Les villes du Burkina Faso, à l’instar de celles d’autres pays africains, ont connu au cours des deux dernières décennies, une croissance galopante. La population urbaine est ainsi passée du simple au double. Bobo-Dioulasso, capitale économique burkinabè, par exemple, avec une population estimée en 2006 à 489 967 habitants, a franchi la barre d’un million d’âmes en 2016. Cette croissance démographique a eu pour conséquence, une accentuation de la promiscuité et une insalubrité grandissante. En effet, la belle cité de Sya, a vu sa beauté écornée par la quantité de déchets ménagers qui s’est accrue, par manque de systèmes de traitement. Des tas d’immondices par ci-par là, entraînant par ricochet, la pollution de l’environnement. Constat!
Mercredi 6 décembre 2017, au stade Général- Aboubacar-Sangoulé-Lamizana, au secteur n° 21 de Bobo-Dioulasso, la belle cité de Sya. Il est 16h 35 mn. A l’intérieur de la cuvette, l’Association sportive des fonctionnaires de Bobo (ASFB) et l’Etoile filante de Ouagadougou (EFO) s’affrontent pour le compte de la 9e journée du championnat national de D1, sous les ovations des supporters des deux équipes. Pendant ce temps, le ciel s’est assombri au-dessus du stade, par une épaisse fumée noire. Elle est le résultat de la combustion d’ordures entamée à quelques mètres de là. Un fait quotidien en ces lieux. Les habitations aux alentours de l’infrastructure sportive sont immédiatement touchées par ce gros «nuage noir» qui est loin d’annoncer une pluie. En effet, autour de l’édifice, sur une superficie de plus de deux hectares, se trouve une décharge de déchets ménagers de toutes sortes. Des sachets plastiques, des cartons, des restes de nourriture ou de ferraille, occupent une vaste étendue. La nuée de fumée oblige Ousmane Traoré, un habitant du quartier, à se rendre sur les lieux, pour, dit-il, «sermonner» les auteurs. Hormis les ordures en proie aux flammes, il ne retrouve aucun interlocuteur sur le périmètre de la décharge. Qui sont les auteurs de cette décharge à ciel ouvert ?
« Aucune idée. Il semblerait que ce sont des individus qui viennent brûler les ordures en vue de récupérer du fer », nous répond M. Traoré. Pour lui, la municipalité est la seule responsable de ce désordre. « Existe-t-il une mairie dans cette ville ? », se demande Ousmane Traoré, visiblement peiné de voir des tas de résidus déversés et consumés au beau milieu de la deuxième ville du Burkina Faso. « Ils sont en train d’asphyxier nos sportifs, ce qui est très grave », fait-il remarquer. Les environs du stade sont, en effet, envahis par des montagnes de déchets. La chaussée qui l’entoure est jonchée de détritus. Des femmes, des enfants et des animaux qui donnent l’impression d’être
« immunisés » contre la fumée, se disputent les ordures pendant que les tout-petits s’amusent sous l’ombre d’un neem. Chacun y va de son centre d’intérêt : pâtures, fer, bouteilles et sachets plastiques. Par stratégie commerciale, un acheteur des objets usagés a préféré s’installer à proximité des monticules d’immondices. Au centre de l’océan d’ordures, un petit point d’eau sert au lavage des objets et de toilette aux trieurs. « Chaque jour, nous venons ici pour chercher de quoi vendre pour se nourrir », confie Aminata Traoré, vêtue de noir, son enfant au dos, et les mains couvertes de saletés. Comme au secteur n° 21, au quartier Belle-ville, secteur n°12, les ordures occupent également un grand espace. Non loin d’un centre de santé, l’ « Hôpital pédiatrique du jour », les sachets plastiques sont déversés par moments à côtés des concessions et autres infrastructures environnantes (écoles, boutiques, lieux de commerce, etc.). « Je ne sais pas à quoi sert la collecte des ordures si c’est pour les retrouver à nouveau dans nos cours », ironise Aimé Traoré, un riverain, assis devant sa boutique de commerce général. A l’image d’Accart-ville et Belle-ville, presque tous les autres quartiers de Bobo-Dioulasso ont leurs décharges sauvages (publiques). 15 centres de collecte ont été réalisés par la mairie vers lesquels les opérateurs de collecte déversent les ordures. Mais là aussi, les déchets sont abandonnés sans être traités.
Le maillon faible !
Selon le Directeur technique de la propreté, de l’eau, de l’assainissement et des aménagements paysagers (DPE2AP) de la commune, Hamidou Baguian, la gestion des déchets ménagers comporte trois maillons : la pré-collecte, la collecte, le traitement et l’élimination en décharge contrôlée. « A ce jour, le maillon faible reste l’élimination des Déchets ménagers domestiques (DMA) en décharge contrôlée », avoue-t-il, précisant que plus de 432 tonnes de déchets sont récoltées par jour, soit 160 000 tonnes par an. Quid du Centre d’enfouissement technique (CET), situé non loin de la deuxième zone industrielle, sur la route de Bama ?
