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«Le sensationnel et l’argent tendent à fragiliser nos acquis»

Publié le jeudi 3 mai 2018  |  Sidwaya
L`Observatoire
© aOuaga.com par Séni Dabo
L`Observatoire burkinabè des médias (OBM) a rencontré des journalistes et des rédacteurs en chef, le 6 juin 2015 à Ouagadougou, pour leur parler du traitement des informations liées aux crises communautaires et politiques
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Aujourd’hui, 3 mai, le monde entier célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse. Même si, le Burkina Faso occupe le 1er rang en Afrique francophone, selon le dernier classement de Reporters sans frontière, des difficultés demeurent. Dans cette interview, le président de l’Observatoire burkinabè des médias (OBM), Ahmed Koné, nous fait un diagnostic de la situation au pays des Hommes intègres…


Sidwaya (S) : Ce 3 mai est célébrée la Journée mondiale de la liberté de la presse. Cette liberté est-elle une réalité au Burkina Faso ?


Ahmed Koné (A.K) : En ce jour, j’ai une pensée pour tous ceux que nous avons perdus sur ce chemin dans le domaine de la presse écrite, Justin Coulibaly… dont l’engagement a été bien salué par les confrères, à la télé, Pierre Tassembedo…, à la radio Sacré Seydou Ouédraogo…Ce sont des personnes qui ont beaucoup fait pour l’expression libre au Burkina Faso. La liberté de presse dans notre pays est le résultat d’un long combat depuis les années 1960. Elle découle de larges combats démocratiques. Après le 3 janvier 1966, les Burkinabè ont tout fait pour préserver la liberté. Le journaliste profite de ces luttes conjuguées des Burkinabè pour la conquête de leur liberté, de façon générale de la liberté démocratique. Relativement, on peut dire qu’il y a une satisfaction. Puisque lorsqu’on fait la comparaison par rapport à d’autres pays, nous sommes bien placés. Mais, c’est une lutte de tous les instants et qui n’est jamais définitivement acquise. La liberté dont nous disposons est tributaire de la lutte démocratique de façon générale. Nous ne pouvons pas ignorer que c’est le fruit d’un combat quotidien. Nous nous devons de rappeler à chacun notamment, les acteurs politiques, économiques, les journalistes…qu’il nous faut être vigilants tous les jours.


S : Existe-t-il des obstacles à lever au Burkina Faso pour faciliter davantage le travail des médias ?


A.K : Le premier obstacle, c’est au niveau des journalistes. Il faut qu’ils sachent qu’une profession existe si, on respecte ses règles. En tant que président de l’observatoire, nous avons des écueils quant au respect de l’éthique et de la déontologie. Nous sommes toujours insuffisamment formés au niveau des journalistes. Nous avons toujours des prétentions, pas beaucoup de modestie dans nos faits et gestes. Le sensationnel et le monde de l’argent tendent à fragiliser nos acquis. Il faut que les journalistes se rendent bien compte que tant qu’ils ne respecteront ni l’éthique ni la déontologie, ils vont contribuer à fragiliser notre métier. A nous d’être vigilants, modestes, de nous former et être à l’écoute de tous les acteurs pour que nous puissions être les vrais porte-parole de l’opinion publique et du peuple burkinabè. Il y a aussi des écueils avec les hommes politiques. Quelles que soient les générations, une fois au pouvoir, ils se croient tout permis. A eux de respecter les textes. Le journaliste et défenseur des droits humains doit être toujours vigilant. Au monde qui communique, les gens sont confiants que l’information procure de l’argent. Ils ont tendance à ne rien respecter. Il faut respecter les conventions collectives, mettre les journalistes à l’abri du besoin. Il y a aussi des gens qui sont venus dans la profession pour s’enrichir, qu’ils respectent les règles. Il ne faudrait pas que l’argent domine notre profession. Notre métier suppose un minimum de valeurs et de principes : l’honnêteté, le respect de la vie privée…


S : Quel rôle joue l’OBM pour assainir la profession?


