C’est le 27 février dernier que le procès de l’affaire Gilbert Diendéré et 83 autres, maintenant 81 autres, eu égard à l’annulation de la citation à comparaître de deux prévenus, a débuté à la salle des Banquets de Ouaga 2000. Le 27 mars 2018, soit un mois après, les différentes parties ne sont pas encore entrées dans les débats de fond. Au cours du 5e jour de l’audience, c’est-à-dire celle tenue hier, 27 mars, le président du tribunal procédait toujours à l’examen des témoins.
Ce 5e jour d’audience du procès du putsch manqué de 2015, le président du tribunal a fait son entrée dans la salle à 9h 23mn. Avant tout propos, Seydou Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’est excusé du retard accusé et a indiqué dans le même temps que jusqu’à ce moment (Ndlr: 27 mars 2018, à 9h 25mn), le tribunal n’a pas reçu la notification de la Cour de cassation. Cela, en faisant référence certainement à l’observation faite par les avocats de la défense, la veille, pour lui signifier qu’ils avaient déposé des requêtes auprès de la chambre criminelle de la Cour de cassation et de la Cour d’appel. Et que de ce fait, il devrait tirer toutes les conséquences, étant entendu que la loi dispose que lorsqu’une requête est introduite auprès de ces juridictions, l’audience devrait être suspendue. Mais, cette même loi précise que le président du tribunal auquel appartient le magistrat récusé, devrait être notifié.
C’est cette notification que Seydou Ouédraogo a fait savoir qu’il n’a pas encore reçue, dès l’ouverture de l’audience. Conformément à ce qu’il avait annoncé la veille, il a donc demandé à ce que l’on procède à l’examen de la liste des témoins. Mais, à ce moment précis, la défense demande la parole pour soulever un fait qui, selon elle, est « suffisamment grave ». Par la voix de Me Yelkouni, elle a donc dit vouloir attirer l’attention du tribunal sur les faits et gestes du directeur de la Justice militaire. Depuis le début du procès, a-t-il dit au président, « vous avez tenu à ce que tout se déroule selon le principe du respect d’autrui ». « Nous ne pouvons pas tolérer que le directeur de la Justice militaire vienne à cette audience et qu’il observe les faits et gestes d’un accusé pour lui faire des remontrances », a-t-il dit à Seydou Ouédraogo. Pour Me Yelkouni, si le directeur de la Justice militaire a un reproche à faire à son client, qu’il s’adresse au parquet. « Que ce soit la dernière fois que le directeur de la Justice militaire fait des reproches à mon client », a fini par mettre en garde Me Yelkouni. En réaction à l’intervention des avocats de la défense, le président de la Justice militaire a indiqué que ce sont des choses qui sont certainement intervenues pendant les moments de suspension. « Mais nous prenons acte et nous allons faire en sorte que cela ne se répète plus », a-t-il indiqué à la défense. Ceci étant, Seydou Ouédraogo a demandé au greffier de procéder à la lecture de la liste des témoins produite par le parquet militaire. Le premier à être appelé a été l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo qui a répondu présent. D’autres personnalités ont également été citées comme témoins par le ministère public. Entre autres, Paul Ouédraogo, archevêque de Bobo-Dioulasso, le Général Honoré Nabéré Traoré, le Général Pingrenoma Zagré et le Chef d’Etat-major général des armées, Oumarou Sadou. Toutes ces personnalités ont répondu présent. Parmi les 42 témoins plus l’expert en informatique, Inoussa Sanfo, cités par le procureur militaire, 14 n’étaient pas présents lors de l’audience du 27 mars dont Eddie Komboïgo et Achille Tapsoba, respectivement président et vice-président du CDP.
