Arrêté le 5 octobre 2015 à sa résidence de Ouaga 2000, Me Hermann Yaméogo, président de l’UNDD, était incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA) et ce jusqu’au 4 août 2016, date désormais symbolique à double titre à ses yeux puisque c’est ce jour-là qu’il a bénéficié d’une liberté provisoire. Depuis lors et en attendant l’ouverture, prévue mardi prochain, du procès des accusés dans le putsch manqué du général Gilbert Diendéré, il loge dans sa villa sise à la Rotonde, à quelques encablures du Conseil de l’Entente. Pour quelqu’un qui doit réintégrer la prison dimanche prochain, c’est un accusé visiblement serein et qui n’a nullement perdu de sa verve d’antan qui nous a reçus dans la matinée du 21 février 2018.
Maître, comment allez-vous ? Vos problèmes de santé, notamment ceux liés à vos yeux, sont-ils derrière vous ?
C’est l’iris de l’œil gauche qui a été atteint. Je me suis rendu compte à la MACA que je pouvais voir mais pas lire avec l’œil gauche. Ça posait un problème et des parents m’ont dit qu’il fallait voir un spécialiste et le plus rapidement possible. Grâce à une autorisation que j’ai obtenue, j’ai pu rencontrer ce dernier, qui m’a fait savoir que l’on ne pouvait pas opérer cette affection au Burkina, mais plutôt à l’étranger. Et c’est la justice militaire même qui a fait la demande de liberté provisoire, pour des raisons médicales. Et quand je suis allé en Côte d’Ivoire voir un spécialiste, il m’a conseillé de suivre un traitement médicamenteux, en attendant qu’on envisage une opération au laser ou chirurgicale. En dehors de cela, tout va bien et je suis serein.
Quels souvenirs gardez-vous de la MACA, la Maison d’arrêt et de correction des armées, où vous avez été incarcéré pendant 11 mois ?
Je peux dire que c’est une famille que j’y ai rencontrée. Ça m’a permis de vivre encore une fois en milieu militaire. Parce que j’ai fait d’abord le PMK (Ndlr : Prytanée militaire de Kadiogo) et un petit bout de temps dans l’armée ivoirienne ensuite. Je connais donc le milieu. C’est dire que ça m’a permis de vivre au contact de militaires burkinabè, notamment ceux de l’ex-RSP. Quand on est civil et qu’on n’est pas en contact avec les militaires, on les considère souvent comme des personnages banals, frustes et rustres. Je me suis rendu compte qu’il y avait en leur sein des jeunes très compétents et très diplômés. Et ils sont très valables, non seulement dans le domaine militaire, mais aussi dans le domaine des compétences civiles. Il y avait vraiment une bonne harmonie. Le matin, on faisait le sport pour maintenir notre santé physique et morale. Le reste du temps, je m’adonnais à l’écriture, une passion. Durant mon séjour, il n’y a pas eu d’incident. Nous n’avons pas vécu dans des conditions difficiles et il n’y a pas eu de maltraitance. Tout s’est passé très bien, d’autant plus que je n’avais le sentiment d’aucune faute commise. Pour moi, j’étais là pour des raisons politiques. Je savais certainement qu’il n’y avait rien contre moi et qu’il n’y aurait rien contre moi. Pour moi, c’était une décision politique qui m’avait amené à la MACA.
Pour être passé par la case MACO, vous n’êtes d’ailleurs pas à votre baptême du feu en matière de prison. Rappelez-nous ce qui vous avait valu ce premier embastillement.
