Après 6 ans à la tête des Editions Sidwaya, Rabankhi Abou-Bâkr Zida va bientôt passer la main à son successeur. Dans cet entretien, il n’hésite pas à dévoiler les acquis engrangés sous son leadership, ses motifs de satisfaction... A cœur ouvert, il nous confie les difficultés qui ont entravé la bonne marche de sa maison, mais aussi ses chantiers inachevés…
Sidwaya (S.) : A votre prise de fonction en mars 2012, quelle était votre vision pour Sidwaya ?
Rabankhi Abou-Bâkr Zida (R.A.Z) : En mars 2012 quand j’arrivais à Sidwaya, il y a une phrase d’un ministre de l’époque que j’ai toujours gardée à l’esprit. Lorsque j’ai été nommé, j’étais hors du pays, précisément au Japon. A mon retour, il fallait tout naturellement aller voir le ministre pour essayer de comprendre pourquoi, j’ai été responsabilisé à ce poste. Lorsqu’il est sorti de son bureau et qu’il m’a vu dans la salle d’attente, il a souri et m’a dit « félicitation ». Il a poursuivi en disant que pour avoir travaillé avec moi pendant un certain temps, il a vu que j’avais un certain nombre de qualités. Il a aussi ajouté que connaissant la situation qui prévalait à Sidwaya, ma tâche ne sera pas facile mais qu’il est convaincu que je vais réussir. Ce sont des mots qui m’ont vraiment affecté. Pour terminer, il m’a dit ceci avec le sourire : « mais Zida, tu ne m’as pas dit que tu étais de l’ADF/RDA». J’ai répondu que je n’avais pas de carte politique. Et il m’a dit que c’était tout simplement pour me dire que ma nomination n’a pas été simple, car des gens l’avait amené sur un terrain politique. C’est un peu une anecdote pour vous rappeler un peu comment les choses se sont passées. Lorsqu’on vous dit de telles choses, vous êtes obligés de vous engager à fond, de prendre des initiatives pour ne pas décevoir ceux qui ont cru en vous et qui ont pensé que malgré les difficultés, vous pouvez faire quelque chose de positif et également pour prouver le contraire à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont soutenu que vous n’êtes pas à la hauteur de la tâche. C’était véritablement ça ma vision. Aussi, la première prière que j’ai faite quand j’ai été nommé, est de demander à Dieu de m’aider à rester moi-même, c’est-à-dire quelqu’un d’accessible, humble qui est au service des gens. Mon objectif était de faire preuve de reconnaissance à cette maison qui m’a toujours donné ma chance depuis que j’y ai pris service en 2002. J’ai assumé successivement les responsabilités de chef de desk, de rédacteur en chef, de directeur de Sidwaya avant d’être nommé directeur général en mars 2012. C’est à Sidwaya que j’ai passé le plus de temps sur le plan professionnel et c’est ici aussi que je me suis le plus révélé en tant que journaliste. Ma vision était donc de faire de Sidwaya une maison respectée et respectable, faire de Sidwaya une structure assez professionnelle et relativement indépendante. J’ai joué à fond la carte du professionnalisme. J’ai voulu d’un Sidwaya crédible, juste, équitable, moderne, professionnel. J’ai pensé que l’entreprise était plus importante que chacun de nous pris individuellement. C’est cette vision de l’entreprise que j’ai.
