Comment la famille du général Gilbert Diendéré, l’accusé-vedette, se prépare-t-elle au procès du 27 février prochain ? Dans quel état d’esprit est-elle ? Croit-elle que ce dernier pourrait s’en tirer à bon compte ? Ce sont, entre autres, les questions que nous avons posées à Hippolyte Guinguéré. Directeur commercial de la société Diamond Cement, il est le frère du chef de file des 84 personnes qui comparaîtront à partir de mardi 27 février à la barre du tribunal militaire dans le cadre du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. L’entretien a eu lieu hier 21 février 2018.
Comment préparez-vous le procès du 27 février prochain, en tant que parent du général Gilbert Diendéré ?
Comme tout le peuple burkinabè, ma famille attend impatiemment ce procès. Nous sommes aux côtés du général et souhaitons que tout se passe bien. Nous voulons qu’il y ait toute la vérité et rien que la vérité sur cette affaire. C’est un procès d’essai pour le Burkina Faso parce qu’il y a beaucoup de dossiers pendants. C’est à travers celui-là que le peuple va tester notre justice. En ce qui nous concerne, nous lui avons demandé de relater tous les faits de sorte que tout le monde sache ce qui s’est réellement passé le 16 septembre 2015 et les jours suivants. C’est à travers la vérité qu’on pourra apaiser les cœurs des familles des victimes, en particulier, et des Burkinabè en général. Paix aux âmes des disparus, il y a également eu beaucoup de blessés, des gens se plaignent jusqu’à présent, ils attendent réparation. Il y a un certain nombre de questions qu’il va éclaircir : par exemple, il n’était pas dans le commandement de l’armée, comment s’est-il retrouvé dans cette affaire qu’il a assumée ? Quels sont les gens qui ont fait ce coup d’Etat ? etc.
La tenue prochaine de ce procès est-elle un soulagement pour vous parce qu’on va en finir une bonne fois pour toutes avec cette affaire ou ressentez-vous une certaine crainte parce que son séjour en prison pourrait s’éterniser ?
Il est en prison depuis plus de deux ans. Ce que nous demandons, c’est la justice, la vérité surtout, c’est ce qui peut être un soulagement. Il s’est confié à la justice dès les premières heures et entend dire ses vérités dans cette affaire. Nous n’avons pas peur de la prison.
Sur ces « vérités », vous a-t-il fait quelques confidences ?
Personnellement, je connais beaucoup de choses, mais je ne peux pas parler à sa place, que ce soit dans le cadre du putsch manqué ou d’autres choses. Je veux que lui-même en parle puisqu’on l’appelle ‘’la boîte noire du pays’’.
En tout cas il a endossé la responsabilité du coup d’Etat. Vous pensez malgré tout qu’il pourrait s’en tirer à bon compte ?
Il n’a pas dit qu’il avait fait le coup d’Etat, il l’a assumé. Dans le contexte où nous étions, nous avons frôlé une guerre civile. Est-ce que si les militaires, les civils devaient s’attaquer, s’affronter, nous serions toujours là ? Quand il a dit qu’il assumait, il avait ses raisons. A présent, il a donné une liste de personnalités qu’il souhaiterait voir citer comme témoins. S’il a cité nommément ces personnes, c’est parce que chacune d’elles est intervenue d’une manière ou d’une autre dans cette affaire. Il faut que chacun ait le courage de dire ce qu’il a fait ou pas dans ce coup d’Etat. C’est en faisant toute la lumière sur cette affaire qu’on apaisera le peuple. Nous demandons simplement une justice sociale, équitable, qu’on puisse entendre tout le monde, ceux qui ont été cités et ceux qui pourraient être cités. Le général n’était pas dans le commandement de l’armée, donc comment s’est-il retrouvé dans cette affaire ? Il faut que les personnes qui l’ont poussé à prendre les devants de la scène reconnaissent les faits. Si la vérité éclate, c’est à partir de là que sa charge, celle d’avoir assumé le coup d’Etat, peut s’alléger.
Comptez-vous y assister ?
Si j’en ai l’occasion, j’irai à la salle de conférences de Ouaga 2000. Il y aura certainement beaucoup de monde. Mais s’il y a une priorité pour chaque famille d’inculpé, une ou deux personnes, cela va être plus facile. Pour l’entrée à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), il y a deux ou trois personnes qui ont des permis permanents pour leur rendre visite. Si le tribunal permet qu’on soit dans ce cas de figure, cela facilitera les choses.
Est-ce qu’il y a une organisation particulière au niveau de la famille, quand on sait que ça risque fort d’être un procès marathon vu le nombre des accusés ?
Il n’y a pas d’organisation particulière chez nous. Chacun est libre d’aller suivre le procès. Pour ne parler que de la fratrie, nous sommes au nombre de 8, je suis le 5e enfant de la famille. Je vais m’occuper de ses avocats, ceux qui sont à l’extérieur et à l’intérieur du pays. Il s’agit concrètement de leur déplacement, de leur hébergement et de tous les frais afférents au procès.
Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois et comment se porte-t-il ?
Je le vois chaque semaine. La dernière fois, c’était le samedi 17 février. Il se porte très bien et comme il n’y a pas d’activités, il fait son sport, il s’alimente bien.
Le général est donc prêt au « combat » ?
Bien sûr, et je crois que ça va le soulager de s’expliquer. Il disait que, compte tenu de sa proximité avec l’ancien président du Faso Blaise Compaoré et de son statut de militaire, il lui était difficile de parler. Mais je crois à présent que ce procès sera l’occasion pour lui de déballer ce qu’il sait.