Après les événements de 1966 (Ndlr : cette année-là, Maurice Yaméogo est renversé par un soulèvement populaire), mon père était toujours détenu. Il n’y avait pas de jugement, rien ne se passait. Face à cette situation et quand on est jeune, on se dit qu’il faut faire quelque chose pour son géniteur. Je me suis donc engagé dans l’armée ivoirienne en allant voir le chef d’état-major de la gendarmerie de la Côte d’Ivoire. J’avais 17 ans, et ce dernier était surpris par mon jeune âge. Dans mon esprit, il fallait s’engager dans l’armée, prendre les armes. Après quelque temps à la maréchaussée, je suis rentré. La situation à l’époque correspondait à un mécontentement que l’on a voulu exploiter en organisant des marches dans le pays avec des pancartes pour demander la libération de Maurice Yaméogo. A trois jours de cette marche, nous avons été trahis par un des nôtres, d’où notre arrestation et notre condamnation. Nous avons été condamnés non pas pour des manifestations, mais pour un coup d’Etat que des jeunes de 16, 17 ans voulaient faire. C’était encore une juridiction spéciale à l’image de ce que nous avons actuellement et qui dépendait du pouvoir exécutif.
Y a-t-il une différence entre vos conditions de détention là-bas et celles à la MACA ?
Le premier sentiment que j’ai eu en entrant à la prison civile à l’époque est que c’était un monde à part. Vous êtes frappé par des senteurs fortes. Votre imagination est emballée parce que vous vous dites que vous êtes rangé parmi les criminels. Vous vous demandez alors ce qui va vous arriver. A cet âge, c’est une grande anxiété. Mais nous avons eu la chance d’avoir été placés au premier niveau du bâtiment, réservé aux fonctionnaires. Dans notre cellule, nous étions trois : il y avait un aumônier, le frère Sylvestre, qui nous apportait des romans et nous encourageait. Léonce (Ndlr : Léonce Koné du CDP) et moi, nous nous sommes mis à lire et nous avons passé le Bac. Nous l’avons obtenu en étant à la MACO. Là-bas non plus, il n’y a pas eu de traitement dégradant ni de sévices. Nous y sommes restés deux ans. Le président à l’époque, Sangoulé Lamizana, a estimé qu’il fallait nous accorder la grâce et c’est ainsi que nous avons été libérés.
Revenons à la prison militaire. Quel était votre quotidien à la MACA ? Comment remplissiez-vous vos journées ?
C’était un peu comme à la MACO. Les parents nous amenaient la nourriture et, comme nous étions ensemble, nous partagions ce que chacun recevait. Nous mettions ça ensemble et nous mangions. Il en était ainsi avec les Bassolé, les Kéré et les Korogo.
Comment préparez-vous le présent procès ?
Je le prépare sereinement parce que, bien avant que nous soyons gardés à la gendarmerie, nous savions que c’était pour des raisons politiques. Nous avons eu à affirmer des convictions sur le CND (Conseil national de la démocratie) et, à l’époque, il suffisait de dire que l’on soutient un coup d’Etat pour qu’on dise que vous avez commis un crime. Nous savions donc ce qui allait venir. Par conséquent, quand on nous a convoqués à la police et à la gendarmerie, nous y étions préparés. Nous savions qu’il n’y avait pas d’éléments contre nous. Nous savions que c’était pour des raisons politiques. Il fallait écarter du paysage politique certains hommes qui dérangeaient : soit par leurs propos, soit par leur force de mobilisation. Il fallait que la Transition réalise tranquillement sa transmission du pouvoir à ceux qui ont aidé à faire l’insurrection qui, en réalité, était un coup d’Etat.
Ah bon ?
Il y a des confidences qui nous convainquent que c’est une affaire arrangée pour amener des gens au pouvoir. On a porté atteinte au corps électoral pour que certains ne puissent participer. Il fallait aussi que certaines personnes ne soient pas dehors pour contrecarrer cette marche victorieuse vers la prise du pouvoir. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, nous savions que nous évoluions dans un cadre où il y avait beaucoup de démagogie, beaucoup d’effet de manche. Mais il y a quand même des gens qui sont sincères, qui lisent et se renseignent. Ceux-ci verront très bien que ce n’est pas un procès digne, ce n’est pas un procès qui rend service au pays. En tout cas moi, je reste serein.
S’agit-il pour vous d’un soulagement ou d’une crainte qu’après ce procès, ce soit le retour à la case prison et pour longtemps ?
Tout est possible. Avec un tribunal militaire aux ordres du pouvoir, tout est possible. Donc moi je m’attends à tout, mais à travers mes écrits les gens sauront ce qu’il en est réellement.