S. : Au regard de cette vision, quel bilan vous pouvez tirer de ces 6 ans à la tête de ce média public ?
R. A. Z. : C’est difficile de se juger. Mais, je sais qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je sais dans quel état, j’ai trouvé cette maison. Pour ceux qui ont toujours en mémoire le premier éditorial que j’avais rédigé qui faisait un état des lieux que j’ai trouvé, 6 ans après lorsque je regarde dans le rétroviseur, je vois quand même un changement en termes d’image que Sidwaya a au sein de l’opinion. Que ce soit ici au Burkina Faso et hors de nos frontières. Je crois que Sidwaya jouit d’une certaine notoriété qui devient comme une sorte d’outil de plaidoyer pour que certaines portes nous soient ouvertes. La dernière fois, le directeur des rédactions et moi étions à une invitation d’un ambassadeur. Il nous disait que tel journal est de gauche, tel autre est de droite, mais Sidwaya est avec tout le monde. Cela m’a beaucoup plu, le fait qu’on ne puisse pas nous cataloguer de boxer dans telle ou telle écurie et qu’on soit le journal de tous les Burkinabè où chacune des tendances peut s’exprimer, je crois que c’est une satisfaction pour moi parce que Sidwaya revient de loin. Le fait pour moi de m’être entouré de personnes qui ont une certaine capacité managériale et professionnelle a permis de d’améliorer le contenu des titres Sidwaya. Parfois, lorsque je vais à l’étranger, les gens nous demandent comment nous faisons pour avoir cette liberté de ton, de vision. Je leur réponds que je ne suis pas venu dans l’entreprise pour me promouvoir, mais pour promouvoir une cause : celle du professionnalisme dans les médias publics. Et lorsque vous êtes droit et professionnel, vous pouvez impulser un changement dans le bon sens. J’ai travaillé sans calcul et sans esprit partisan. Chaque lundi je mettais en jeu mon poste à travers mes écrits. Je pouvais écrire sur les cravates du président ou chaque fois caresser les autorités dans le sens du poil. Mais j’ai pris l’option d’interpeller les uns et les autres pour l’intérêt de notre pays. J’ai rencontré dernièrement un dignitaire de l’ancien régime qui a félicité Sidwaya et qui a dit que s’ils nous avaient écoutés, ils seraient toujours au pouvoir. Le plus important n’est pas soi-même, mais de travailler à promouvoir quelque chose et à défendre les idées auxquelles nous sommes solidement attachés. Dans ce même bureau, j’étais un jour avec le directeur de publication d’un organe de presse d’un pays, que je ne vais pas citer, qui m’a demandé s’il pouvait appeler. Il décroche le téléphone, communique avec son ministre de tutelle et lui dit qu’il avait envoyé l’éditorial dans sa boîte, s’il pouvait regarder et valider avant qu’il n’envoie à sa rédaction pour publication. Il a remarqué que j’étais surpris, et a voulu savoir comment, moi, je travaillais. Je lui ai dit que depuis que je suis à mon poste, je n’ai jamais demandé à un ministre de valider mon papier avant publication. J’estime que je suis un professionnel et j’assume ce que je fais. J’estime que je n’écris pas contre quelqu’un, mais pour le pays. Je pense aussi qu’un être humain n’est pas parfait, il a besoin des critiques positives et des interpellations. Cela peut plaire ou pas, mais ce n’est pas cela le plus important. Aussi, si mon travail ne plaît pas, que je sois viré au profit d’autres compétences.
S. : Mais vous arrive-t-il souvent que des personnes étrangères vous influencent dans votre édito ?
R. A. Z. : Non, en dehors de mes collaborateurs, les gens ne voient pas mon papier avant publication. S’il y a des conséquences, je les assume. Quand ça me chauffe, je ne le dis pas au directeur des rédactions sur-le-champ. Je peux attendre un mois ou quelques semaines avant de l’informer tout en lui disant de garder ça pour lui. Je ne veux pas que les agents se découragent et qu’ils baissent les bras. J’ai toujours été ce bouclier qui permet aux uns et aux autres de travailler de façon professionnelle, toujours est-il que l’on n’est pas contre qui que ce soit, mais on travaille pour interpeller les uns et les autres sur la conduite à tenir et sur les dangers ou les insuffisances des actes posés. Ici on n’écrit pas pour salir quelqu’un ni pour les louanges d’une personne. On écrit pour le public, pour le peuple. Pour les éditoriaux par exemple, le contenu est modéré. On essaie de trouver le juste milieu. Mais voyez-vous, lorsque vous faites un commentaire et que tout le monde est d’accord avec vous, c’est que vous avez réussi un mauvais commentaire. Quand j’animais la rubrique «l’air du temps». J’avais écrit un papier sur la fraude où je disais qu’il fallait réprimer sévèrement les fraudeurs. Quelqu’un m’a appelé, me disant qu’il a aimé mon papier, mais la partie où je disais qu’il fallait fouetter les fraudeurs lui semblait très dure et inappropriée. Je lui ai répondu qu’il pouvait barrer les parties qu’il n’aimait pas sur son propre journal. Il a éclaté de rires et m’a dit que je l’avais eu. C’est une anecdote pour vous dire qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.