« Ils veulent faire croire à l’opinion qu’on refuse de les faire comparaître »
Les observations faites par la défense après l’appel, c’est que parmi les témoins cités, il y a des anciens accusés. « Est- ce que ces ex-inculpés peuvent paraître comme témoins ? », a donc demandé Me Salambéré. Pour la partie civile, il n’y avait pas d’inconvénients particuliers à cela. Place maintenant à la liste des témoins produite par le Général Gilbert Diendéré. De tous les 25 noms qu’il a produits, seulement 3 étaient présents. Ces derniers, les Généraux Ali Traoré, Ibrahim Traoré et Brice Bayala ont pu se présenter à l’audience parce qu’ayant entendu par voie de presse ou par personnes interposées que Gilbert Diendéré les avaient cités comme témoins. Pour le reste, ils n’auraient pas reçu de citation à comparaître. Ce sont, entre autres, Roch Marc Christian Kaboré, président du MPP au moment des faits, le président de la Transition, Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida, Gilles Thibault, ancien ambassadeur de France au Burkina, Tulinabo Mushingui, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Burkina, Sa Majesté le Mogho Naaba Baongo et le cardinal Philippe Ouédraogo. A la question de savoir pourquoi la citation ne leur a pas été envoyée, les avocats de l’accusé feront savoir qu’il appartenait au procureur militaire de le faire. Pour ce dernier pourtant, aucune base légale n’oblige le parquet à citer les témoins produits par la défense, selon les dispositions des articles 106 et 116 du Code de justice militaire. L’article 106 du Code de justice militaire dispose en son dernier aliéna que : «L'inculpé doit notifier également au procureur militaire, par simple déclaration au greffe, la liste des témoins qu'il désire faire entendre ». Cette disposition, selon le parquet, ne lui fait aucunement l’obligation de citer les témoins de la défense. Une position que les avocats de la partie civile soutiennent. D’ailleurs, ont-ils déploré, les avocats de la défense n’ont pas, non plus, pris la peine de leur notifier la liste des témoins qu’ils aimeraient appeler à la barre. « Nous avons vu la liste à travers la presse », a soutenu Me Farama. Et la partie civile d’ajouter également que la défense n’entend même pas voir ces témoins à la barre, autrement, elle aurait pris la peine, par voie d’huissier, de les citer à comparaître. « Ils veulent faire croire à l’opinion qu’ils ont cité des témoins mais que l’on refuse de les faire comparaître », a déploré Me Farama. Pour la défense, il n’en est pas question, en ce sens que le Code de justice militaire est également clair en son article 105 et dispose que : « Les citations et notifications aux témoins, prévenus, inculpés, sont faites sans frais par la Gendarmerie ou par tous autres agents de la force publique ». Cela dit, pour la défense, c’est au procureur militaire de le faire. « Sinon, qu’on nous donne également la base légale que c’est la défense qui doit citer les témoins », a réagi Me Yelkouni. A cette réaction, la partie civile répondra que la défense est une partie au procès comme toutes les autres parties. « Comment demander à une autre partie de faire citer des témoins sur qui vous comptez pour vous acquitter ? », a demandé Me Sayouba Neya de la partie civile. Il était 12h 30mn lorsque le président du tribunal a demandé au greffe de procéder à la lecture de la liste des témoins du cabinet Mamadou Sombié. Ici, la particularité est que certains témoins cités par la défense, sont aussi des accusés, notamment, le Général Gilbert Diendéré. Toute chose que le parquet n’approuve pas et demande à la défense de fournir la base légale qui soutient qu’un accusé peut aussi comparaître en tant que témoin. Mais, pour Me Sombié, la loi est claire et dispose que seule une partie civile ne peut pas être entendue comme témoin. C’est sur ces points qu’est intervenue la première suspension de l’audience. Il était 13h 20mn. Après une suspension d’environ une heure, l’audience a repris à 14h 30mn, par la présentation de la liste des témoins à décharge de l’accusé Nobila Sawadogo qui a pour conseil Me Flore Toé. Il s’agit de Salam Sawadogo, Rufine Sawadogo/Ouédraogo, tous comparants. Par contre, Yacouba Manli, Assistant de police et cité comme témoin par le conseil du sieur Kambou, n’a pas comparu. Il en est de même pour David Sami Palm, témoin de l’accusé Relwendé Compaoré. Me Christophe Birba, conseil de celui-ci, a signifié que ledit témoin réside à Bobo-Dioulasso et qu’il ferait le déplacement en temps opportun pour être entendu. Quant à l’accusé Médard Sénimi Boué, voici sa liste de témoins : Moïse Moussa Kaboré, aide de camp du Premier ministre, Issouf Guiré et Bouyo Arsène, étudiant à Ouagadougou. Seul ce dernier a répondu à la convocation du cabinet d’avocats Yamba, conseil de l’accusé. Les deux autres étaient non-comparants, bien qu’ayant reçu les citations à comparaître. Une situation que Me Yamba a déplorée : « Sur trois personnes, une seule a comparu. Cela me convainc de ce que les citations auraient pu être faites à parquet parce que selon les textes, il y a une procédure appliquée à un témoin cité qui ne comparaît pas. Mais la partie civile n’a aucun moyen de contraindre un témoin à comparaître ».
