"Quand je prenais service, c’était à la Place de la nation. C’est là-bas que je terminerai". C’est en ces termes que le Maire Simon COMPAORE dans un entretien qu’il a accordé au journal "LE PAYS" du 27 novembre 2012, s’est exprimé pour montrer sa volonté affichée de quitter la mairie par la grande porte, les mains propres et de manière publique.
En effet, c’est le jeudi 3 janvier 2013, à la place de la nation, que le Maire Simon COMPAORE a effectivement passé le témoin à son successeur M. Marin Casimir ILBOUDO, après 17 ans aux commandes de la commune de Ouagadougou. 7 mois après, quelles sont les nouvelles occupations du maire; celui-là même qui était habitué au travail de pression et qui a tant travaillé à la fois pour la commune de Ouagadougou et pour l’émergence de la culture burkinabé ? Sur ce dernier aspect, les faits sont têtus. Durant 18 ans de règne (2005-2013), le Maire n’a pas occulté la Culture en témoignent ses nombreuses réalisations : baptême de rues ou d’espaces portant les noms de grands artistes burkinabé, la construction et l’équipement du Jardin de la musique de Ouagadougou, le palais de la Jeunesse et de la Culture Jean Pierre GUINGANE et bien d’autres.... Simon COMPAORE, c’est donc cet homme chez lequel, quand on lui gratte l’épiderme, on trouve à première vue une forte coloration politique égale à 100%. Mais grattez plus ! et vous découvrirez après tout calcul et soustraction faite, qu’il lui reste toujours 10 % Culture. Le pourcentage est faible; mais assez suffisant pour le partager avec nous. C’est le sens qu’il faut donner à notre démarche vers cet économiste-gestionnaire qui a accepté nous recevoir à son domicile. Avec lui, nous avons échangé sur la culture, le civisme, le comportement citoyen mais aussi, sur les questions brûlantes du moment dont le Sénat qui divise aujourd’hui les Burkinabè.
Artistebf : Pouvez-vous situer nos internautes sur l’intérêt du Sénat pour le Burkina?
S.C.: Que le Sénat fasse l’objet des débats actuellement, cela ne me dérange pas. Ce qui me dérange par contre, c’est le fait d’entendre tous ceux qui débattent aujourd’hui et qui montrent que le Sénat est inutile. Pourtant, cette réforme ne les a pas surpris. C’est un élément de réforme qui a été proposé lors de la tenue du CCRP ou de la classe politique dans son ensemble qu’elle soit de l’opposition ou de la majorité; la société civile a eu à participer. C’est vrai qu’à l’époque, certains partis n’étaient pas réunis mais tout de même, il y a eu des partis d’opposition qui étaient là, des partis de la mouvance présidentielle également, les chefs coutumiers, des syndicats, des burkinabé de l’étranger, les religieux, et les ONG. Ce qu’on est en train de faire, c’est comme si nous voulions revenir en arrière pour reprendre les débats qu’on a menés lors de la tenue du CCRP. Les règles de jeu étaient claires. Toute proposition qui est faite au cours de cette CCRP et qui ne rencontre pas d’objection formelle d’une des parties qui a assisté à la rencontre peut être qualifiée de consensuelle. Personnellement, je n’ai pas pu assister à tout; mais j’ai assisté à quelques séances du CCRP et j’ai vu comment ça s’est passé. Il a été constaté qu’après des mandats de fonctionnement de l’Assemblée Nationale, des insuffisances malgré les efforts des différentes assemblées qui se sont succédé (premier, deuxième et troisième mandat). Pour palier à ces insuffisances, il s’est avéré nécessaire d’avoir un autre son de cloche pour tempérer les ardeurs de l’Assemblée Nationale. Il y a eu des lois qui ont été reprises à plusieurs fois, des erreurs qui ont été commises et l’idée était de dire, comme cela se fait ailleurs, est-ce qu’une autre chambre à côté de celle-là, ne va pas être de nature à améliorer la qualité des lois qui sont votées au niveau de l’assemblée? Parce que la composition de ces deux chambres est tout à fait différente. L’assemblée, c’est uniquement les députés qui sont élus à partir des listes proposées à la population par les partis politiques. Le Sénat, c’est non seulement des élus locaux qui vont y participer. Mais il y aura également les représentants de la société civile, les religieux, les coutumiers, les syndicats, les burkinabés de l’étranger