S. : Etes-vous satisfaits des acquis… ?
R. A. Z. : Sur le plan rédactionnel, le bilan est positif. Car, aujourd’hui, si on sort de l’émotionnelle pour aller dans le professionnalisme et dans l’objectivité, je crois que les meilleurs hommes en matière de média, les meilleurs pratiques sont à Sidwaya. Il y eut un moment où lorsque des gens de Sidwaya partaient à une rencontre, ils avaient honte de dire qu’ils sont de Sidwaya. Cela est totalement révolu. Aujourd’hui, nous n’avons pas à nous rabaisser devant qui que ce soit. Nous avons les meilleurs journalistes de la place. Ce n’est pas quelque chose que je proclame, c’est une réalité. Les moissons aux Galian et aux compétitions internationales en attestent. Si cela est arrivé, c’est par ce que les gens ont trouvé un environnement favorable pour s’exprimer dans la plénitude de leur savoir et de leur savoir-faire. Sur le plan des conditions de travail, on peut toujours améliorer. Je crois qu’avec ce qu’on a pu apporter, nous avons équipé toutes les rédactions à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, à Koudougou en ordinateurs. Tous nos chefs de services régionaux ont au moins un kit de reportage et une moto pour aller collecter les informations. Seul celui du Sahel attend encore une moto. Aujourd’hui vous remarquerez qu’à part la Présidence du Faso, nos photographes ont les meilleurs appareils. J’ai fait mon mémoire de maîtrise sur la photo de presse, c’est un domaine que je connais. Je ne peux pas banaliser cette pratique car la photo est un élément important. Quand j’arrivais, dans le document de passation, il n’y avait que quatre véhicules qui étaient en état de service à Sidwaya. On s’est battu avec l’aide de la coopération japonaise. On a pu obtenir 11 véhicules qui permettent aux journalistes de voyager dans de bonnes conditions à travers le pays pour collecter l’information. Nous avons voulu casser un certain nombre de codes en permettant aux collaborateurs qui sont au charbon et qui passent le maximum de leur journée au sein de l’entreprise d’avoir des facilités pour se déplacer et de soigner aussi l’image de cette maison. Pour ce qui concerne Bobo-Dioulasso, l’idée que nous avons depuis, c’est un journal régional, un journal avec un contenu de proximité, qui reprend tout ce que le grand Ouest produit quotidiennement comme information. On y ajoutera des papiers majeurs comme les activités du gouvernement…Pour matérialiser cette idée, il fallait avoir un minimum d’équipements de production. L’on s’est battu pour cela, mais force est de constater que les moyens n’ont pas permis de réaliser cette ambition. Le conseil régional des Hauts-Bassins, présidé en son temps par Alfred Sanou, a été séduit par le projet. En guise de contribution, il nous a construit le local qui doit servir d’imprimerie. Progressivement, avec l’accompagnement de l’Etat, nous sommes en train d’acquérir des outils de production pour commencer le journal régional. Cette année, l’Etat nous a donné un crédit pour l’acquisition de quelques équipements pour le compte de ce projet. Malheureusement vous connaissez les fournisseurs. Il y a un qui a eu le marché et nous a proposé un certain nombre de machines. Il nous écrit plus tard, pour dire qu’il nous propose d’autres marques que celles proposées initialement dans son offre. Ce que nous avons refusé. Au niveau de l’Agence d’information du Burkina (AIB), le bâtiment a été réfectionné. Quand j’arrivais, elle n’avait pas d’ordinateurs. Les premiers ordinateurs que j’ai envoyés à l’AIB, c’était grâce à mes relations personnelles. C’était pour pallier l’urgence en attendant de trouver les moyens de la maison pour y envoyer des ordinateurs. Je pense qu’on peut toujours améliorer. L’AIB, dans son statut actuel, n’est pas opérationnelle. Lorsque je vois les gens reprendre les informations de l’AIB sans citer la source, cela me fait sourire. Mais, dans son statut actuel, elle n’est pas opérationnelle. C’est