« La grosse colère de Rosine » ; tel était le titre du compte rendu de la réponse de la ministre de l’Economie et des Finances, Rosine Hadizatou Coulibaly, à la question orale posée par le député Ousséni Tamboura le 23 mars dernier à l’Assemblée nationale.
C’est une Rosine tantôt en colère, tantôt désabusée qui s’est exprimée devant la représentation nationale et a tiré la sonnette d’alarme sur les cordons de nos bourses, visiblement relâchées. Du reste, les chiffres parlent pour elle : une masse salariale qui engloutit près de la moitié des recettes de l’Etat, un fonds commun initialement considéré comme un bonus et qui dépasse aujourd’hui et largement la masse salariale. C’est dire qu’on n’a pas besoin d’être antisyndical pour reconnaître que les propos de Dame Rosine sont frappés du bon sens. Et c’est du reste ce franc-parler qu’on peut qualifier de cassant qui lui vaut l’inimité d’une bonne partie des agents de son ministère. Mais a-t-on besoin de passer par HEC ou même l’ENAREF pour savoir que cette situation est intenable à terme ? Hélas ! quand c’est ceux-là mêmes qui doivent enseigner aux autres l’orthodoxie financière et une rigueur de tous les instants dans la gestion des deniers publics qui sont pris en flagrant délit de goinfrerie pécuniaire, on ne sait plus à quel financier se vouer.
Certes, personne n’a fait vœu de pauvreté, pour reprendre la formule d’un de nos forumistes, mais le danger est qu’à trop s’acharner à traire la vache sans discontinuer, on court le risque qu’aucune goutte ne sorte finalement des mamelles avachies. En réalité, dans cette affaire, se pose, d’une part, une question d’équité sociale entre les fonctionnaires et le reste de la société burkinabè : quand 200 000 personnes, soit 2% de la population, s’arrogent près de la moitié du budget de l’Etat, il y a problème ; d’autre part, il y a une question de justice entre les fonctionnaires eux-mêmes : est-il normal, juste parce qu’on a fait les régies financières ou la magistrature, qu’on se paye sur la bête pendant que le personnel enseignant, du service hospitalier et, pourquoi pas, les journalistes, ne sont pas moins utiles à la société et contribuent chacun à son niveau à la formation de la richesse nationale, laquelle devrait être équitablement répartie, sont en reste ?
D’ailleurs, depuis l’instauration de cette manne financière distribuée semestriellement ou annuellement aux travailleurs relevant d’une dizaine de ministères, on a abouti à une espèce de paradoxe où ce qui était censé être un bonus ou une libéralité pour encourager les travailleurs est devenu plus important que le principal qu’est le salaire. Et si l’on y réfléchit bien, c’est peut-être devenu un obstacle à la bonne marche du travail et au recouvrement des recettes. Mais de quoi Dame Rosine se plaint-elle ? Car si on en est arrivé là, c’est parce que les dirigeants ont laissé la masse salariale grossir, grossir et grossir encore au point de devenir un véritable monstre incontrôlable.
En réalité, on la comprend, la pauvre dame. Sa complainte devant les députés vendredi dernier sonne comme un aveu d’impuissance. Tout se passe comme si elle était mise devant le fait accompli par ses supérieurs, abandonnée à elle-même, aux loups voraces du MEF par le Premier ministre et surtout par le Président du Faso qui veut contenter tout le monde et son père. Rosine, qui tient nos précieuses bourses avec tant de difficultés, peut toujours gémir devant les députés, mais elle sait à qui elle doit s’adresser. Cela d’autant plus qu’il y a longtemps qu’on a dépassé le ratio masse salariale/budget : en 2016 déjà, les salaires absorbaient 49% du budget, au grand dam de l’UEMOA qui a toujours prévenu que le ratio devrait être tout au plus de 35%. Les institutions internationales ont tant crié haro sur le baudet burkinabè dans sa course folle vers le précipice que l’on ne s’étonnerait pas qu’un jour l’Etat soit en cessation de paiements.