain nombre de raisons. D’abord, l’agriculture occupe 86% de la population active de notre pays. Ensuite, elle contribue chaque année, pour environ 30 % à la formation de notre richesse nationale, évaluée, à travers le produit intérieur brut, (PIB). Cela signifie que l’agriculture est un pan important de notre économie qu’il faut promouvoir. Enfin, dans les travaux de mise en œuvre, il est ressortit qu’il faut des financements adaptés au monde paysan. Les paysans l’ont réclamé, le président Roch Marc Christian Kaboré l’a promis et aujourd’hui, la promesse est tenue. C’est un outil important qui viendra soutenir le développement de notre pays.
DCI : Quelles sont entre autres les missions assignées à cette banque agricole du Faso ?
MS : Une banque agricole, c’est avant tout une banque comme les autres et toute banque à deux missions principales : c’est collecter l’épargne et de l’utiliser pour financer les actions de développement du pays. C’est l’une des missions dévolues à toute banque. En ce qui concerne spécifiquement la banque agricole du Faso qui aura comme cœur de métier, le financement du monde rural, elle va beaucoup plus s’intéresser, à l’épargne rurale, au niveau des associations paysannes, des agriculteurs et bien sûr d’autres dépôts. Avec ses dépôts , une banque crée de la monnaie. Quand vous déposez 100 FCFA, par le biais de la création monétaire, ça peut devenir facilement 400 FCFA.Et ça c’est le rôle des banques. Et la banque agricole à travers ce mécanisme va financer le développement de l’agriculture, celui de l’élevage, de la pêche, le soutien aux jeunes producteurs et aux femmes. Quand je parle de jeunes producteurs, vous savez qu’il y‘a des jeunes formés (ingénieurs) en agriculture ou en élevage et l’Etat s’engage aussi à les aider pour qu’ils deviennent des « agrobusiness-men ». Cette banque va financer aussi la transformation des produits agricoles. Pour ce faire, elle aidera à financer des unités de productions pour constituer toute la chaine de valeurs. Production-transformation et commercialisation.
DCI : Présentez- nous succinctement la future banque agricole du Faso ?
MS : C’est une question qui a tout son importance. Nous avons déjà eu des banques agricoles au Burkina, qui ont malheureusement disparues. Il y a eu la Caisse nationale de crédit agricole du Burkina (CNCA-B), qui a été transformée en banque agricole et commerciale du Burkina (BAC-B), finalement cédée à une banque de la place par les autorités de l’époque. Tirant leçons de tous ces échecs du passé, vous comprenez, que nous n’allions pas dupliquer le même modèle de banque agricole. Nous avons privilégié cette fois-ci un modèle participatif. C’est une banque qui a vu le jour avec la parfaite collaboration du monde rural. Dès sa conception, le comité que j’ai eu à présider, a connu la participation effective du monde rural. Ainsi, les les organisations du monde paysan ont apporté leur contribution à la formation du capital social. De même, les acteurs du monde paysan sont fortement représentés dans le conseil d’administration. C’est un modèle différent ou le monde rural aura son mot à dire et surtout un droit de regard sur sa « saine » gestion. Je peux donc affirmer que les activités de la banque vont dans la bonne direction et c’est ça qui fait la spécificité de ce modèle et plus tard, la banque ira lever au niveau du monde rural, des fonds dans le cadre du projet « actionnariat populaire » que la BADF compte entreprendre. Ça veut dire que l’opportunité sera donnée à tous ceux qui désirent entrer dans le capital de le faire.
DCI : Qui est éligible pour contracter ou bénéficier des services de la banque agricole du Faso ?
(MS) : Le cœur du métier de cette banque, c’est le financement de l’agriculture. De prime à bord, c’est tous ceux qui sont dans le monde rural. Tous ceux qui sont dans l’agriculture, l’élevage, la pêche, dans les semences, dans la chaine de commercialisation et de transformation, des unités industrielles ou de petites industries. Les jeunes qui sont diplômés et qui veulent faire dans l’agrobusiness, sont aussi éligibles. Les femmes qui sont dans la transformation des produits pour y ajouter de la valeur sont également concernées. En dehors des principaux concernés, tout le monde est éligible, c’est une banque et on ne refuse personne. La condition, il faut avoir un projet qui est « bancable ». Si c’est le cas, vous aurez en principe, le soutien de cette banque. C’est sa vocation, surtout quand c’est en direction du monde rural.
(DCI : Quel est le rôle et la place de l’Etat burkinabè dans la gestion de cette future banque ?