une sorte d’appendice de Sidwaya. L’année passée, nous avons réuni un comité qui a rédigé un plan stratégique de l’AIB sur les trois prochaines années et qui va permettre de pouvoir la doter suffisamment de moyens, de sortir de Sidwaya pour qu’elle joue pleinement son rôle de grossiste de l’information. Nous faisons les propositions techniques. L’accompagnement financier et la décision politique se font à un autre niveau. Sur le plan marketing et commercial, il y a eu beaucoup d’innovations. Nous avons estimé que dans une maison où la contribution de l’Etat représente entre 20 et 25%, si nous dormons sur nos lauriers, ce n’est pas rassurant. Il fallait être agressif sur le plan commercial, renforcer cette direction de compétences diverses, réorganiser cette direction. Il y a eu la réfection du bâtiment, le renforcement de l’équipe, des idées de développement, le numérique, Sidwaya mobile, la version numérique du journal. Il y a eu le lancement de Sidwaya numérique en Côte d’Ivoire qui a mobilisé les autorités de ce pays. Elles ont compris que c’est un outil important. Sur le plan des ressources humaines, on a eu une DRH pour permettre de bien gérer les carrières. Nous nous sommes dotés d’un organigramme. Nous avons fait un plaidoyer pour pouvoir partir ailleurs car le site actuel n’est plus approprié pour diverses raisons. Un site a été identifié. Mais, la SONATUR nous demande de payer 414 millions de F CFA pour acquérir le terrain. Je pars avec un sentiment d’insatisfaction sur ce dossier. Nous avons réalisé l’étude architecturale. Quand je suis arrivé, l’imprimerie avait une seule machine deux couleurs. Nous avons pu avoir une deuxième machine d’impression plus sophistiquée grâce au soutien du gouvernement. Aussi, le groupe électrogène que j’ai trouvé à mon arrivée datait des années 1980. Il était dépassé et très souvent en panne. Nous avons fait le plaidoyer auprès de la LONAB. Elle nous a offert un groupe de 440 KWA.
S. : Qu’est-ce qui explique les lenteurs dans la construction de certaines infrastructures, telles que les imprimeries à Dori, Koupéla… ?
R. A. Z. : Ce que vous appelez lenteur ne relève pas de Sidwaya. Nous n’avions pas de terrain à Dori. C’est celui du ministère de la Communication. En pareil cas, il faut épuiser toutes les voies légales pour pouvoir en bénéficier. Il fallait écrire au ministre pour pouvoir occuper une partie du terrain. C’est un terrain de 5 000 m2, et nous avons voulu prendre la moitié. Nous ne pouvons pas aller investir sans autorisation. On pourrait être expulsé du jour au lendemain pour occupation illégale. Nous avons voulu suivre toutes les démarches pour être dans la légalité. Après, nous avons lancé un marché, et il y a des délais qu’il faut respecter. On a désigné le fournisseur qui doit faire le travail. Le temps de s’installer, il y a des réunions avec les parties prenantes. Quand je suis allé dernièrement à Dori, j’ai constaté que toute la fondation était faite. J’ai constaté que le terrain était aussi difficile, parce que c’est sur du sable qu’il faut construire. Donc, cela nécessite une fondation assez profonde pour éviter que la maison ne tombe. Cela a un peu ralenti le processus. Il reste encore 4 mois pour la finition. Tous les financements ont été acquis et sont dans les comptes de Sidwaya. Dans maximum 5 mois à venir, les nouvelles autorités de Sidwaya devront procéder à l’inauguration de cette infrastructure qui est un véritable complexe. En plus de l’imprimerie, il y aura le bâtiment administratif, un terrain de sport, des logements pour abriter les équipes qui seront de passage et même ceux qui y travaillent. Sidwaya a aussi un terrain à Boromo. C’est un dossier que je suis venu trouver, et que j’ai poursuivi jusqu’à le boucler définitivement. Il reste à trouver un terrain à Koupéla pour construire la même chose qu’à Dori. Après Koupéla ça sera au tour de Ouahigouya d’accueillir une direction régionale de Sidwaya.
