Membre du collectif d’avocats commis à la défense du général Gilbert Diendéré, dans l’affaire du putsch manqué de septembre 2015, Me Barterlé Mathieu Somé, s’est confié à Sidwaya, à quatre jours de l’ouverture du procès prévue pour le mardi 27 février 2018. Il livre sans détour ses attentes et ses craintes par rapport au dossier.
Sidwaya (S.) : Quel est l’état d’esprit de votre client, à quatre jours de l’ouverture du procès ?
Barterlé Mathieu Somé (B.M.S.) : Il est le présumé commanditaire du putsch, et il tient à s’exprimer, afin que le peuple burkinabè sache la vérité sur ce qui s’est passé le 16 septembre 2015. Mon client souhaite, que tous les témoins cités par le tribunal militaire comparaissent effectivement pour satisfaire cette soif de vérité du peuple.
S. : Le maître à penser de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) est-il physiquement en forme pour affronter les juges ?
B.S.M. : Cela fait plus de deux ans, que le général Diendéré est en prison et il tient le coup. C’est un vrai militaire. Je ne l’ai pas connu très malade. Il a eu des petites maladies comme le rhume. Il a toujours fait du sport, pour maintenir sa condition physique et mentale.
S. : Les conditions sont-elles véritablement réunies pour aller au procès ?
B.S.M. : Je ne peux pas le dire à priori. Nous attendons de voir si tous les témoins cités vont comparaître, tels que le général Yacouba Isaac Zida, exilé au Canada ou d’autres qui ont été nommés dans des ambassades. Il y a même le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, qui est cité. Je ne peux donc pas dire que toutes les conditions sont réunies. Il faut attendre le jour-J pour voir.
S. : Le général Diendéré a dressé une liste de témoins, qu’il aimerait voir à la barre, dont le président du Faso. En quoi leurs témoignages peuvent-ils contribuer à la manifestation de la vérité, selon vous ?
B.S.M. : Le parquet a ses témoins, tout comme le général qui a transmis sa liste. On a pratiquement les mêmes témoins, parmi lesquels des chefs militaires, sauf quelques-uns de plus, dont le chef de l’Etat.
S. : On le sait, le président du Faso jouit d’une certaine immunité dans l’exercice de ses fonctions. Est-ce que ce n’est pas un combat perdu d’avance, que de vouloir le voir au tribunal ?
BSM : Il n’est pas poursuivi pénalement pour qu’on parle d’immunité . Il doit comparaître, s’il est cité comme témoin. Les juges trouveront les formules qui conviennent. Ils ont tous, les formules possibles. Il faut que le chef de l’Etat apporte sa contribution, en tant que premier Burkinabè.
S. : D’aucuns trouvent, que le gal Diendéré veut délibérément « mouiller » un certain nombre de personnes dans l’affaire, à travers sa liste de témoins…
B.S.M. : Vous pensez que c’est le général qui a inventé le fait qu’on puisse citer des témoins ? Même le parquet a cité des témoins. Il a le droit de le faire aussi. Il estime, qu’il y a des gens qui peuvent participer à la manifestation de la vérité. Il a peut-être échangé avec des gens. Vous avez déjà entendu parler des deux réunions tenues avec la hiérarchie militaire. Elle en sait quelque chose. Un comité de médiation a été mis en place, qui a discuté en son temps avec les soldats. On doit savoir ce que les gens se sont dits dans les bureaux. Qu’est-ce que le comité a pu rencontrer comme difficultés avec les soldats ? Pourquoi la médiation a échoué ? Pourquoi à un moment donné, on a commencé à parler de changement de régime ? Le nœud du problème est là, et c’est pourquoi les témoins doivent comparaître. Nous- mêmes, on avait demandé leur inculpation, mais la Chambre de contrôle n’a même pas daigné répondre à cette demande. Nous allons insister sur cet aspect, le 27 février, avant de rentrer dans le fond du dossier.
S. : Et si les témoins auxquels vous tenez ne comparaissent pas?
B.S.M. : Si les témoins cités ne comparaissent pas, on va constater avec le peuple. Il y aura, en ce moment, une part de vérité que le peuple ne saura jamais, alors qu’il tient à toute la vérité.
S. : Les audiences ont été délocalisées à salle des banquets de Ouaga 2000. Ce qui nécessite des dispositions sécuritaires particulières. Craignez-vous des débordements ?