et bien d’autres sensibilités, qui fait qu’on va avoir des sensibilités diverses en dehors des sensibilités des partis politiques. Ce sont ces sensibilités diverses qui vont apporter une richesse aux débats; et plus un débat est riche, plus l’issue est heureuse. C’est cet aspect qui est important. On a tendance à confondre le Sénat à la deuxième chambre; ce n’est pas pareil. La deuxième chambre n’était pas une institution parlementaire qui pouvait voter les lois. Elle ne participait pas concurremment avec l’assemblée à voter les lois. Là, le Sénat va être cette deuxième chambre qui va aussi voter les lois. Même si en dernière analyse la primauté revient à l’assemblée, le Sénat aussi va voter les lois. Vous avez vu que dans les dispositions, en cas de vacance du pouvoir, c’est le Président du Sénat qui le succède. Donc, toutes ces dispositions sont pour un peu tempérer la toute-puissance de l’assemblée Nationale. Pourquoi on dit qu’au niveau d’un pays, il faut une opposition forte? C’est pour tempérer les ardeurs de la majorité. De la même manière, il faut le S pour tempérer les ardeurs de l’Assemblée Nationale. Ce n’est pas le focus en tant que tel, mais c’est un aspect de la question.
Artistebf : Il semblerait que le Sénat est budgétivore; qu’en pensez-vous ?
S.C.: L’aspect budgétivore, j’ai déjà eu à dire que c’est un faux problème. Si nous devons raisonner comme ça, il y a lieu de ne plus envoyer les gens faire du football parce qu’on ne bouffe pas le football; il n’y a pas plus budgétivore que le sport, la boxe, le cyclisme. Si nous devons raisonner de la sorte, il y a lieu de supprimer le Ministère des sports ou le ministère de la culture parce que le ballon ou le tambour ne sont pas des priorités ! Est-ce que la vie peut se résumer seulement qu’au manger? Je crois que ce genre de raisonnement ne sied pas. Autant prendre tout l’argent du football et acheter du riz ou du mil ! Nous avons créé le chef de file de l’opposition au Burkina, on pouvait dire que ce n’est pas nécessaire parce que ça n’existe nulle part dans la sous-région. Et pourtant la création de la file de l’opposition entraîne aussi des frais. Si nous partons même sur la base qu’il aurait coûté 75 millions (puisque que les gens aiment convertir), combien d’écoles aurons-nous obtenues avec cette somme ?. Ceux qui s’opposent au Sénat auraient pu demander de réduire par exemple le coût plutôt que s’y opposer totalement. Très honnêtement, on aurait pu se poser la question de savoir, comment le Sénat va fonctionner parallèlement à l’assemblée nationale pour améliorer la qualité des lois, apporter et générer d’autres lois qui répondent aussi aux préoccupations, aux sensibilités des populations? Personnellement je pense que le débat tel qu’il se mène maintenant est tout à fait déplacé. Veut-on dire qu’aujourd’hui il faut revenir pour amender la constitution pour dire que le Sénat n’existe plus ? Mais déjà, il a été intégré à l’instar d’autres institutions. On ne parle pas de réforme, je dis que c’est un "package" de réformes qui fait que si c’est bien appliqué sur le terrain, c’est sûr que ça va apporter un plus à l’enracinement, à la qualité de notre démocratie. C’est dommage qu’on dise que nous avons cela pour récompenser des gens en phase terminale !
Artistebf : C’est l’expérience des autres pays comme le Sénégal qui décourage et qui laisse à réfléchir ...
S.C.: Ce sont des comparaisons qui ne tiennent pas.Un grand penseur avait dit que "la pratique est seule critère de vérité". Autrement, si dans la pratique il s’avérait que le Sénat est vide de sens, la pratique va le révéler; ça ne va pas résister au temps parce que le temps ne ment pas! L’histoire nous en dira…
Artistebf : La politique vous intéresse beaucoup mais vous aimez aussi la culture. Il y a pas mal d’exemples qui montrent que le maire durant tout le mandat n’a pas occulté la culture. Elle vous a beaucoup passionné parce que vous avez créé beaucoup d’espaces culturels comme le Reemdoogo, l’espace culturel Jean Pierre GUINGANE et même le Reemdoogo II qui est en projet. C’est autant d’éléments qui montrent que le maire s’est beaucoup intéressé à la culture. Selon vous quelle est l’importance de la culture pour un pays?