S. : Votre prédécesseur vous a laissé la maison avec un taux d’autofinancement de 84%. Vous la laissez avec un taux de 54%. Qu’est-ce qui explique cette chute libre ?
R. A. Z. : En matière de développement d’une entreprise, soit vous décidez d’aller au combat, d’avoir des ambitions pour développer votre structure, soit vous vous contentez de mener une vie sans ambition en vous inscrivant dans la gestion au quotidien. Le taux d’autofinancement est un indicateur qui est obtenu par le rapport entre les recettes propres et les dépenses de fonctionnement ; il ne restitue pas toujours la performance, ni les difficultés encore moins la dynamique de la vie de l’entreprise. La dette des structures publiques vis-à-vis des Editions Sidwaya est estimée à plus de 250 000 000 F CFA et ne fait que s’accumuler chaque année. Une analyse simpliste pourrait oublier que cette dette remboursée augmenterait considérablement le taux d’autofinancement car c’est une ressource propre. C’est aussi un déséquilibre financier qui a été résorbé sur plusieurs années. Quand j’ai pris service, je suis tombé sur une panne de l’imprimerie, alors dotée d’une seule machine. De février à juillet, nous avons tiré le journal ailleurs. Cela a coûté plus de 300 millions de F CFA. Nous n’avons reçu aucun copeck de l’Etat pour cela. Aujourd’hui, les gens se contentent de dire que cela a coûté 300 millions alors qu’en réalité c’est bien plus. Car, en même temps que nous payions l’imprimeur, nous rémunérions aussi les employés à la direction de l’imprimerie qui étaient au chômage. C’était un manque à gagner terrible pour la maison d’autant plus que nous ne pouvions plus effectuer les travaux de ville. De même aujourd’hui, nous sommes en train de perdre un certain nombre de marchés tels le tirage des épreuves des concours directs de la Fonction publique, celui des diplômes du ministère de l’Education nationale. Cela est dû au fait que nous avons enregistré un certain nombre de dysfonctionnement au niveau de l’imprimerie. Nos clients ne peuvent pas faire leurs projets sur du sable mouvant. Ils préfèrent aller chez ceux qui sont beaucoup plus crédibles et qui peuvent faciliter leur travail à un moment donné. Il y a eu aussi ce problème. Cela fait qu’en matière d’imprimerie, nous avons au final beaucoup dépensé. Plus de 300 millions, si nous ajoutons le salaire de nos agents qui étaient sans travail pendant un semestre. Ce sont les Editions Sidwaya qui ont supporté tout cela, sans aucune aide extérieure. En dehors de cela, il y a eu aussi des difficultés au niveau de l’agence comptable avec un cas malheureux de suicide. Jusqu’à aujourd’hui, le dossier est en justice. Dans cette affaire, il y a un manque à gagner de l’ordre de 130 à 150 millions de F CFA. C’est un trou qui a été creusé et personne ne l’a comblé jusque-là. Ce trou, je l’ai trouvé à mon arrivée à la tête de l’établissement. Si c’était moi qui l’avais creusé, je ne serais pas là avec vous aujourd’hui, mais peut-être à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) ou ailleurs.
