Dire que le premier Général de la gendarmerie burkinabè est peu bavard et discret, c’est enfoncer une porte ouverte. Aussi, ses interviews dans les médias burkinabè sont-elles si rares que de mémoire d’homme, la dernière remonte, toutes proportions gardées, à 2014-2015. Le Général Djibrill Bassolé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, qui aura été un des disques durs du régime Compaoré pour avoir été le sécurocrate, puis le sherpa de l’ancien président, est aujourd’hui poursuivi dans le cadre du coup d’Etat manqué de septembre 2015 dont le procès s’ouvre, en principe, le mardi prochain. Nous avons pu arracher une interview dans le cadre de notre rubrique « Mardi Politique », où nous avons abordé avec le Général ses conditions de vie en résidence surveillée, la question du procès à venir, la situation politico-sécuritaire du pays, etc. Une exclusivité des Editions « Le Pays ».
« Le Pays » : Comment se porte le Général Djibrill Bassolé ?
Djibrill Bassolé (DB) : Je rends grâce à Dieu qui me permet de tenir le coup.
Vous êtes assigné à résidence. Etes-vous satisfait de vos conditions de détention ?
Comment peut-on être satisfait lorsqu’on est privé de sa liberté et détenu de manière arbitraire et injuste ? Je vous rappelle que le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, a jugé ma privation de liberté illégale et a même enjoint le gouvernement du Burkina Faso de me libérer immédiatement. Aussi, faut-il le souligner, le président de la Chambre de contrôle de l’instruction du tribunal militaire a interprété sa décision de mise en liberté provisoire en affirmant qu’elle n’est pas fondée sur l’article 100 du Code de justice militaire qui est le seul article de tout l’arsenal juridique burkinabè qui encadre l’assignation à résidence. Par conséquent, l’arrêté du ministre de la Défense a pour seul but de m’empêcher d’aller me soigner convenablement, conformément aux recommandations de mes médecins traitants.
Ce juge dont vous parlez a été récemment remplacé, à quelques jours de l’ouverture de votre procès dans le cadre du putsch manqué de septembre 2015. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Dans le cadre de la procédure qui me concerne, il me semble que la Chambre de contrôle de l’instruction du tribunal militaire a fini son travail. En tous les cas, il ne m’appartient pas de faire le moindre commentaire sur le remplacement de son président.
Avez-vous confiance en la Justice ?
D’une manière générale, j’ai foi et je crois en la Justice de mon pays. Toutefois, il faut admettre que tout au long de la procédure concernant le putsch manqué de septembre 2015, plusieurs mesures ou décisions remettant en cause l’impartialité et l’indépendance de la Justice militaire, ont été observées. Trop de décisions iniques et arbitraires ont été prises à mon encontre en violation flagrante de mes droits pour que je fasse confiance à la Justice militaire.
Lesquelles ?
Par exemple, la décision prise par le juge d’instruction pour évincer mes avocats étrangers de la procédure ou encore le refus systématique de me permettre d’accéder à mes soins de santé, malgré l’insistance de mes médecins traitants. En outre, des déclarations et des prises de position publiques des premiers responsables du régime en place, prouvent la mainmise totale de l’Exécutif dans le déroulement de la procédure judiciaire. Je fais abstraction des indiscrétions que la rumeur ouagalaise colporte quotidiennement pour m’en tenir aux déclarations officielles du pouvoir en place sur mon droit d’accéder à mes soins de santé, ma liberté provisoire, mon assignation à résidence surveillée, l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, etc.
J’ai de très sérieuses raisons de réserver ma confiance en la Justice militaire. Pour garantir un procès équitable, il lui faudra s’écarter des consignes à elle imposées par la « hiérarchie », asseoir son autorité et son indépendance et ne se laisser guider que par le droit.
Le procès qui s’ouvre le 27 février prochain sera délocalisé et ouvert au grand public. Comment réagissez-vous en tant que prévenu ?
Vivement que nous puissions enfin nous expliquer à l’opinion publique nationale et internationale, dans la transparence et le respect des droits élémentaires de tout prévenu.
Lors de l’audience de confirmation des charges, vos chefs d’inculpation ont été revus à la hausse. Vous êtes désormais poursuivi pour trahison, complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, complicité de meurtres, etc. Comment réagissez-vous ?
Mes avocats m’en voudraient de réagir à travers la presse avant le début du procès au sujet de ces chefs d’inculpation. Ce n’est ni le moment, ni le lieu. Vous serez largement informés au cours du procès.