S.C.: Quand on est dans un pays qui cherche ses marques, un pays qui débute dans l’expérience du développement (parce que notre indépendance date seulement de 1960), il y a ce qu’on appelle la priorité des priorités. Cela fait que, quelquefois, des gens de bonne foi relayent la culture au second plan, comme étant la dernière des choses qu’il faut réaliser après qu’on ait eu le ventre plein. J’avoue que je pensais comme ces personnes-là. Mais l’expérience qui m’a été donnée de vivre à travers mes 18 ans à la mairie ont achevé de me convaincre que pour la pérennité d’un pays, on doit accorder une importance à la culture. Il y a des aspects transversaux qui font que la culture a un impact dans les autres domaines. L’éducation, le développement, le sport, le social sont autant de domaines où intervient la culture.
On vous appelle burkinabé parce qu’il y a un socle sur lequel se repose cette notion et c’est ce qui traduit la culture, les us, les coutumes, bref… l’âme d’un pays. Et quand vous vendez votre âme, vous n’êtes plus rien! C’est pourquoi aujourd’hui, tout démontre à souhait qu’il faut revenir sur un certain nombre de repères de notre culture. Ces repères, tout en étant dans un monde moderne, peuvent nous aider à vivre notre modernité en profitant des aspects des autres cultures qui nous accompagnent dans les différents domaines du développement. Lorsque vous voyagez, vous verrez que la culture dans son assertion la plus large est quelque chose qu’il faut chérir. C’est pourquoi que vous soyez aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, en Grande Bretagne, en Afrique, en Asie, en Océanie, chacun a des éléments forts de sa culture sur lesquels il veille malgré la modernité. C’est pourquoi, je tiens à ce que nous ne soyons pas en reste malgré la limite de nos moyens pour magnifier la culture dans une ville et surtout une ville capitale.
Artistebf : Quel peut être le rôle de la culture dans un pays qui cherche ses marques et qui est à ses débuts dans l’expérience du développement comme le Burkina Faso ?
S.C.: Il y a des jeunes qui sont passés par le Reemdogo et qui, aujourd’hui sont très respectables et gagnent dignement leur vie. Ces jeunes ont apporté à notre terroir de la matière pour réveiller notre culture. Leur action a feuilleté l’imaginaire des jeunes et c’est de cette façon qu’on construit un pays. Les artistes, à travers leurs spectacles participent à la paix parce qu’ils font passer des messages à travers la musique. Ils préparent les cœurs, ils préparent les esprits bref… ils participent d’une manière ou d’une autre à la paix sans savoir qu’ils sont eux-mêmes des faiseurs de paix. Donc que ce soit les conteurs, que ce soit ces musiciens, les écrivains, tout ce beau monde peut transformer l’homme. Je suis convaincu aujourd’hui que la culture mérite beaucoup d’égards dans un pays, dans une ville, dans une collectivité.
Artistebf : Monsieur le Maire, la culture devrait être comme le socle du caractère intègre des Burkinabè; aujourd’hui, beaucoup se demandent s’il y a encore des hommes intègres au Burkina ?
S.C.: Ah.. ! si c’était vrai, ce serait une catastrophe pour le Burkina ! Disons qu’il y a des choses qui exaspèrent et qui font que, comme le dit un adage moaga« c’est un seul âne qui a roulé sa gueule dans la farine et ça blanchit les gueules de tous les autres ânes ». On ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’hommes intègres au Burkina. Il y a des hommes qui luttent chaque jour pour être intègres. S’il n’y a plus d’hommes intègres, cela voudrait dire que tout le monde est pourri; alors que ce n’est pas vrai ! Il y en a encore qui craignent Dieu dans ce pays et qui savent que la vie continue même après la mort. Toute droiture, le bien qu’on fait sur cette terre, on aura la récompense. Les gens qui pensent de cette manière agissent en faisant bien attention ! A l’opposé, il y a des gens qui ne croient pas à la vie après la mort et cherchent à vivre intensément, faire le maximum de mal pourvu qu’ils ressentent du plaisir (rires moqueurs). Non, je ne suis pas de ce camp ! C’est en cela qu’il faut magnifier les religions révélées qui nous aident dans nos dérapages. Si je voulais m’enrichir de façon malhonnête, ce ne sont pas les occasions qui m’ont manqué.
