Pour la troisième fois, le Burkina Faso exposera le 7 mai 2018 à Genève, en Suisse, la situation des droits humains au niveau national au groupe de travail de l’Examen périodique universel (EPU). Avant ce rendez-vous, le directeur général des droits humains, Jean De Dieu Bambara, s’est ouvert à Sidwaya sur la question. Au cours de cet entretien M. Bambara montre l’intérêt pour le Burkina Faso à passer devant le Conseil des droits de l’homme, donne un aperçu sur la mise en œuvre des recommandations formulées à l’Etat burkinabè. Il expose aussi les bonnes pratiques et les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre desdites recommandations.
Sidwaya (S.) : L’Etat burkinabè présentera devant le groupe de travail de l’Examen périodique universel (EPU), le 7 mai prochain, à Genève un rapport sur la situation des droits de l’homme au Burkina Faso. Dites-nous quelle est l’importance d’un tel passage pour le pays ?
Jean de Dieu Bambara (J.D.B.) : Je vous remercie de l’opportunité que vous nous offrez pour échanger sur le 3e passage du Burkina Faso à l’Examen périodique universelle (EPU). Notre pays est membre de la communauté internationale et de l’Organisation des Nations unies. A ce titre, il a pris des engagements, par exemple la ratification d’instruments internationaux relatifs aux droits humains. On peut citer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits socio-économiques et culturels et bien d’autres instruments qui protègent les droits humains. Ayant ratifié ces instruments sur le plan international, le pays a des engagements à respecter. Comme vous l’avez dit, l’Examen périodique universel est une revue pour faire le suivi des engagements pris sur le plan international par les Etats. C’est un mécanisme qui a été institué depuis 2006 et le Burkina Faso, qui y a adhéré, est passé pour la première fois en 2008. Son 1er rapport a été adopté après son passage et le 22 avril 2013, le pays a encore présenté un rapport pour le deuxième cycle. Présentement nous préparons le troisième cycle de l’EPU et le rapport national sera présenté le 7 mai prochain. La revue va concerner l’ensemble des catégories de droits civils et politiques, les droits économiques, socioculturels, ainsi que les droits dits de solidarité. C’est important pour le Burkina Faso qui a déjà élaboré son rapport et transmis au Conseil des droits de l’Homme. L’examen se fera sous la base de trois documents, le rapport national que je viens de citer, le rapport alternatif élaboré par les Organisations de la société civile et une compilation des informations sur les droits de l’homme faite par le Haut-commissariat des droits de l’homme. L’examen va consister à voir les progrès réalisés en matière des droits humains, les difficultés rencontrées dans la réalisation de ces droits, les défis à relever et l’assistance que la communauté internationale peut apporter pour que les droits humains soient promus au Burkina Faso.
S. : Lors de son 2e passage devant le groupe de travail de l’EPU en avril 2013, sur les 165 recommandations formulées à l’endroit du Burkina Faso, il en a accepté 138. Comment évolue la mise en œuvre de ces recommandations ?
J.D.B. : Le Burkina Faso a effectivement accepté 138 recommandations sur 165 à la suite de son deuxième passage à l’EPU. Pour la mise en œuvre des recommandations acceptées, un plan d’action a été élaboré par le gouvernement. C’est un plan transversal qui prend en compte tous les départements ministériels et qui couvre la période 2014-2017. Il faut noter que ce plan est en cours de mise en œuvre pour certaines actions. En termes de bilan, sur les 138 recommandations acceptées par notre pays, seules trois n’ont pu être réalisées entièrement. Il s’agit des recommandations qui portent sur les amendements de Kampala relatifs au statut de la Cour pénale internationale, la ratification de la convention n°189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les travailleurs et travailleuses domestiques et une troisième recommandation qui porte sur le code de protection de l’enfant. Nous avons un taux de mise en œuvre de 92%. C’est donc dire qu’il y a eu beaucoup d’efforts consentis par le gouvernement pour la mise en œuvre du plan d’action et des actions sont toujours en cours pour permettre à notre pays d’améliorer la situation des droits humains.