S. : Est-ce que vous avez pris des mesures pour recouvrer lesdits fonds dissipés ?
R. A. Z. : Oui, il y a des mesures qui sont en train d’être prises à l’encontre de toutes les personnes citées dans le dossier. La gendarmerie est revenue. Elle souhaite qu’on l’aide à transmettre des convocations aux intéressés. En outre, il y a eu des ordres de recette contre des personnes qui sont toujours à Sidwaya et d’autres qui n’y sont plus. Les retenues effectuées ne tombent pas dans le compte de Sidwaya, c’est au profit du Trésor public. Je ne sais pas si entre-temps les fonds nous seront reversés. Le dossier est entre les mains de la gendarmerie et de la justice et je ne suis pas dans le secret de l’instruction. Le dossier est géré directement par les services de gendarmerie et du Trésor. Je ne veux pas trop m’étaler sur cette situation toujours entre les mains d’acteurs judiciaires. Peut-être que l’avenir nous en dira davantage. Mais la dissipation de fonds a déstabilisé les finances de la maison.
S. : Qu’en est-il des factures impayées… ?
R. A. Z. : Nous avons aussi suivi l’évolution de la situation des factures non payées par l’Etat. Pour Sidwaya, les impayées remontaient à plus de 250 millions de F CFA. Nous avons fait le travail, mais nous n’avons pas été payés. Comment alors équilibrer les comptes quand une situation de ce genre se présente ? Est-ce que Sidwaya peut refuser de couvrir les activités de l’Etat sous prétexte que des factures ne sont pas réglées ? Mais quand les gens n’ont pas toutes ces informations, ils prennent des raccourcis pour donner l’impression qu’il n’y a rien qui est fait. Pour quelqu’un d’honnête, s’il compare Sidwaya d’aujourd’hui à celui d’il y a sept, huit ans, même si le taux d’autofinancement a diminué, il sait que les conditions de travail et de vie des uns et des autres se sont améliorées. Nous avons loué un local pour y mettre la Direction des ressources humaines (DRH). Il y a eu un certain nombre d’activités, de dépenses que nous avons dû entreprendre pour faciliter un peu les choses. Les missions que les journalistes effectuent de nos jours, en un mois en période de fortes activités, équivalent peut-être à une année entière de missions, si nous reculons de sept ou dix ans. Les besoins se sont accrus car l’entreprise a désormais plus d’ambitions et de sollicitations... Mais, c’est loin d’être véritablement révélateur de l’état de bonne santé financière de l’établissement. Vous pourrez consulter des économistes pour en savoir davantage sur ces genres de situation. On peut décider par exemple cette année d’avoir un taux d’autofinancement de 90%. Avant la réalisation des activités prévues, on consulte l’agent comptable. S’il dit que telle ou telle facture n’est pas payée, on laisse tomber lesdites activités. A l’arrivée, on dira que nous avons pu réaliser telle ou telle chose et avons toujours dans nos caisses une certaine quantité d’argent. C’est plus ou moins équilibré, donc nous sommes une bonne entreprise. Ce sont des options qu’il faut faire. Même quand on vote le budget de l’Etat, cela ne veut pas dire qu’il y a déjà l’argent dans les comptes de l’Etat. Mais, ce sont des projections, c’est quelque chose qu’il faut aller chercher. En 2017, nous avons profité de ce que les organes de presse privée, se sentant en difficulté, ont réclamé que l’Etat paie ses dettes. Ainsi, certaines de nos factures ont été réglées.