Construit depuis 2005, à plus de deux milliards de francs CFA avec une superficie de plusieurs hectares, le CET ne fonctionne pas. Pire, il constitue, aujourd’hui, un site gênant pour la population des environs. C’est un dépotoir où sont déversés et consumés les produits périmés ou de mauvaise qualité. L’appareil et le bâtiment du centre de pesage, à l’entrée, subissent une usure. Plus loin, les véhicules de transport des déchets semblent avoir plié l’échine au fil du temps. A quelques mètres de-là, les bassins de traitement des déchets industriels deviennent des « marigots » en saison pluvieuse. Dans les alvéoles, censées contenir les ordures ménagères, plastronne de l’herbe. Elles (alvéoles) perdent et lentement mais sûrement, leur qualité technique de base. Une partie du mur de clôture est en ruine, permettant ainsi son accès par les riverains. « La faiblesse des ressources financières propres de la commune de Bobo-Dioulasso est l’une des principales raisons qui entravent l’exploitation du CET. Puisqu’elle requiert le recrutement d’une entreprise de travaux publics dont les prestations devraient être payées par la ville », justifie Hamidou Baguian. Toutefois, il estime que le leadership politique et le choix de consacrer un budget conséquent (subvention publique) à l’élimination finale contrôlée, ont fait quelque peu défaut à Bobo Dioulasso. A sa construction, le CET était à la périphérie de la ville, mais se retrouve aujourd’hui au milieu des habitations. D’où les récurrentes plaintes des riverains au sujet des odeurs pestilentielles. Amadou Tinto, la quarantaine, habillé en boubou blanc, habite à peine 20 mètres du CET. En cette matinée du 6 décembre, il discute avec des amis devant une boutique. Quand nous évoquons la question du centre, le groupe nous lance une bienvenue en chœur comme pour saluer notre initiative. « Nous vivons un calvaire. Mais nous ne savons pas à qui exposer notre problème. Quand on brûle les déchets, nous éprouvons des difficultés à respirer. De plus, les odeurs des œufs et poissons avariés déversés ici aggravent la situation », témoigne Amadou Tinto. Il ajoute s’inquiéter surtout des conséquences que cela pourrait avoir à long terme sur la santé des riverains. Françoise Diao/Bazié, coiffeuse à proximité du CET, est du même avis. Elle accuse la mairie d’être à l’origine de leur « malheur ». En effet, elle dit ne pas comprendre pourquoi la municipalité a réalisé un lotissement à proximité du centre. « Elle aurait pu laisser un grand espace entre le centre et les maisons pour nous éviter ces désagréments », tempête Mme Diao, la voix empreinte d’amertume. Marcel Palenfo gère un kiosque jouxtant le mur du centre. Il témoigne qu’en dehors des odeurs putrescibles, certains citoyens récupèrent souvent les produits de mauvaise qualité qui y sont déversés et qui sont pourtant très dangereux, en vue d’une éventuelle consommation.
Quelles solutions ?
« Pendant l’hivernage, les enfants s’adonnent à la nage. En 2015, par exemple, un enfant s’est noyé dans les bassins », confie Marcel Palenfo. Le responsable du CET, Eric Traoré, ne partage pas les récriminations des riverains. A l’écouter, les produits périmés ne constituent pas, en général, un danger puisqu’ils sont enfouis dans le sol. « Lors de la destruction, explique-t-il, nous déversons, au préalable, du gasoil pour dénaturer le produit ». Pour Aboubakary Soura, environnementaliste à la direction régionale de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique des Hauts-Bassins (DREEVCC/HB), la mauvaise gestion des ordures décourage certains ménages à solliciter les services des collecteurs puisque le contenu de leurs poubelles se retrouve après dans le quartier. Une
situation, à l’entendre, qui a conduit la population à transformer souvent les ouvrages d’évacuation d’eau en poubelle, provocant ainsi des inondations. « Les déchets se retrouvent également partout dans notre cadre de vie. Ce qui affecte l’esthétique initiale de notre environnement. Aussi, les lieux où s’entassent les sachets sont propices à
l’expansion de certaines maladies comme le paludisme et la dengue », relève M. Soura, qui n’occultent pas leur impact sur les sols cultivables. A l’écouter, la mauvaise gestion des déchets pourrait avoir des impacts sur le cheptel puisque l’ingestion des sachets entraîne la mort. Néanmoins, il reconnaît que des efforts sont faits au niveau national pour la gestion des déchets notamment plastiques à travers un projet de traitement et de valorisation. Et le Directeur technique en charge de la propreté d’ajouter que des initiatives privées de valorisation et de recyclage existent, mais la proportion couverte reste très faible au regard des ratios de productions actuelles. En tous les cas, Ousmane Traoré, habitant de Bobo interpelle la commune sur la nécessité de trouver une solution à ces décharges sauvages. « Pour que les dépotoirs sauvages disparaissent, il faut que toute la filière fonctionne », se convainc le responsable du CET, Eric Traoré. Hamidou Baguian, pour sa part, propose l’inscription par l’exécutif municipal actuel, d’une ligne de crédit de 50 millions de F CFA pour permettre le démarrage en 2018, de l’exploitation du CET, la révision du schéma- directeur de gestion des déchets, entre autres. « Il faut également un volontarisme politique local plus fort, orienté vers le traitement durable des nuisances et pollutions urbaines », conseille-t-il.
Joseph HARO