S. : Vous avancez un taux de mise en œuvre de 92% des recommandations acceptées mais des organisations de la société civile déplorent l’absence d’indicateurs de performance dans votre rapport à mi-parcours. Toute chose, selon elles, qui ne permet pas de mesurer les effets réels des mesures prises. Comment peut-on constater l’effectivité de ces mesures sur le terrain ?
J.D.B. : Après notre 2e passage en 2013, nous avons élaboré en 2015 un rapport à mi-parcours qui a été transmis en fin 2015 au Conseil des droits de l’homme. C’était un engagement volontaire et non une recommandation adressée à l’Etat du Burkina Faso. Effectivement, ce rapport ne fait pas mention d’un indicateur de performance car comme vous le savez le pays a connu, en son temps, des difficultés. Il y a eu l’insurrection populaire et la tentative de coup d’Etat qui ont retardé certaines actions de mise en œuvre des recommandations. Mais rassurez-vous, un indicateur a été porté dans le rapport qui fera l’objet d’examen le 7 mai prochain et nous aurons l’occasion d’actualiser certaines informations car le document a été déposé depuis un certain temps. Il y a eu des évolutions par la suite et ces informations seront données sur place.
S. : Nous savons que l’Etat burkinabè n’a pas accepté une vingtaine de recommandations sur les 165 formulées par le groupe de travail de l’EPU en 2013. Qu’est-ce qui a justifié une telle position ?
J.D.B. : Ce sont des pairs qui nous ont fait des recommandations. Nous les avons notées et elles sont au nombre de 27. Je rappelle que ce sont des recommandations qui ont trait, entre autres, à l’abolition de la peine de mort et de la polygamie. Ce sont des questions extrêmement sensibles sur le plan national. Des actions ont été menées pour que ces recommandations connaissent une réalisation. Si nous prenons le cas de l’abolition de la peine de mort, même des organisations de la société civile ont mené des activités. L’Etat a fait des plaidoyers pour que cette abolition soit effective dans nos textes. Ce sont des recommandations qui ont été notées et cela veut dire que l’Etat n’a pas pris un engagement pour les mettre en œuvre pour le cycle prochain.
S. : Les ONG de défense des droits humains burkinabè ont présenté leur rapport alternatif ce mois-ci à Genève. Quelle suite comptez-vous donner à leurs recommandations ?
J.D.B. : L’Etat burkinabè est très regardant sur les préoccupations soulevées par les organisations de la société civile. Certains Etats pourraient endosser ces préoccupations et il se peut que des recommandations soient formulées à l’endroit de l’Etat et je pense que le Burkina Faso sera regardant et apportera des éléments de réponses. Si ces recommandations sont acceptées, des actions seront entreprises pour leur mise en œuvre.
S. : Vous avez tantôt relevé que trois des recommandations acceptées par l’Etat burkinabè n’ont pas été entièrement mises en œuvre. L’une d’entre elles concerne la ratification de la convention n°189 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Qu’est-ce qui bloque à ce niveau ?
J.D.B. : Il y a aujourd’hui une nouvelle dynamique au niveau national en matière de ratification. Avant de ratifier un instrument international, l’Etat engage un dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés pour peser le pour et le contre afin de dégager un consensus. Le gouvernement a organisé une rencontre avec les acteurs concernés et la réflexion est en cours au niveau du ministère en charge de la fonction publique, porteur du dossier, pour arriver à la ratification.