Parlant des marchés, il y a une chose que j’ai de la peine à oublier. C’est cette méchanceté dont certains ont eu à mon égard. Je veux parler de la réhabilitation de l’Hôtel de villede Ouagadougou. Quand j’y pense, je revois le passage de la bible qui dit " à moi la vengeance…" C’est pourquoi, j’ai demandé à Dieu de régler cette injustice pour moi. Il y a des gens qui m’ont fait une confiance totale et je ne vais pas décevoir ces gens-là. Pour rien au monde, je ne vais les trahir, ni Dieu, ni les autorités de mon pays qui m’ont fait confiance encore moins devenir un vulgaire voleur. Je sais que parfois la tentation est trop grande devant telle ou telle situation, mais je prie afin que Dieum’aide à sortir victorieux. Dans cette réhabilitation de l’Hôtel de ville, je n’ai rien… rien… et rien pris chez personne ! Et voilà qu’on essaie de me couvrir de boue ! Vous voyez que l’intégrité se paie souvent en monnaie de singe. Mais quand on est croyant, on ne voit pas la récompense des hommes; le plus important, c’est la récompense de Dieu.
Artistebf : Sur Artistebf, il y a le cinéma, la musique, la mode, la littérature, et le théâtre; lequel de ces domaines vous vous intéressez le plus ?
S.C.: Ecoutez, j’ai des difficultés finalement. L’autre jour, on m’a pris comme parrain de la cérémonie de dédicace d’un livre « ciel dégagé à ouaga », écrit par une dame très respectable. Mais le peu de temps qu’on a passé ensemble, j’ai aimé la littérature. Même la mode, j’aime le "Faso-danfani" bien fait, bien brodé, c’est un signe distinctif. Mais je me démarque de la vision que nous avons eue sous la révolution. A cette époque, quand on voulait magnifier le "Faso-danfani", il y a eu des aspects qu’on a mal manipulés. Comment un fonctionnaire peut-il partir à Paris en plein hiver en portant un habit "Faso-danfani"; il va grelotter !. Il faut tenir compte du contexte. La coercition n’était le meilleur moyen pour inciter les gens au port du dan fani. Cependant, il faut travailler à améliorer la qualité de la production des fils du tissu pour permettre à ce qu’on fasse aimer non seulement notre produit à l’intérieur mais aussi à l’extérieur.
Et la musique M. le Maire comment vous l’appréciez ?
S.C.: Il y a plusieurs types de musique parce que j’ai aussi mes goûts. Je n’aime pas par exemple le "coupé-décalé", le HIP-HOP, le RAP…(Rires) Ce n’est pas mon fort. Par contre, il y a des jeunes comme Floby et DezAltino qui chantent bien. Quand tu les écoutes, tes larmes coulent…Ils dépeignent la société, ses vices et ses valeurs. Non seulement leur musique est douce et agréable mais leurs paroles sont aussi profondes. Mais je n’aime pas le vacarme.
Artistebf : Votre mot de fin, vos conseils à l’endroit de ce monde de la culture
S.C.: J’encourage d’abord tous ceux qui ont en charge le département de la culture; ce n’est pas facile dans un pays pauvre d’avoir suffisamment de ressources pour s’occuper de la culture. Mais ça ne devrait pas être seulement l’affaire de l’Etat central ou des gouvernements locaux, c’est-à-dire les collectivités, ça doit être aussi l’affaire des privés, des opérateurs économiques, les religieux, les coutumiers et la société civile. Comme on l’a dit, la culture intéresse tout ce bon monde. Chacun doit jouer sa petite partition pour que l’un dans l’autre, la culture devienne un référentiel à partir duquel nous agissons. Je souhaite bon vent à tous les premiers responsables de ces départements, bon vent aux artistes musiciens, bon vent à tous ceux qui font quelque fois dans l’anonymat et en dehors du Burkina, des efforts pour magnifier la culture burkinabé. On pourra écrire un jour, " Apport du Burkina, aux hommes de culture, à tous ceux qui ont apporté une contribution à la promotion de la culture burkinabé, la patrie reconnaissante".