B.S.M. : Nous craignons bien-sûr des débordements. Sur ce plan, les avocats de la défense ont saisi le directeur du tribunal militaire, par courrier, pour lui demander de prendre les dispositions nécessaires pour assurer leur sécurité, celle de leurs clients et des engins qui doivent les transporter tout le long du parcours, même en stationnement. Parce qu’il me revient, que tout peut arriver, même des explosions. Une réponse favorable nous a été adressée pour nous dire, que toutes les dispositions ont été déjà prises pour assurer le bon déroulement du procès. Il nous a été demandé en plus d’exprimer des préoccupations particulières si nous en avons. Je ne sais de quoi cela retourne, mais nous avons posé le problème, et c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités.
S. : Des informations font justement état que des individus mal intentionnés se préparerai1}ent pour perturber la tenue du procès. Quel commentaire cela vous inspire ?
B.M.S. : Je ne peux pas comprendre que des gens, qui militent pour la manifestation de la vérité, se lèvent contre ce jugement. J’avoue, qu’il y a une contradiction, que je n’arrive pas à saisir.
S. : Est-ce que vous voyez la main du politique derrière ces supposées manœuvres souterraines ?
B.S.M. : Je ne peux pas le dire, mais je trouve cela curieux. Il y a une situation qui est arrivée au Burkina Faso, qui a concerné tout le monde. La période choisie par la justice pour la manifestation de la vérité devrait être un moment heureux pour tout le monde. J’ai appris que des gens s’organisent pour huer les avocats, les généraux, parce qu’ils vont aborder des parts de vérité, qui ne correspondent pas à la vision de certaines personnes. Ils veulent nous empêché de faire notre boulot, mais qu’ils sachent qu’il y a une police d’audience. Le procès peut commencer, et s’arrêter pour se tenir à huis clos comme le prévoit la loi. Je voudrais dire alors à ces individus de mettre leurs intentions de côté, car leur projet ne va pas prospérer.
S. : Quand on prend en considération les cinq chefs d’inculpation, dont attentat à la sureté de l’Etat, trahison et meurtres, qui pèsent sur votre client, il y a de quoi être pessimiste sur son sort. C’est votre position aussi ?
B.S.M. : Pourquoi être pessimiste ? Si tel est le cas, je n’allais pas aller au procès. Je vais pour gagner, pour faire une démonstration juridique. D’une dizaine de chefs d’inculpation, nous sommes aujourd’hui à cinq. C’est dire, qu’un travail a été fait. Sur les cinq chefs d’accusation retenus, nous savons ce que nous allons faire. C’est comme une victoire d’étape, que de réduire le nombre de charges d’inculpation de votre client et ça rend optimiste. Même sans ça, et pour la suite, je reste optimiste. Ce n’est pas le 27 février que nous allons rentrer dans le détail des éléments infractionnels. Il y aura un certain nombre de choses, qui seront discutées, car pour la manifestation de la vérité, nous devons être patients. Il faut qu’on organise les choses dans les règles de l’art. Ce n’est pas de la précipitation. On va poser les problèmes de droit pour que les choses se passent normalement, tels que le prévoit la loi. Ce n’est pas l’opinion qui juge ou constitue la loi. Il faut qu’on respecte la loi telle qu’elle est inscrite dans les différents codes. Donc attendez-vous à beaucoup de choses et a beaucoup de surprises aussi.
S. : Des voix s’élèvent pour demander la retransmission en direct à la télévision. Est-ce possible ?
B.S.M. : La loi ne le permet pas. L’audience est publique. S’il y a un micro, le relais peut se faire autrement. En procès, on ne peut pas filmer, sauf autorisation spéciale.
S. : Y a-t-il un aspect particulier sur lequel vous voudriez insister à quelques heures de la tenue du procès ?
B.S.M. : Je voudrais que le peuple burkinabè, qui veut la vérité, ne vienne pas à l’audience avec des préjugés, parce que des gens ont travaillé pendant longtemps à inculquer des choses dans la tête des Burkinabè. Comme s’ils étaient des idiots. L’audience est publique, et c’est fait ainsi pour que chacun vienne écouter pour faire sa propre religion. Ceux-là qui veulent intoxiquer leurs camarades, perdent leur temps. J’exhorte le peuple à venir pour comprendre ce qui s’est passé. C’est en cela, que la justice qui sera rendue à la suite du procès sera une bonne justice et non une parodie. Ce qui nous permettra d’aller vers une véritable réconciliation.
Interview réalisée par Kader Patrick KARANTAO Mamourou BENAO
(Stagiaire)