S. : Il n’y a donc pas de consensus pour le moment ?
J.D.B. : Nous ne disons pas qu’il n’y a pas eu consensus mais nous disons que toute ratification a des préalables. Vous remarquerez que des décrets ont été pris pour lister les travaux dangereux et interdits aux travailleurs et travailleuses domestiques. C’est dire que même si le pays n’a pas encore ratifié cette convention, des efforts sont consentis au niveau de la législation nationale qui apporte des réponses sur les préoccupations soulevées. Nous ne l’avons pas encore ratifiée certes, mais cela ne veut pas dire qu’il existe un vide juridique en la matière. Le processus de ratification est en cours. C’est le même cas pour les accords de Kampala. Des documents ont été élaborés et dans les mois à venir, les lignes pourraient bouger.
S. : Une autre recommandation faite par le groupe de travail est de mener des enquêtes sur les allégations de tortures. Qu’est-ce qui est fait dans ce sens ?
J.D.B. : Nous avons parcouru les rapports alternatifs où il ressort que les enquêtes ne sont pas menées sur des cas de tortures. Mais si vous lisez bien le rapport de l’Etat disponible sur le site du Haut-commissariat des Nations unies, des éléments de réponses ont été apportées pour montrer que des enquêtes sont menées dans le but d’élucider un certain nombre d’allégations portées à la question de la torture. Je citerai un cas dans la région du Centre-Ouest où deux officiers de police judiciaire sont actuellement poursuivis et l’affaire est pendante devant le Tribunal de grande instance de Yako. Cela traduit la volonté de l’Etat de lutter contre les traitements cruels, inhumains et dégradants.
S. : L’Etat burkinabè est aussi invité à prendre des mesures en vue d’assurer l’indépendance de la justice. On sait que la justice traine encore le pas sur des dossiers comme celui de Norbert Zongo, de Thomas Sankara ou de l’insurrection. Pourquoi cette lenteur ?
J.D.B. : Je ne parlerai pas de lenteur. Vous savez que ce sont des dossiers qui sont en cours d’instruction au niveau de la justice. Parlant de l’indépendance de la justice, des réformes ont été opérées à la suite des états généraux de la justice tenus en 2015. Des OSC ont critiqué le fait qu’il y avait une lenteur. Ces dossiers ont connu une réouverture. Les juges travaillent sur ces cas et nous avons bon espoir qu’ils vont connaître un aboutissement peut-être cette année ou les années à venir. Comme vous le savez, la justice a son temps et il ne faut pas se précipiter. Ce sont des actes qui doivent être posés en toute responsabilité par les magistrats.
S. : En ce qui concerne la promotion de l’emploi des jeunes, d’aucuns estiment que les travaux à Haute intensité de main d’’œuvre (HIMO) sont loin d’être une solution appropriée car il s’agit d’emplois précaires. Que leur répondez-vous ?
J.D.B. : Dans la politique d’emploi, il n’y a pas que les HIMO. Ce sont des travaux qui sont nécessaires dans un Etat. Les travaux à Haute intensité de main d’œuvre sont un pan de la politique. Il y a beaucoup de fonds qui ont été créés comme le fonds d’appui aux initiatives des jeunes et pour les femmes également. Ces fonds visent à permettre à ces jeunes d’avoir des sources de revenus. En matière d’emplois, c’est certes insuffisant ce qui est posé aujourd’hui, mais les actions du gouvernement tendent à les renforcer. Il faut voir cette question dans sa globalité en regardant au niveau de la Fonction publique où les recrutements sont faits de façon régulière.
S. : Il y a aussi l’épineuse question du logement. Le 5 avril dernier des organisations de la société civile sont montées au créneau pour réclamer des solutions face à la crise du logement. Que prévoit l’Etat pour soulager ces populations ?
J.D.B. : Le ministère en charge de l’habitat et de l’urbanisme dispose d’une politique en matière de logement. Vous avez suivi le ministre et son équipe sur cette question. Je ne suis pas un technicien pour vous donner assez de précisions. Je sais que le logement est un droit fondamental et l’Etat est très regardant sur la question. Il y a l’opération 40 000 logements qui est en cours et je pense que vous y avez certainement souscrit. Cette opération va apporter des réponses aux besoins exprimés par les demandeurs.
S. : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la mise en œuvre des recommandations ?
J.D.B. : La mise en œuvre de ces recommandations est tributaire du contexte national. Vous savez qu’il y a eu l’insurrection populaire et la tentative de coup d’Etat. Ce sont des situations qui ont retardé certaines actions prévues dans le plan d’action. Sur l’ensemble des recommandations acceptées, lorsqu’on veut faire le point, l’Etat a mis en œuvre 92%. C’est un effort considérable car l’Etat est aussi confronté aux contraintes économiques. Il y a cette volonté de faire bouger les choses. Vous avez parlé tantôt de logement, le gouvernement veut permettre que chacun ait un logement et cela va se faire de façon progressive. C’est dire que chaque année il y aura une dotation dans le budget pour la réalisation de ce droit. Et c’est pareil pour la santé et l’éducation. De façon générale, les droits économiques et sociaux se réalisent progressivement. Ce qu’il y a lieu de regarder, ce sont les ambitions car à ce niveau, la volonté est clairement affichée au Burkina Faso d’améliorer la situation des droits humains. Dans le domaine des droits politiques, le Burkina est cité en exemple. Il y a, par exemple, la liberté de la presse où notre pays est classé 1er selon Reporter sans frontières en Afrique francophone depuis 2015. On ne le dit pas très souvent mais cette performance est à saluer. Nous avons une presse plurielle aujourd’hui. Nous avons des émissions interactives qui donnent la parole aux citoyens qui s’expriment librement. Cela montre que la démocratie est effective au Burkina Faso et il faut travailler à consolider ces acquis.
S. : Vous parlez de consolidation des acquis en matière de liberté de presse. On sait qu’il y a des journalistes qui ont été violentés. Je citerai en exemple le cas d’un journaliste agressé le 11 décembre 2016 à Kaya. Il n’y a eu aucune poursuite ni enquête pour situer les responsabilités ?
J.D.B. : Je dirai que ce sont des cas isolés. Sur les évènements du 11 décembre, le gouvernement a communiqué. Il n’est pas nécessaire que je revienne là-dessus. Je voudrais relever qu’il n’y a pas une intention ou une volonté affichée de réprimer la presse comme on peut le constater dans certains pays. Les autorités ont une attention particulière pour la presse. Il arrive par moment qu’il y ait des couacs et cela est inhérent à la vie en société. Ce qui est souhaitable en pareille situation, ce sont des plaintes afin que les juridictions puissent s’en saisir et en connaître.
S. : Quelles sont les bonnes pratiques en matière de droits humains que le Burkina a à son actif et compte partager avec ses pairs ?
J.D.B. : Dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations de l’EPU, après son deuxième passage en 2013 les structures techniques de l’Etat ont procédé à la restitution des recommandations acceptées au profit des acteurs publics et privés et au profit des parlementaires. Comme vous le savez, le Parlement contrôle l’action du gouvernement et par conséquent joue un rôle important dans le suivi de la mise en œuvre des recommandations des organes de traité et de l’Examen périodique universel. Des documents pour le suivi des recommandations ont été élaborés. L’autre aspect que nous pouvons relever est l’implication des OSC dans le processus aussi bien d’élaboration du rapport national que celle du rapport alternatif. Nous avons été invité par les OSC à l’élaboration de leur rapport alternatif.
Cela traduit les bonnes relations entre le gouvernement et les organisations de la société civile. Ce n’est pas toujours le cas ailleurs. Il faut aussi noter que le pays a rattrapé son retard en matière de rapport dû aux organes de traité. Depuis quelques années nous sommes à jour vis-à-vis de nos engagements et l’expertise du pays est sollicitée sur plan régional par plusieurs pays africains. On peut citer en exemple le Niger qui a fait un voyage d’étude au Burkina en 2017 pour s’imprégner de notre expérience.