L’accusation tient toujours les écoutes téléphoniques comme élément de preuve, malgré le fait que vous et la défense réfutiez cette pièce. Avec une telle insistance, ne craignez-vous pas qu’il y ait du « solide » contre vous ?
Vous aurez l’occasion, vous-même, d’apprécier la fiabilité aux plans technique et juridique de cette pièce que vous appelez élément de preuve.
Selon certaines indiscrétions, lors de votre séjour à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), vous auriez reçu la visite de certaines autorités dont le président du Faso, Roch Marc Kaboré, et le défunt Salifou Diallo. Vrai ou faux ?
Faux ! De telles visites ne seraient pas passées inaperçues. Par contre, j’ai reçu à deux ou trois reprises des émissaires de Salifou Diallo qui commençait à manifester son embarras politique quant à ma détention qui se prolongeait.
Quels messagers ?
Je ne saurais vous en dire davantage, par respect pour sa mémoire. Il ne pourrait pas me contredire si ce que je déclarais n’était pas juste. J’ai apprécié son ouverture d’esprit, même si fondamentalement nous n’avons pas la même conception du pouvoir d’Etat.
Pour une certaine opinion, la visite de l’Emir du Qatar avait pour objet, entre autres, de plaider votre cause auprès des autorités burkinabè. Qu’en dites-vous ?
En tout cas, je ne peux qu’exprimer ma gratitude à l’Emir du Qatar, Son Altesse Cheikh Tamim Ben Hamad Al THANI pour m’avoir manifesté sa solidarité fraternelle, en particulier lorsque le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a déclaré ma détention arbitraire.
En plus d’être poursuivi dans le cadre du coup d’Etat du CND, vous faites partie aussi des anciens ministres poursuivis par la Haute cour de justice. N’allez-vous pas finir par craquer un jour avec tout cela ?
Ajoutez à cela, ma mise en accusation par le CNT de la Transition pour avoir détourné 393 millions de F CFA au ministère des Affaires étrangères. D’ailleurs, ma dernière comparution devant la commission d’instruction de la Haute cour de justice a eu lieu le 6 février 2018. Ce n’est certainement pas le moment de craquer. Il me faut plutôt expliquer avec sérénité aux juges et au peuple burkinabè, l’objet de cet acharnement judiciaire. Avec l’aide de Dieu, toutes ces tracasseries connaîtront une fin.
Que pensez-vous de l’arrestation et la détention du colonel Auguste Barry pour tentative de déstabilisation ?
Je suis dans un embarras absolu de faire un commentaire au sujet de cette affaire parce que d’abord, je n’en sais strictement rien, et ensuite, il est notoire que les relations entre le colonel Barry et moi n’ont pas toujours été particulièrement chaleureuses. Aujourd’hui, je pense qu’il comprendra mieux la portée des conseils et des recommandations que d’autres camarades et moi nous lui faisions au lendemain des événements d’octobre 2014. Cela dit, il est impératif que les droits du colonel soient rigoureusement respectés. S’il doit aller à un procès, qu’il soit jugé pour ce qu’il aurait fait de contraire à la loi et non jugé pour ce qu’il a été ou ce qu’il a représenté. Il nous faut bannir à jamais le recours systématique au procès pénal devant le tribunal militaire et d’autres juridictions d’exception pour régler des différends politiques.
Avez-vous des nouvelles de Blaise Compaoré, votre ancien mentor ?
Difficile d’avoir de ses nouvelles dans la situation que je vis.
D’aucuns soutiennent que le régime de Blaise Compaoré avait des accords tacites avec des djihadistes, si fait que notre pays était à l’abri des attaques terroristes. En tant qu’ex-chef de la diplomatie, que leur répondez-vous ?
Cela, c’est la perception que certaines personnes de bonne ou de mauvaise foi ont eu de l’implication du Burkina Faso sous Blaise Compaoré, dans la résolution des crises et des conflits par la médiation et le dialogue. Aider à éteindre l’incendie de la case du voisin, n’est-ce pas la meilleure façon de mettre sa propre case à l’abri du feu, comme le dit la sagesse africaine ? C’est bien connu.
Mais le constat est que c’est après le départ de Blaise Compaoré que le Burkina Faso est entré dans l’œil du cyclone.