Qui gère les affaires du général depuis qu’il est incarcéré ?
Tout le monde dans la famille, mais le gros me revient. C’est moi qui gère plus ses affaires (rire) comme ses bœufs qui se trouvent à Loumbila, plus d’une centaine de têtes. Je paye la scolarité de ses enfants ainsi que d’autres dont il avait la charge. Côté mental, tout le monde est serein, ses enfants parviennent à vivre.
Comment s’organise son ravitaillement en nourriture ?
Pour ce qui est de sa nourriture, nous avons contacté des restaurants, ils nous fournissent le menu de la semaine. Les tickets et les reçus sont là pour prouver que le repas consommé vient de tel ou tel restaurant de sorte qu’en cas de difficulté, on puisse situer les responsabilités le plus facilement possible.
Quel est son plat préféré ?
On nous fait parvenir le menu de la semaine avec des variétés. Je ne sais pas ce qu’il affectionne le plus, je me charge simplement de régler les notes.
Quel est l’impact de l’absence du général sur la famille ? Autrement dit comment les membres de la famille vivent cette situation ?
Ce n’est pas du tout facile. Il est l’aîné de la famille et, compte tenu de son poids dans la famille nucléaire et celle élargie, ce n’est pas chose aisée. Il y a aussi des gens qui ne sont pas de la famille, mais en souffrent avec nous. Beaucoup de ses connaissances n’en reviennent pas, ils disent que si le général voulait le pouvoir, il avait la possibilité de le conquérir mais il ne l’a pas fait. Ces personnes sont blessées dans leur for intérieur et elles ont soif de vérité pour savoir ce qui s’est réellement passé. Même à l’extérieur du Burkina Faso, il y a des gens qui en souffrent.
Est-ce que vous êtes en contact avec son épouse, Fatoumata Diendéré/Diallo ? Vous arrive-t-il de communiquer avec elle ?
Moi, personnellement non.
Mais avez-vous eu de ses nouvelles d’une tierce personne ?
Il n’y a pas de contact entre elle et moi.
Tout porte à croire qu’elle sera jugée par contumace. D’aucuns perçoivent cela comme une fuite en avant ; est-ce qu’elle n’a pas des choses à se reprocher ?
Comme je vous l’ai dit plus haut, je n’ai pas de contact avec Fatou. J’ai plutôt le contact avec Gilbert Diendéré, c’est pourquoi je vous parle de lui. Je ne peux pas parler de quelque chose que je ne sais pas.
On a eu vent entre-temps d’une liberté provisoire dont devait bénéficier le général Diendéré, mais cela n’a pas abouti. Vous qui connaissez ce dossier, que s’est-il passé au juste ?
Nous tous avons entendu parler de cette rumeur. Il était question d’un arrêté signé par le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants dans ce sens.
Cependant, à travers mes relations, j’en ai beaucoup entendu parler, mais je n’ai pas vu le document en question. Je ne pense pas que c’était vrai.
Durant tout le temps que le général a passé à la MACA, lui est-il arrivé d’avoir des ennuis de santé ?
Ce que j’ai acheté comme produit pour lui, c’était un médicament contre les bronchites. Dans l’ensemble, il est en bonne santé.
Cela date de quand ?
En réalité, il a eu des bronchites, le rhume, le palu, cette année tout comme l’année dernière. Il est paludéen, il ne peut pas passer un an, voire six mois, sans piquer un palu mais le plus souvent cela dure deux ou trois jours. Je vous assure qu’il est en pleine forme, il pratique aussi le sport.
Est-ce que vous avez demandé de l’aide, de l’assistance pour le général, des prières pour être clair ?
Je suis un catholique croyant, pratiquant, souvent on demande des messes, des prières pour lui. Même dans le cadre de ce procès en vue, nous avons demandé des prières afin que tout se passe bien.
Qu’est-ce que vous attendez aujourd’hui des autorités du pays et de la justice militaire ?
Je demande aux autorités de mettre tous les moyens qu’il faut pour la manifestation de la vérité. Il faut qu’elles sécurisent le jugement parce qu’on entend déjà dans la presse qu’il y a des personnes qui s’organisent pour perturber le procès, barrer des routes, etc.
Je demande à la justice militaire de composer un tribunal de juges indépendants. Des juges qui vont nous permettre de connaître toute la vérité et rien que la vérité sur cette affaire. Que ceux qui ont fauté soient condamnés et qu’on relaxe ceux qui seront innocentés. Il ne doit pas y avoir un jugement à l’issue duquel les gens auront toujours soif de la vérité. Il ne faut pas que le politique interfère dans cette affaire. J’insiste sur la liste des témoins. Le général n’a pas cité le nom du roi du Gulmu ou d’autres personnalités, car ils n’y sont pour rien. Par contre les personnalités citées doivent venir éclairer le peuple, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Et à l’issue du procès, si le peuple pense qu’on peut se pardonner, on y va et on permet au pays de prendre un nouveau départ. Nous ne voulons pas d’une justice qui sera orientée à gauche ou à droite, c’est cela qui crée les tensions.
Au-delà du putsch manqué, permettez-moi d’évoquer les autres dossiers emblématiques, l’assassinat du président Thomas Sankara, de Norbert Zongo, du juge Salifou Nébié, et autres. Ce procès doit être le début de la manifestation de la vérité pour toutes ces affaires.
Interview réalisée par
Aboubacar Dermé
Félicité Zongo