Un décret interministériel datant du 18 janvier 2018 interdit provisoirement l’importation, la distribution et la commercialisation du tilapia au Burkina Faso. Cette mesure, qui n’a pas été suivie d’explication, a laissé libre cours à toutes sortes de spéculations. Il a fallu que le 6 février le ministère des Ressources animales et halieutiques dissipe les nuages à travers une conférence de presse. Le mal était-il déjà fait ? Un tour dans les poissonneries pour mesurer l’impact du communiqué.
Le décret interministériel interdisant l’importation provisoire du tilapia au Burkina Faso a suscité pas mal de spéculations : la toile s’est enflammée, les commerçants s’en sont inquiétés et l’opinion s’est indignée de cela. Pour lever toute équivoque, le ministère des Ressources animales et halieutiques a donné une conférence de presse le 6 février 2018.
Il est ressorti de ce face-à-face avec les hommes de médias que « le virus de lac du tilapia » dont est porteur l’animal ne comporte aucun danger sanitaire pour l’homme. Il se transmet de tilapia à tilapia. Ce qui nous avait amené à titrer ainsi un article de notre édition d’hier : « Vous pouvez manger votre poisson braisé sans crainte ! » Ce titre a tout son sens quand on voit la polémique qu’il y a eu autour de cette mesure. Et c’était pertinent ; l’opinion ne sachant pas au départ que c’est le poisson provenant de la Colombie, de l’Equateur, de l’Egypte, d’Israël et de la Thaïlande qui porte le germe du virus. « Les importateurs burkinabè n’achètent pas du tilapia de ces pays. Notre poisson vient de la Chine », avait affirmé Henri Zerbo, directeur des Ressources halieutiques. Voilà qui rassure plus d’un. Tous ceux qui hésitaient à manger la carpe braisée comme l’aiment beaucoup de Ouagalais sont rassurés. On peut donc garder ses habitudes culinaires sans crainte d’être malade.
A écouter les conférenciers, la mesure vise à protéger l’aquaculture burkinabè. Les derniers chiffres disponibles avancés par le directeur des ressources halieutiques font état de 48 000 tonnes de poisson importées contre un peu plus de 22 000 tonnes produites en 2017. Et l’effectif des promoteurs aquacoles est estimé à environ 200 personnes. Les demandes pour l’investissement dans ce domaine, le ministère en reçoit toujours. Selon les estimations faites par le Dr Adama Maïga, lorsque la maladie intervient dans un élevage, elle peut entraîner 90 à 100% de mortalité. « C’est pour permettre à notre pisciculture, qui est en train de se développer, de continuer son envol que cette mesure a été prise. Nous évitions d’importer de ces pays qui sont infectés sous peine de perdre toute notre production ».
C’est sûr, ce décret laconique n’a pas fait l’affaire des vendeurs de poisson.
A la poissonnerie du grand marché, couramment appelée « Chez le Sénégalais », il y a du monde dans les alentours. Des femmes et/ou des hommes sortent de la boutique les mains chargées de cartons d’où émane évidemment une odeur de poisson. Nous jetons notre dévolu sur un monsieur de teint noir, barbu et bien en forme. Nous l’informons que nous souhaiterions nous entretenir avec le boss sur le décret interministériel interdisant provisoirement la vente du poisson tilapia au Burkina ». « Allez à notre magasin à la ZAD, il est là-bas », nous renseigne notre interlocuteur. Avant de partir, nous nous entretenons avec des jeunes qui évident le poisson des clients. Leur premier responsable, Hamed Sam, visiblement pas très à l’aise pour l’entretien, est très peu loquace. Et il a fallu répéter 3 fois chacune de nos questions. Nous avons pu apprendre de ce langage de sourd que le kilogramme de poisson est arrangé à 100 F CFA.