Ayons l’humilité de reconnaître que sa méthode était efficace en termes de résultats. Si parler avec l’ennemi peut permettre à nos populations de vivre en sécurité et de vaquer paisiblement à leurs activités quotidiennes, permettre à nos soldats d’être moins exposés, il faut le faire. Encore faut-il clairement identifier et localiser cet ennemi. Ce qui est loin d’être évident.
En tant que Général, quelle appréciation faites-vous du système sécuritaire mis en place pour lutter contre le terrorisme ?
Je veux bien le faire, mais je n’ai aucun élément d’appréciation. Je vous dirais seulement que les officiers qui tiennent les différents postes de commandement de nos forces de défense et de sécurité sont parfaitement qualifiés. Si la logistique suit, ils feront du bon travail. La seule recommandation que je ferai, c’est la nécessité d’observer la discrétion voire le secret dans la mise en place du dispositif et la mise en œuvre des forces. Je trouve par exemple que la mise en place de la force G5 Sahel se fait avec trop de déballage médiatique. Son efficacité risque d’en pâtir.
Quel commentaire faites-vous du dernier remaniement ministériel ?
Je ne me permettrai pas de commenter un remaniement ministériel. Je crois savoir que ce qui intéresse les Burkinabè, c’est le résultat.
Mais deux ans après l’arrivée du MPP au pouvoir, d’aucuns estiment que les signaux sont toujours au rouge. Etes-vous de cet avis ?
Cela fait plus de deux ans que moi je n’ai pas la possibilité de voir les signaux dont vous parlez. Je ne peux pas vous dire s’ils sont rouges ou pas.
Comment avez-vous accueilli votre désignation par la NAFA comme candidat à la présidentielle de 2020 ?
Je suis flatté par cet honneur redoutable que la NAFA me fait mais, pour l’instant, j’ai d’autres préoccupations, à savoir accéder à des soins de santé adéquats et assurer ma défense en justice. L’avenir est entre les mains de Dieu.
Avez-vous les moyens financiers et matériels pour la campagne politique de votre parti, 2020 étant déjà proche ?
Vous êtes vraiment décidé à me provoquer. Je me cherche pour le moment, comme on le dit couramment.
Pensez-vous, comme le CDP, que la formation politique de Blaise Compaoré reviendra au pouvoir en 2020 ?
Dans le cadre d’une alternance démocratique, on ne peut pas l’exclure. Cela serait même le signe d’une vitalité et d’une maturité politique de notre peuple. C’est aux Burkinabè d’en décider. Pourvu que les élections soient transparentes, libres, inclusives et ouvertes à tous les Burkinabè, y compris ceux de la diaspora.
Après avoir vécu plus de deux ans de privation de liberté, quels enseignements tirez-vous de la vie politique ?
Je peux dire que j’ai appris à mieux comprendre la vie politique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’isolement et le recueillement qu’impose la prison, permettent de mieux cerner les réalités et la finalité de la vie politique. J’ai surtout compris que le ressentiment, la haine, la vengeance et le mépris ne peuvent faire bon ménage avec la recherche du bien-être de la communauté humaine que l’on veut servir. D’où la nécessité d’être certes persévérant, mais humble et tolérant. Je perçois que les acteurs de la classe politique doivent donner à la politique un visage humain pour chercher ensemble avec leurs différentes sensibilités, ce qu’il y a de mieux pour leur pays.
Par rapport à la conquête et à la gestion du pouvoir d’Etat, l’homme politique a deux postures possibles : celle du fauve qui capture sa proie et qui devient impitoyable envers tous ceux qui s’en approchent, ou celle du bâtisseur qui entreprend son œuvre et qui a besoin que des bras et des intelligences s’ajoutent aux siens pour réussir son entreprise. La posture du bâtisseur est la meilleure, selon ce que la vie politique m’a enseigné.
En tant que Général, bénéficiez-vous des avantages et privilèges liés à votre grade ?
Au-delà des aspects matériels et des avantages règlementaires qui sont accordés à un Général de l’Armée, c’est la fraternité d’armes et la cohésion au sein des forces armées qu’il appartient à notre génération d’officiers, de sauvegarder. La mutinerie de 2011, l’insurrection populaire de 2014 et la dissolution du RSP sont autant de rudes épreuves qui ont ébranlé notre armée nationale. La recherche des voies et moyens pour la stabiliser et la rendre plus opérationnelle me préoccupe plus que les avantages liés au grade que j’ai pu avoir.
Interview réalisée par Drissa TRAORE