MS : Votre question est la bienvenue, parce que nous entendons beaucoup de choses çà et là. L’Etat a aidé à créer cette banque. L’Etat a pour rôle principale, la mise en place d’un environnement propice pour que la banque puisse réussir sa mission. Et je pense même que c’est un devoir régalien de l’Etat. En ce qui concerne la gestion de la banque à proprement parler, l’Etat a peu de marge de manœuvre. Comme vous le savez, la commission bancaire qui a été créée dans les années 1990, quand il y a eu la « banqueroute » de beaucoup de banques dans notre région a pour vocation, de veiller à ce que toutes les banques puissent avoir une bonne gestion. Dans ces conditions, il est interdit que l’Etat s’immisce dans la gestion d’une banque, soit pour désigner un directeur général ou faire une quelconque intervention dans des dossiers d’octroi de crédits. Je vous assure que la marge de l’Etat est faible. Cette banque doit fonctionner en toute indépendance. Son directeur général sera choisi par le conseil d’administration et non pas en Conseil des ministres. Il est choisi en fonction de ses qualités intrinsèques et de son expérience, approuvées par la commission bancaire. Le droit de regard de l’Etat concerne surtout le volet financement de la banque. Ça touche au développement du pays et c’est du rôle de l’Etat. L’Etat doit s’assurer que toutes les conditions à même de permettre à l’institution qui prendra forme dans les mois à venir de bien fonctionner soient réunies. L’Etat dans les limites de ses moyens, peut garantir ou subventionner des dossiers de prêts pour d’éventuelles candidatures. L’Etat n’a pas la capacité et le droit d’influencer la gestion de la banque. C’est interdit.
DCI : Des citoyens, à la réunion d’information sur l’obtention de l’agrément, le 22 mars passé craignaient déjà l’implication du politique dans la gestion de de la Banque, toute chose qui pourra mettre de côté les vrais acteurs concernés.
Quelles sont les garanties déjà que vous pouvez leurs donner afin de dissiper leurs diverses inquiétudes et appréhensions ?
MS : Vous avez tout à fait raison. C’est une préoccupation qui est légitime. Quand on sait que c’est le Premier Ministre lui-même qui a informé par voie de presse, au cours de la cérémonie du 22 mars 2018, l’obtention de l’agrément de cette banque. Mais, il ne faut surtout pas que cette manière de procéder trompe. Le premier ministre au cours de la cérémonie a tenu a rappeler la promesse tenue de son excellence Roch Marc Christian Kaboré. Je le répète, la gestion de la banque sera assurée par sa direction générale, son conseil d’administration et la commission bancaire. Je pense qu’avec ces éclairages, leurs inquiétudes et autres appréhensions seront dissipées. Elle va agir en professionnelle, et va avoir comme je l’ai dit tantôt comme cœur de métier, le financement du monde rural et aura une gestion qui va assurer sa pérennité, sa rentabilité et la préservation des fonds qui lui seront confiés.
DCI : A quand le démarrage effectif des activités de la banque agricole du Faso ?
MS : C’est vrai. Dès l’annonce de la détention de l’agrément de la banque, les gens se demandent déjà, à quand l’ouverture des guichets de cette banque pour recevoir les dossiers de demandes de crédits ?
Pour l’opérationnalisation d’une banque, il y a des préalables et je pense que nous sommes dans une très bonne dynamique. Le siège de la banque est trouvé et nous sommes dans la phase d’adaptation du local pour des activités bancaires. Il faut construire des guichets, des guichets automatiques, mettre en place un système d’information, recruter le personnel et le former etc. L’objectif, c’est de tout faire pour que la banque soit opérationnelle avant la fin de cette année 2018.
DCI : Votre mot de fin ?
MS : Avec l’acquisition de l’agrément de la banque agricole du Faso, son opérationnalisation n’est qu’une question de semaines. Elle est comparable à un nouveau-né. Le bébé a besoin de l’attention de tout le monde pour pouvoir grandir. Et ce bébé appartient surtout au monde rural. Ensuite à tous les citoyens, à tous les Burkinabè. Je demanderai au monde paysan, de s’approprier cette banque. Accompagner cette banque, c’est d’y effectuer leurs dépôts, c’est de travailler avec cette banque. Et c’est grâces aux dépôts que la banque pourra multiplier sa capacité à octroyer du crédit. Qu’ils attachent des conseils avisés afin de monter des dossiers réalistes et « finançables ». A terme, les prêts perçus devraient permettre aux bénéficiaires de développer leurs activités et rembourser les concours obtenus.
Cette banque devra permettre d’avoir une agriculture moderne et compétitive et contribuer à améliorer les conditions de vie des populations.