S. : Qu’est-ce qui explique les pannes récurrentes des machines ?
R. A. Z. : Les pannes peuvent s’expliquer par un certains nombre de raisons. Premièrement, Sidwaya n’a pas de capacité technique. C’est-à-dire le manque de capital humain pour le dépannage de ces machines. Il y avait de grands ingénieurs à Sidwaya qui sont partis pour des raisons inconnues. Deuxièmement, il y a la question des salaires qui se pose parce qu’un ingénieur qualifié n’acceptera pas de toucher 100 à 200 000 F CFA par mois, alors que son camarade touche ailleurs des millions par mois. Troisièmement, nos machines sont toutes de marque Heidelberg (Allemagne). L’acquisition des pièces et la maintenance supposent l’obtention d’une autorisation de conclure un gré à gré, des paiements préalables, de la liquidité immédiatement ; ce qui n’est pas toujours évident. La conséquence, c’est des lenteurs dans le processus des maintenances préventives et curatives. Pour travailler avec les constructeurs de la machine, il faut rassembler des documents, notamment un certificat de non faillite et le constructeur, n°1 mondial rejette cette condition. Donc, deux conceptions différentes. Notre malheur est que nous ne représentons rien dans leurs chiffres d’affaires et c’est nous qui leur posons plus de souci en matière de procédures à respecter. Nous sommes incompris, car ceux qui doivent juger ou décider de la conduite à tenir ne connaissent pas comment fonctionne une entreprise de presse. Mais nous sommes trop bureaucrates. On vous dit d’écrire pour exposer vos problèmes et si vous écrivez cela ne change rien. A titre indicatif, nous pouvons vous montrer une centaine de lettres en rapport avec le même problème, mais cela n’a rien changé parce que la lettre ne peut pas traduire toutes les réalités. C’est pourquoi, nous avons demandé que s’il y a ce genre de problème, que ceux qui doivent trouver des solutions, aient l’humilité de se déplacer pour venir constater et voir quelles solutions appropriées pour accompagner la structure et non de vous dire d’écrire et deux mois après la réponse qu’on vous propose n’a rien à voir avec la réalité du terrain. Le constructeur de la machine a ses représentants agréés dans la sous-région qui agissent en son nom. Ceux-ci ont été formés pour intervenir, en ce sens qu’il a toujours un secret autour de la machine. Depuis l’année passée, étant donné qu’on ne peut pas rassembler tous les documents pour travailler avec le constructeur de la machine, on essaie, suite à un avis du conseil d’administration, de passer par un intermédiaire. Ce qui alourdit les charges. Une autre difficulté, ce sont les modalités de paiement des pièces. Les pièces sont fournies après la totalité de la somme versée dans le compte du fournisseur alors que notre réglementation dit que le paiement se fait après le service rendu.
S. : Mais, pourquoi n’avoir pas formé des agents au niveau de l’imprimerie pour assurer la maintenance des appareils ?
R. A. Z. : Cela est l’idéal, mais ne perdez pas de vue la réalité. Nos techniciens n’ont pas de profil propre des ingénieurs, car ils sont issus des filières d’enseignement général, notamment mathématique, physique-chimie, biologie…et il y a aussi le problème de langue qui se pose. Par exemple, une fois des techniciens ont été envoyés à l’extérieur pour des stages, ils ont fini par faire du tourisme puisque le problème de la langue s’est posé. Pour pallier cela, nous avons imaginé de recruter des jeunes qui ont des diplômes de CAP, BEP et qui ont déjà touché des machines. Mais actuellement, à moins de deux années, ils sont en train de repartir parce que les salaires ne les maintiennent pas et ceux qui sont toujours là sont en attente d’avoir mieux ailleurs. Il faut donc une grande réflexion sur cette situation. Il faut non seulement renforcer les équipements, mais aussi trouver du personnel qualifié. Mais cette réflexion ne peut pas être gérée par Sidwaya seul, parce qu’on ne peut pas décider aujourd’hui de prendre un employé et le payer à 1 million de F CFA. Avec le soutien