Ouagadougou, 18 fév 2018 (AFP) - Figure emblématique du cinéma africain des
années 1980-2000, le réalisateur burkinabè Idrissa Ouédraogo est décédé
dimanche à Ouagadougou à l’âge de 64 ans, laissant une oeuvre d’une
quarantaine de films primés dans les plus grands festivals.
"C’est un baobab qui s’est effondré", a réagi le comédien burkinabè Gérard
Sanou.
"C’était le maestro du cinéma burkinabè. C’est douloureux, une perte
inestimable pour nous et pour l’Afrique toute entière", a déploré Rasmané
Ouédraogo, l’un des principaux acteurs du film "Tilaï" ("La loi"), qui avait
été couronné du Grand Prix au festival de Cannes en 1990.
Idrissa Ouédraogo est mort "ce matin à 5h30 (locales et GMT) des suites de
maladie" dans une clinique de Ouagadougou, a annoncé l’Union nationale des
cinéastes du Burkina dans un communiqué transmis à l’AFP.
Il avait débuté sa carrière cinématographique en 1981 avec une fiction
intitulée "Poko", qui avait obtenu la même année le prix du meilleur
court-métrage au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de
Ouagadougou (Fespaco).
Après avoir complété sa formation à l’école de cinéma de Moscou puis à
l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) de Paris, il réalise
en 1986 son premier long métrage "Yam daabo" (Le choix), récompensé par la
Caméra d’Or à Cannes en 1987, suivi deux ans plus tard de "Yaaba"
(Grand-mère), qui obtient le Prix de la critique internationale sur la
croisette.
Il s’impose comme le chef de file des cinéastes au Burkina Faso, une des
terres d’élection du septième art en Afrique.
Pour le cinéaste et documentariste burkinabè Michel Zongo, "il a inspiré
toute une génération de jeunes cinéastes africains. Il a réussi à partager nos
histoires avec le monde".
- ’immense talent’ -
Cinéaste prolifique malgré les conditions économiques difficiles pour
tourner en Afrique, Idrissa Ouédraogo a imposé son esthétique particulière.
"Il a raconté la vie de gens ordinaires, plantant sa caméra dans les zones
rurales plutôt que dans les villes, il a su rendre la beauté des zones
sahéliennes", explique Abdoulaye Dragoss Ouédraogo, cinéaste et professeur
d’ethnologie visuelle à l’université de Bordeaux.
Tilaï, transposition d’une tragédie grecque dans l’Afrique contemporaine,
avait été tourné dans un village du pays Mossi, au nord du Burkina Faso, la
région où le cinéaste a grandi.
"J’aime ce décor beau et brutal", déclarait Idrissa Ouédraogo à l’AFP en
1990.
Servi par un casting d’acteurs non-professionnels, le film était en langue
mooré, plutôt qu’en français, pour préserver son authenticité.
"Dans les années 90, j’avais montré deux de ses films: Yaaba et Titaï, pas
parce qu’il était burkinabé mais parce qu’ils étaient beaux. Hier, Idrissa
Ouedraogo a fermé les yeux pour de bon, au moment où se couchait le soleil qui
a illuminé son oeuvre", a déclaré dans un tweet Gilles Jacob, ancien délégué
général du festival de Cannes.
En 1993, "Samba Traoré", qui raconte le retour au village d’un homme qui
prétend avoir fait fortune à la ville - en réalité grâce à un braquage - et
qui n’échappera pas à son destin, obtient l’Ours d’argent à Berlin.
Idrissa Ouedraogo tournera par la suite en France ("Le cri du coeur" avec
Richard Bohringer), au Zimbabwe (Kini and Adams") et il sera le seul
réalisateur africain à participer au film collectif "11’09’01" sur les
attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, présenté à la Mostra de Venise.
Idrissa Ouédraogo s’est aussi essayé au théâtre. En 1991, il avait mis en
scène "La Tragédie du roi Christophe" d’Aimé Césaire à la prestigieuse
Comédie-Française à Paris.
"Le Burkina Faso vient de perdre un réalisateur à l’immense talent", qui
"aura beaucoup oeuvré au rayonnement du cinéma burkinabè et africain hors de
nos frontières", a réagi le président du Burkina Faso Roch Marc Christian
Kaboré dans un communiqué.
ab-de/jpc