Qu’est-ce que vous reprochez à la Justice militaire ?
Au début, il y avait des incriminations de meurtre et plein d’autres choses qui pesaient sur moi. Quand le juge m’a dit ça, j’ai souri en me demandant si je suis capable de faire tout ça. Je pensais que lui-même allait sourire quand il citait. Certes il ne l’a pas fait, mais moi en tout cas je ne me reconnais pas dedans. Au cours de l’instruction, le juge n’a finalement retenu que la complicité d’attentat. Nous n’avons pas su qu’un coup d’Etat se préparait. Personne n’a pu dire que nous étions au courant de cela. Nous l’avons appris, comme beaucoup, à la télé, à la radio et sur les réseaux sociaux. J’en ai parlé à Léonce qui en doutait. Pour en avoir le cœur net, j’ai appelé le colonel Kéré qui a confirmé cela. C’est le lendemain que ceux-là mêmes qui ont fait le coup d’Etat ont porté l’information à la télé. Si tu n’étais pas au courant de quelque chose, tu ne peux pas avoir participé à cette chose. C’est simple. Voilà qui bat en brèche l’argument de la complicité. Nous n’étions même pas dans l’action principale, comment pourrions-nous être complices ? Il n’y a rien contre nous. On peut seulement surfer sur le fait qu’on ait dit qu’on a applaudi le coup d’Etat. Mais on peut applaudir l’arrivée de quelque chose sans pour autant y participer. On parle d’argent qu’on nous a envoyé. Cet argent est une demande que nous avions faite en Côte d’Ivoire pour financer les campagnes. D’ailleurs, l’argent est venu après le coup de force. Il n’y a même pas de relation à faire entre les deux faits.
Dans le monde entier, il y a une dynamique tendant vers la suppression des juridictions d’exception. La Haute Cour de justice et la Justice militaire que nous avons ici sont issues des régimes autoritaires. Généralement, quand un régime sort d’un coup d’Etat, il met en place une juridiction d’exception. Avec l’évolution des droits de l’homme, on va vers la suppression de ces régimes. Au Burkina Faso, nous restons agrippés à des choses qui sont dépassées et qui sont reconnues sur le plan international comme étant impropres pour administrer une bonne justice.
Personnellement, je pense que les Burkinabè ne s’intéressent pas à la justice. Ce procès doit d’abord être l’occasion pour chaque Burkinabè de se poser la question de la gravité de la situation en ce qui concerne la justice de son pays. Ma seconde remarque est que le président Roch Marc Christian Kaboré a fait de ce procès une affaire personnelle, lui qui persiste à penser que, pour aller à la réconciliation, il faut une justice qui passe par la justice militaire. En passant par la justice militaire, il n’y aura pas de chemin pavoisé pour la réconciliation, la justice militaire n’étant ni indépendante ni impartiale. Elle est aux ordres de l’exécutif. Il y aura des blessures qui vont compromettre la réconciliation. Il y a des pays qui ont connu des crises plus graves que celle au Burkina, mais qui ne sont pas passés par la justice classique parce qu’elle s’est révélée incapable de résoudre les problèmes issus de ces crises-là. Ils sont passés par une justice transitionnelle, qui ne signifie pas absence de justice. Loin de là ! Elle suit seulement une procédure différente de la justice classique, comme ce fut le cas au Rwanda et en Afrique du Sud. Nous ne sommes pas mieux que ces pays-là ! Malheureusement, tous les discours du chef de l’Etat reviennent toujours à ceci : « Nous sommes pour la réconciliation, mais la justice d’abord, la justice d’abord. » Mais je me demande de quelle justice il parle. D’une justice aux ordres ? Une justice qui obéit aux ordres du ministre de la Défense et du gouvernement est loin d’être une justice.
Avez-vous des preuves pour étayer ce que vous avancez ?