Des diplomates et des présidents cités comme témoins
L’accusé Dao Abdoulaye qui a pour conseil Me Bonkoungou, a cité Michel Kafando comme témoin. Le témoin cité était non comparant. Et il est ressorti que la liste a été déposée ce 27 mars dans la matinée. Ceci expliquant probablement la non-comparution du témoin. Mais Me Sayouba Néya a estimé que ladite liste doit être écartée, compte tenu de sa date de dépôt. Par contre, Me Bonkoungou a trouvé qu’il n’est pas opportun de l’écarter, parce que le procès n’est qu’à l’examen des listes de témoins. Donc, le parquet a tout le temps pour faire comparaître Michel Kafando en tant que témoin. Me Bonkoungou, avocat du Général Djibrill Bassolé, a produit une deuxième liste de témoins à décharge au profit de son client. Il s’agit de François Yaméogo, Sébastien Rapademnaba, Frédéric Ouédraogo, Herman Kounzel, Yacouba Isaac Zida, Sita Sangaré. Des diplomates et des présidents ont aussi été cités comme témoins, en l’occurrence Gilles Thibault, Tulinabo Mushingi, Macky Sall, Yayi Boni, Mahamoudou Issoufou. Sur les onze (11) personnes qui constituent la liste, aucun n’a comparu. Et Me Bonkoungou a relevé qu’il appartient au parquet de faire diligence pour que ces témoins puissent comparaître. Mais le procureur militaire a signifié que vu la date et l’heure de dépôt de la liste, ce 27 mars, il est impossible d’accéder à la demande du conseil de l’accusé Djibrill Bassolé. « Citer des chefs d’Etat et des diplomates et dire que le parquet doit tout faire pour que ces témoins se retrouvent dans cette salle », pour le parquet, cela paraît invraisemblable. Pour ce faire, le parquet a noté que le « sérieux de cette liste est à examiner ».
Le président du Tribunal militaire cité comme témoin
Embouchant la même trompette, Me Somé, avocat de la partie civile, a aussi estimé que « la liste n’a aucun caractère sérieux ». Par contre, ils ont relevé que Djibrill Bassolé a omis un témoin, en l’occurrence Guillaume Soro, « qui devait être cité en premier ». Par rapport à la même liste de témoins, Me Yérim Thiam, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal, avocat de Djibrill Bassolé, Herman Yaméogo et Léonce Koné, a émis une observation relative au Témoin Yacouba Isaac Zida. « Comme il est en fuite, le tribunal peut prendre des mesures pour le faire comparaître de force », a-t-il indiqué. Mais Me Somé a fait remarquer que « c’est un acharnement inutile contre Yacouba Isaac Zida qui est d’ailleurs partie civile dans ce dossier ». La liste des témoins de Djibrill Bassolé est la même que les accusés Léonce Koné et Herman Yaméogo ont produite. Et le conseil de ces accusés a aussi signifié au parquet, qu’il doit faire diligence pour que lesdits témoins puissent venir déposer. Mais le parquet a répliqué en ces termes : « La comparution des témoins n’est pas à la diligence du parquet, (…) cela manque de sérieux ». Pour ce qui est toujours de la liste des témoins, l’accusé Abdoul Aziz Korogo a cité le Général de Brigade Pingrenooma Zagré. Il était présent dans la salle d’audience, mais dit n’avoir reçu aucune citation à comparaître comme témoin. En plus du Général de Brigade, la liste est composée de Alassane Moné, Raboinyinga Kaboré, Salfo Kaboré, Seydou Yonaba, Evrad Somda, Jules Méda, Boubacar Keïta, Ismael Diawari. La dernière liste produite par Me Yérim Thiam est celle qui a suscité la polémique. En effet, l’avocat de Djibrill Bassolé, Herman Yaméogo et Léonce Koné a produit le magistrat Seydou Ouédraogo, président du tribunal, comme témoin tout en souhaitant « qu’il soit récusé ». Il n’en fallait pas plus pour faire dire au parquet « qu’il y a un manque de sérieux ». Pour les avocats de la partie civile, « cette liste est un abus de droit qui peut donner lieu au payement de dommages et intérêts ». Après que les discussions sur cette liste ont été closes, Seydou Ouédraogo, président du tribunal, a donné la parole à Me Bonkoungou qui a déposé un mémoire relativement à l’arrêt de renvoi du 29 décembre 2017 qui dit de « prononcer la mise en accusation des accusés et les renvoyer devant la juridiction de jugement pour être jugé conformément à la loi ». Pour lui, avec la loi N°044-2017/AN portant modification de la loi N° 24/94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de justice militaire, on ne parle plus de juridiction de jugement puisque celle-ci a été éclatée en plusieurs juridictions. Me Bonkoungou se demande alors devant quelle juridiction ses clients doivent comparaître puisque la juridiction de jugement n’a pas été précisée. Par conséquent, il a demandé que les citations délivrées à ses clients soient annulées. Pour le procureur, « c’est un débat dépassé ». Selon lui, le tribunal a dit que cela ne relevait pas de sa compétence mais de celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, soutenant que le pourvoi ne prospèrera que lorsque le jugement sera rendu au fond. Par rapport aux citations incriminées, le parquet a estimé que « tout est conforme » et qu’il n’y a pas d’éléments qui annulent ces citations. Le parquet a donc déclaré le mémoire recevable en la forme mais l’a rejeté au fond, le jugeant mal fondé.
C’est aux environs de 17h, heure locale, que le Président du tribunal a suspendu l’audience, prévoyant la rouvrir le vendredi 30 mars à 9h.