A.K : Nous ne pouvons pas créer un Ordre comme les autres professions. Parce que ce n’est pas les mêmes…Nous travaillons dans des contextes, dans un milieu particulier où, si vous sanctionnez, ce n’est pas pareil comme si vous sanctionnez de l’autre côté. Lorsque vous sanctionnez un média, vous enlevez la possibilité aux gens de s’exprimer. Ce n’est pas comme dans les autres professions, par exemple médical où on radie de faux médecins. Nous n’avons pas les mêmes prérogatives. Nous n’avons pas les mêmes forces. Mais nous pouvons quand même empêcher les oiseaux de mauvais augures d’agir. Il ne tient qu’à nous de prendre des dispositions. Or, au niveau de l’Observatoire burkinabè des médias (OBM), vous avez des sanctions qui ne sont pas assez fortes. L’un de nos objectifs, c’est d’amener tous les acteurs à se retrouver pour qu’on puisse réviser tous nos textes. Ça fait partie des ambitions que nous avons au niveau de ce nouveau bureau. On a désigné les membres cela fait deux ou trois années. L’on n’avait pas de ressources, c’est maintenant que nous commençons à être structurés. Progressivement, nous mettons en place des choses. Nous avons mis en place des groupes techniques qui ont travaillé, nous allons bientôt sortir un rapport pour montrer ce que nous avons fait. C’est le manque de ressources qui fait que nous avons des difficultés. Vous savez que nous n’avons pas de siège. Nous squattons des locaux tels que le centre national de presse Norbert -Zongo et de temps à autre, certaines directions. Si vous avez des problèmes de mobilité des journalistes, pour les regrouper, ce n’est pas du tout facile. Il y a également l’équipement. Nous sommes en train de réfléchir à la manière dont on peut mettre en place une structure permanente qui face que nous soyons un peu plus dynamique. L’OBM n’aime pas trop faire du bruit. Nous travaillons dans la discrétion, parce que déjà, le fait que les médias existent, qu’un minimum de dispositions soient prises, par exemple à travers l’autocensure des rédactions, nous estimons que chacun à son niveau fait sa part en matière de responsabilité. Il est évident que si l’OBM n’a pas de force, si les acteurs qui l’ont mis en place ne lui donnent pas suffisamment de ressources, ça va être difficile. Mais, il tient surtout aux journalistes de savoir se conduire et nous n’aurons pas besoin de taper sur les gens, on ne peut pas s’auto flageller. Il faut que les journalistes eux-mêmes respectent l’OBM, quelles que soient ses insuffisances. Or, vous savez que nous écoutons, nous interpellons les responsables des médias lorsqu’il y a des problèmes. Mais je peux vous assurer qu’il y en a qui refusent d’obéir à nos interpellations. Il y a des gens qui inventent des reportages, vous les invitez en vain. Or, les dispositions actuelles ne permettent pas de sanctionner. Et c’est sur ça que nous sommes en train de travailler. Nous allons bientôt convoquer les différents acteurs pour qu’on revoie les textes, qu’on fasse un vrai toilettage afin de conduire les journalistes à respecter un minimum de principes. Il est certain que l’OBM, qui n’a pas de ressources, est d’abord facultatif. Je pense que l’OBM et le CSC ensemble, les acteurs de la communication pourront faire avancer les choses.


S : Revenons sur l’état de la liberté de la presse au Burkina Faso, que vous inspire le récent classement de Reporters sans frontière qui classe le pays au 41e rang mondial, le 5e en Afrique et le 1er en Afrique francophone ?


A.K : Nous avons des raisons d’être fiers parce que cela donne une certaine peinture de la réalité. C’est le fruit des luttes du peuple burkinabè pour le combat démocratique et en même temps de la vigilance des professionnels de la communication de façon générale. Nous ne devons pas mépriser le fruit de ces acquis. La liberté de presse existe, mais elle est relative. Il y a des écorchures, et il ne tient qu’à nous pour que ce combat puisse nous amener d’autres acquis. Sinon, ces acquis sont une réalité. Il y a des pays africains où on ne s’exprime pas comme chez nous. On ne peut même pas critiquer le chef de l’Etat, alors qu’ici, tous les jours, on peut critiquer les hommes politiques. Nous avons réussi la prouesse de la dépénalisation des délits de presse. On n’enferme pas un journaliste parce qu’il a mal parlé ou mal écrit. Mais nous luttons pour que la vie privée soit préservée par les journalistes. Du point de vue éthique et déontologie, nous avons fait un certain progrès et je n’ai pas honte de le dire. Cela est dû au fait que nous travaillions ensemble. Les journalistes font des efforts, même s’il est vrai qu’il y a des écueils. C’est le résultat du combat continu et tout le monde y a compris.