de l’ambassade d’Allemagne et d’une ONG allemande, nous sommes en train de trouver une solution pour une formation sur place de nos techniciens. Il s’agit de faire venir des techniciens allemands qui comprennent le français, voulant partager leurs expérience et savoir pour encadrer nos techniciens lors de brefs séjours de trois ou quatre semaines. Le dossier est en bonne voie. Nous avons déjà eu des séances de travail avec les responsables de l’ONG qui nous accompagne dans ce sens. Aussi, la qualité parfois douteuse des intrants utilisés à l’imprimerie peut expliquer les pannes de nos machines. A ce niveau, il y a des produits qu’on recevait sous forme de solution. Cette année, quand on a lancé le marché, des gens ont postulé et après ils sont revenus nous dire qu’ils vont nous les livrer sous forme de poudre, car selon eux, on n’en trouve pas sur le marché. Cette situation est grave, car ce sont des produits chimiques qui peuvent mettre la santé de nos agents en danger. Il n’y a pas de structures sur place à même de contrôler le type d’alcool que nous utilisons à l’imprimerie. C’est donc devenu une porte ouverte et on nous envoie du n’importe quoi. Pour le papier, ce sont les caractéristiques, le format, le grammage et l’éclat qui sont mis en exergue mais on exige toujours un échantillon qui est testé à la machine. Pour la gestion 2017, un fournisseur a été sélectionné sur la base de ces critères. A la livraison, il nous propose autre chose que son échantillon au moment où nous n’avions plus suffisamment de papier en stock. Après plusieurs rencontres pour trouver une solution afin de sauver la situation, nous avons fini par résilier le marché puisqu’il déclare ne pouvoir satisfaire au besoin que dans six mois. Mais la question c’est de savoir ce que l’entreprise fait en ce moment ? Le journal arrête de paraître ? C’est autant d’imprévus, de comportements qui font qu’une entreprise qui fonctionne à feu continu ne devrait pas être soumise à certaines exigences. Quand on a demandé aux financiers de permettre que l’on puisse avoir une maîtrise du papier et des autres consommables au regard de leur spécificité et des exigences des machines et aussi pour la santé de nos agents, une dérogation nous a été refusée. Lorsqu’on veut poser un acte qui sort de l’ordinaire, on te suspecte. Alors que c’est pour la santé de nos agents, pour les équilibres financiers de la maison et pour que le produit fini soit de bonne qualité. Aujourd’hui, quand on regarde le journal ça donne envie de le lire, parce que ce n’est pas tiré ici. Ce n’est pas notre papier, notre encre, ni notre machine. Lorsqu’on va reprendre avec l’encre conditionnée qu’on nous donne et avec un papier de synthèse, vous allez voir que ce sera illisible. Pourtant on veut être compétitif. Il faut qu’on règle tout cela pour nous permettre d’être opérationnel.
S. : Au regard de tous les acquis et toutes les difficultés, pensez-vous avoir accompli votre mission à la tête de Sidwaya ?
R. A. Z. : Je ne peux pas avoir une satisfaction à 100%. Mais, en considérant les acquis engrengés par rapport aux difficultés rencontrées, nous sommes en droit d’avoir un sentiment d’une mission bien accomplie. La satisfaction est d’autant plus grande car pour certaines personnes, nous faire échouer par tous les moyens était devenu un engagement fort, décliné en activité permanente. Mais Dieu merci, leur dessein obscur a toujours été dévoilé et battu en brèche par la grâce de Dieu. Il reste quand même quelques points d’insatisfaction. Il y a le problème du terrain pour le nouveau siège qui est resté un dossier pendant.
S. : Vous céderez bientôt la place à votre successeur, quels conseils pouvez-vous lui prodiguer ?
R. A. Z. : Pour moi le plus important c’est l’entreprise Sidwaya. Sur ce principe, si mon successeur estime que je peux lui apporter un accompagnement afin de gagner en temps, je reste disponible. Mon souhait est que cette maison consolide ses acquis et poursuive son développement.
Entretien réalisé par :
Abdoulaye BALBONE
Abdel Aziz NABALOUM