Faut-il se réjouir ou s’inquiéter de la bipolarisation politique très prononcée au Burkina ? Il y a très longtemps que le Burkina n’avait vécu une confrontation aussi féroce entre l’opposition et la majorité. Les marches et meetings se succèdent à un rythme effréné, avec à la clé des échanges souvent peu amènes entre le chef de l’opposition et celui de la majorité. En tous les cas le ton et la tension montent au « Pays des hommes intègres ». Pour un pays habitué à une monopolisation de la scène politique par un seul parti, en l’occurrence le CDP, ce réveil de l’opposition peut faire peur. Ne va-t-on pas vers un clash entre les deux camps ? Le pays ne va-t-il pas basculer dans des violences ? Ce sont des questions légitimes.
Le parti au pouvoir, jadis hégémonique, voit d’un mauvais œil cette concurrence nouvelle. En termes de mobilisation, et pour la première fois depuis bien longtemps, l’opposition l’a mis KO. Par deux fois, en l’espace d’un mois, en pleines vacances scolaires, Zéphirin Diabré et ses troupes ont réussi le tour de force d’organiser des manifestations monstres. Faut-il s’en inquiéter ? Si quelqu’un doit avoir du souci à se faire, ce n’est point le citoyen lambda, mais peut-être le patron du CDP. Son parti n’a plus le monopole de la mobilisation populaire. Pire, il est même surclassé, en l’étape actuelle du match. Par ailleurs, cette lame de fond contestataire ne semble pas avoir de limite. Jusqu’où ira-t-elle ? Personne ne le sait. Dans l’immédiat, elle n’est pas près de retomber. Le CDP a du souci à se faire parce que la rentrée de septembre pourrait être encore plus chaude, si d’ici là une solution n’est pas trouvée à la crise. L’arrivée des « contingents » de scolaires peut constituer du sang neuf pour les opposants au Sénat et revivifier davantage la lutte. Il ne faut donc pas prendre à la légère la fronde sociopolitique actuelle, comme ont tendance à le faire certains thuriféraires du régime. Si l’opposition mobilise autant autour de problématiques liées à l’alternance, c’est qu’il existe réellement une profonde aspiration des Burkinabè au changement. Quels types de changement ? Celui des hommes ou du système tout entier ? En tout cas, on ne peut plus continuer à fermer les yeux sur cette réalité, au risque de se réveiller un jour avec une grosse désillusion.
Ce réveil de l’opposition a de quoi donc inquiéter certains. Mais en réalité, n’est-ce pas une bonne chose que de voir enfin les deux pôles de la vie politique s’équilibrer au Burkina ? Dans une démocratie qui se respecte, en effet, l’opposition doit pouvoir rassembler et ratisser large, presqu’autant que le pouvoir. Mais au Burkina, on assiste depuis de nombreuses années à une démocratie unijambiste, avec un parti majoritaire hyper puissant et une opposition invisible. Cette donne est en passe d’être remise en cause. Il faut donc se réjouir de ce qu’enfin le Burkina ait une vraie opposition capable de faire jeu égal avec le pouvoir. Il ne faut cependant pas aller vite en besogne et croire que le pouvoir est un fruit qui tombera d’un instant à l’autre de lui-même. L’alternance tant prônée par Zéphirin et ses camarades, si elle doit se faire, elle le sera par les urnes en 2015. C’est cela aussi être démocrate. Mais la mobilisation des foules dans la rue n’est pas forcément synonyme de conquête de l’électorat. Pour transformer l’essai, l’opposition doit aussi envisager de convertir ce succès de mobilisation en succès électoral. Car il n’est pas certain que ces milliers de marcheurs soient des votants. C’est l’erreur que commettent bien des opposants en Afrique, en confondant foules et électeurs. Mais on a la faiblesse de croire que Zéphirin Diabré ne tombera pas dans ce piège.
Il a du reste déjà démontré sa maîtrise des arcanes de la politique nationale. Son entrée tonitruante au parlement pour sa première participation aux législatives en qualité de chef de parti, l’atteste. Se laisser griser par les foules, voilà le danger à éviter par l’opposition. Mais il y a un autre danger, celui de surfer sur un thème certes mobilisateur, mais pas éternel. Le Sénat et l’article 37 suscitent l’intérêt de nombreux Burkinabè, dont une bonne partie s’allie à la position de l’opposition. Mais ces deux sujets ne sauraient constituer à eux seuls un projet de société. Il en faut plus pour incarner les aspirations de changement mais aussi de mieux-être des Burkinabè. En tout état de cause, la vitalité retrouvée de l’opposition ne peut qu’être saluée par les vrais démocrates si tant est qu’elle inscrit ses actions dans les sillons de l’Etat de droit. Au pouvoir aussi de comprendre et d’accepter que le Burkina est en train de changer. Qu’il relise tout simplement l’instructive lettre pastorale des évêques.