Direction la ZAD pour voir le boss comme nous l’a suggéré son employé. Pas de chance, des jeunes et des dames nous informent que le maître des lieux est hors du pays. Après avoir réussi à entrer en contact avec l’intéressé, le plus gros importateur de poisson frais au Burkina, nous apprenons qu’il est bel et bien en voyage au Mali. Nous voguons donc vers d’autres mers, en espérant y pêcher plus d’informations.
Nouvelle destination Dapoya, précisément Sankaryaaré. Qualimeats Sarl, c’est la poissonnerie qui nous accueille. A la caisse, une charmante dame du nom de Fanta Diarra. Son teint clair et son joli sourire ne laissent pas indifférent notre photographe, comme pris dans les filets de sa beauté. Si bien que celui-ci piaffait d’impatience de « mitrailler » la jolie sirène. La vendeuse de poisson nous confiera à un monsieur qui, à son tour, nous conduira dans le bureau du chargé des approvisionnements. Cette fois, le poisson a mordu à l’hameçon.
D’emblée, Albert Bambara nous déclare que le poisson que sa société importe provient de la Chine. « Ce phénomène est peut-être nouveau pour ceux qui ne sont pas dans le domaine. Nous, nous avons connaissance de l’existence du virus depuis le premier semestre de 2017. Nous en avons été avertis par nos fournisseurs ». Pour le chargé des approvisionnements, le communiqué a manqué de tact. A qui la faute ? « Je ne sais pas si la faute incombe aux médias ou au ministère. Dans l’entendement du commun des mortels, c’est tout le poisson importé qui est contaminé. Pourtant, c’est celui venant de 5 pays qui l’est (Ndlr : cités plus haut) ». Ce qui, selon lui, a aiguisé la curiosité des gens. « Mon téléphone n’a pas arrêté de sonner. Beaucoup cherchaient à comprendre ». Si M. Bambara affirme ouvertement que le décret n’a pas porté un coup au marché, Diarra, la vendeuse, ne partage pas cet avis : « Depuis l’annonce, les carpes ne sortent plus comme avant. Les clients préfèrent choisir autre chose », explique-t-elle.
Forte de son expérience, acquise en Côte d’Ivoire, Qualimeats Sarl ambitionne de ravir la vedette à ses concurrents avec une grande variété de poissons de mer et d’eau douce. Ses produits proviennent des continents africain, européen et asiatique. Son but est d’offrir du poisson de qualité à moindre coût aux Burkinabè. « Le tilapia que nous importons est inspecté depuis le pays d’origine. Après ça, il est contrôlé à la frontière et au déchargement. Après tout ce processus, le service vétérinaire nous remet une autorisation pour la commercialisation ».
De son côté, le syndicat national des poissonniers du Burkina a bien accueilli le communiqué du gouvernement. Son premier responsable, Abdourahamane Ouédraogo, pense que c’est la preuve que les produits de tout genre, particulièrement le poisson, que nous consommons sont sains. Qu’est-ce qui peut bien expliquer le mutisme des acteurs de ce secteur depuis la parution du communiqué le 18 janvier ? « Quelquefois, on dit qu’il ne faut pas devancer l’iguane dans l’eau. Dans ce domaine, il y a des docteurs et de grands spécialistes. Nous nous sommes tus pour que des voix plus autorisées s’élèvent en premier ». Légitimant l’inquiétude de la population, il appelle les uns et les autres à ne pas se faire de souci concernant le poisson qui est sur le marché. « Nous sommes aussi soucieux de la santé des consommateurs que de notre aquaculture. Nous allons donc sensibiliser tous les acteurs au danger pour qu’ils fassent attention lors de leur voyage ».
Sur la différence de goût entre le tilapia d’eau douce et celui de mer, importé, le syndicaliste est clair : « Même si j’en suis un importateur, j’avoue qu’il y a une différence ; le tilapia d’eau douce n’a rien à voir avec celui de mer que nous importons, le goût est carrément différent, la carpe d’eau douce est succulente ».
Mais la vérité ici est que les choix sont guidés par la poche. Le tilapia du Burkina fait 2 500F le kilo et celui importé 1 500F.
Akodia Ezékiel Ada