Bien sûr ! Vous savez qu’en droit pénal, ce sont les magistrats qui engagent les poursuites. Il y a des garanties de sécurité quand ce sont les magistrats qui le font. Au niveau de la justice militaire, c’est le ministre de la Défense, qui est membre du gouvernement et membre du parti, qui engage les poursuites. C’est lui qui a l’opportunité de la poursuite alors que, dans la justice normale, c’est le magistrat qui analyse en fonction des réalités, de la nature du dossier et engage les procédures en conséquence. Dans la justice militaire, il s’agit du ministre de la Défense, qui a obligatoirement une vision politique du dossier. Je vous donne une preuve du manque d’impartialité de la justice militaire : dans cette affaire-là, pourquoi on a poursuivi certains militaires et laissé d’autres de côté ? Tout simplement parce que le ministre de la Défense n’a pas voulu ! Or, la règle d’or dans l’administration de la justice est que les juridictions soient indépendantes et impartiales. Mieux, la juridiction normale de droit commun a un Conseil supérieur de la magistrature, qui règle la carrière et la profession de ses membres. Par contre, la justice militaire dépend et du gouvernement et de l’armée. Quel est ce juge militaire qui serait assez fou pour aller contre l’armée ? Il va écoper de sanctions de divers ordres.
La justice militaire semble être votre thème fétiche. A ce propos, vous préparez un deuxième ouvrage sur le sujet. Pouvez-vous nous en parler ?
Le titre est « Solutions d’hier, problèmes d’aujourd’hui ». Ceux qui nous gouvernent, bien qu’ils soient restés longtemps au pouvoir, n’en ont pas tiré de leçons. Ils estiment que, par tous les moyens, il faut conserver le pouvoir. Quelle est l’une de leurs solutions ? Ils instrumentalisent la justice. En 1966, lorsqu’il y a eu le coup d’Etat, qu’est-ce qui s’est passé ? Beaucoup d’hommes politiques savaient que Maurice Yaméogo constituait une menace, surtout s’il participait à une élection. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont demandé qu’il y ait un procès au travers duquel l’accuser. On lui a demandé des justifications sur le fonds secret qui lui était alloué en tant que chef de l’Etat. Pourtant ce fonds ne se justifie jamais. L’objectif était purement de le neutraliser pendant des années. Il est resté interdit de politique à tel point qu’il a dû passer par moi pour que je sois à la tête d’un parti, en 1978, pour aller à des élections. Mais comme j’étais mineur, on a trouvé quelqu’un d’autre (Ndlr : Macaire Ouédraogo) qui a mis Lamizana en ballottage. Si à l’époque c’était Maurice qui s’était présenté, il serait passé haut la main. Aujourd’hui, on dit qu’il y a des gens qui sont dérangeants et qu’il faut nettoyer un peu le paysage politique. Alors qu’est-ce qu’ils font ? Ils passent par la justice militaire.
Peut-on avoir une idée de la composition de votre Conseil ?
Il y a maître Yérim Thiam que j’ai connu à Dakar quand j’étais stagiaire et maître Antoinette Ouédraogo du Burkina Faso.
En tant qu’avocat, en aviez-vous vraiment besoin ?
C’est obligé, sinon à la limite je n’en aurais pas voulu. C’est la règle et si tu refuses un avocat, on t’en commet un d’office.
En vue du procès vous allez bientôt réintégrer la prison, quel sera votre baluchon de pensionnaire ?
Il y a des dispositions qui disent que quand on doit juger, il faut ramener les détenus à la prison ; il y en a aussi qui disent que quand ces personnes bénéficient d’une liberté provisoire on ne les ramène pas. Il y a une autre version qui estime que quand il y a une décision de justice, la partie la plus importante dans la décision de justice, c’est le dispositif. Une autre disposition dit que quand on a 60 ans, il n’y a pas de prise de corps.
Mais si vous deviez retourner à la MACA, avez-vous un ou des objets chers que vous emporteriez avec vous ?
C’est peut-être un calepin, un stylo, des romans et un dictionnaire. Ce sont des éléments pour écrire. C’est dommage qu’on ne puisse pas amener de tablette ou d’ordinateur.
Issa K. Barry
Akodia Ezékiel Ada