S. : Comme en 2016, le rang du Burkina Faso n’a pas varié même s’il trône devant des pays comme les USA (43e), le Sénégal (59e) et la Côte d’Ivoire (81e). Comment faire pour demeurer parmi les pays qui respectent la liberté de presse ?


A.K. : La situation connaît une évolution favorable au Burkina. Peut-être que dans les autres pays ça bouge. Mais, nous n’avons pas la même qualité de la liberté de la presse. Dans certains pays, on en est toujours à créer difficilement une station de radio ou de télévision. Au Burkina Faso, ce n’est plus un problème. On a dépassé ce stade. On a la possibilité d’avoir des jeunes et des femmes dans les organes de presse, qui prennent l’initiative de la création de médias. Dans certains pays, ce n’est pas possible. Il faut aller ailleurs pour voir que c’est très difficile. La qualité de notre progrès sera toujours relative parce que les autres aussi progressent. Chacun progresse avec ses moyens. Dans notre pays, il n’y pas beaucoup de moyens, de ressources. On peut croire qu’il est facile de créer un organe de presse parce que justement les textes le permettent. Mais en cours de chemin, on se rend compte que ça demande beaucoup de ressources. Ce qui fait que les promoteurs se retrouvent à solliciter un certain nombre de faveurs à l’Etat. Il faut féliciter les responsables politiques d’avoir compris et surtout d’avoir créé un fonds d’appui à la presse privée. Tout cela nous aide. Mais comment ce fonds est géré ? Voilà une des questions. La gestion en la matière est à l’origine de nos problèmes. C’est à nous de travailler à renforcer cette liberté en fonction de nos capacités, des besoins et des réalités du terrain. Aujourd’hui, au Nord comme au Sud, vous verrez que ce n’est pas facile d’exercer comme journaliste ou communicateur ou animateur d’émission en langue nationale ou religieuse. D’une région à l’autre, les difficultés varient. Il faut que nous travaillions davantage à la qualité de notre liberté de presse. Pour ce faire, les professionnels doivent être soudés et éviter, contrairement aux politiciens, de se dénigrer. Nous avons fait des progrès et nous continuons dans ce sens. Mais il ne faut pas se leurrer, la lutte est encore longue. Il faut que nous nous solidarisions davantage en évitant d’être dans le négativisme.


S. : Avec les réseaux sociaux qui aujourd’hui, distillent de fausses informations, quels conseils prodiguez-vous aux journalistes ?


A.K. : Il faut que les professionnels fassent la différence entre eux et le quidam qui prend l’information et la jette dans la rue sans savoir qu’il y a des règles. C’est en connaissant les règles et en y étant respectueux dans la mise en œuvre, que nous allons faire la différence avec les réseaux sociaux. Du reste, les réseaux sociaux constituent pour moi un outil d’apprentissage de la démocratie. Les gens apprennent à s’exprimer, c’est vrai qu’il y a des erreurs, il y a des bêtises, mais souvent, ce sont des gens qui se croient libres de tout dire et de tout faire. C’est à nous de faire en sorte qu’ils sachent que des textes existent, qu’au Burkina on ne fait pas n’importe quoi. Il y a des lois sur le plan national, régional et international. Chacun doit se dire qu’il faut faire attention. Donc, j’exhorte ceux qui utilisent les réseaux sociaux à faire attention. On vous écoutera toujours, on filmera toujours ce que vous ferez et on écrira toujours sur vous ou sur d’autres à partir de ce que vous avez dit ou écrit. Donc chacun doit faire attention, parce qu’aujourd’hui le progrès a fait que chacun est de plus en plus conscient des limites de certaines libertés. Mais chacun sait que le droit du citoyen existe, et chaque citoyen va justement tout faire pour défendre ses droits, donc à chacun de faire attention. Et, à ceux qui travaillent sur les réseaux sociaux, y compris les journalistes et les communicateurs, de faire attention pour ne pas heurter les autres et pour ne pas prêter le flanc en matière de
protection des libertés et de la vie privée.


Interview réalisée par
Abdel Aziz NABALOUM
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