Le 19 décembre 2017, Alpha Barry, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur, a été reçu à l’émission dialogue citoyen de la télévision nationale. S’il a été reconnu comme le meilleur du gouvernement dans cet exercice par d’aucuns, ses réponses à certaines questions ne font pas l’unanimité dans certains milieux. Olivier Kam, étudiant diplômé en lettres modernes, pense qu’en ce qui concerne la créance des médiations burkinabè, la vérité a été détournée.
Le numéro 08 de l’exercice du dialogue entre le gouvernement et les Burkinabè a reçu, le 19 décembre 2017, M. Alpha Barry, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur. Dans son entretien avec les Burkinabè, Monsieur le ministre s’est chargé d’expliquer l’apport de son département au bien-être des populations. Si cet exercice a permis d’en savoir un peu plus sur les grandes orientations de la politique extérieure du Burkina Faso durant les deux dernières années, les moyens mis en œuvre pour leur réalisation et les résultats obtenus, il n’en demeure pas moins qu’il a servi de tribune à l’invité pour charger injustement, souvent faussement, les équipes qui l’ont précédé à la tête de cette institution noble :
en effet, M. Barry n’a pas manqué l’occasion de dresser un bilan, selon lui, manifestement négatif de l’action diplomatique de certains de ses prédécesseurs, tout en les accusant d’avoir desservi les intérêts vitaux du Burkina Faso et des Burkinabè. Défendant les choix du gouvernement auquel il appartient, il a dénoncé l’implication du Burkina Faso dans les médiations dans la sous-région occidentale et les coûts financiers qu’elles auraient engendrés.
La présente réaction ne vise pas à défendre, sous forme de réplique, une option de politique extérieure, mais à être une restitution de la vérité, détournée par les exagérations et les limites objectivement inquiétantes de notre intervenant.
I. De l’implication du Burkina Faso dans la résolution de crises politiques en Afrique de l’Ouest
A la question d’un citoyen de savoir quel « est l’état réel du dynamisme de la diplomatie burkinabè », Monsieur le ministre rappela la part qui serait réservée au Burkina Faso dans la répartition de la contribution des Etats-Unis d’Amérique au financement de la Force conjointe du G5 Sahel, avant de poursuivre :
« (...) ça, ce sont des positions comme ça que nous recherchons. Ce n’est pas prendre un avion, descendre à Kidal par ailleurs sans autorisation… Ce n’est pas cette diplomatie-là qui nous intéresse. Parce que je dois dire aux gens que quand moi, je suis venu au ministère des Affaires étrangères, j’ai trouvé beaucoup de dettes, des milliards de francs de dettes. La diplomatie qu’on faisait avec les différentes réunions, conférences et autres. (...) Parce que les hôtels n’étaient pas payés, on fait venir les gens pour des manifestations, les gens n’étaient pas payés. Aujourd’hui, moi, j’ai tout le temps des gens qui m’appellent pour se plaindre ; pour m’insulter à la limite ; des fournisseurs. Bon, c’est des Burkinabè, on va, on gère. Voilà ce qui nous a été laissé. On en paie le prix quelque part. Nous ne sommes pas pour ce type de diplomatie ».
Plus loin, répondant à la question de savoir ce qu’il compte faire pour repositionner la diplomatie dans le rôle joué jadis en matière de médiation, Monsieur Barry se montra encore plus précis :
« ... j’ai été journaliste, correspond de RFI. J’ai été un témoin privilégié de ce que vous appelez la médiation, la diplomatie de la médiation du Burkina. J’ai accompagné tout le monde. J’étais là avec tout le monde. Que ce soit sur la crise guinéenne, que ce soit la crise ivoirienne ; que ce soit la crise togolaise ; que ce soit d’abord les premières négociations des crises touarègues et autres, j’étais là ; j’étais témoin de tout cela. C’est ce que je vous dis, je paie les milliards pour ça, et j’ai du mal à les payer, je souffre avec les fournisseurs burkinabè. Ça, c’est une réalité. Je connais les en dessous de beaucoup de choses et nous (n’) entendons pas aller dans ce sens. Nous voulons positionner le Burkina Faso dans ce qu’il y a d’utile pour les Burkinabè. (...)
Le Président Roch Marc Christian Kaboré intervient dans les crises que nous avons autour de nous, mais sans bruit, et ce n’est pas non plus de la même manière que par le passé, parce que nous aussi tirons leçon de comment les choses étaient, de la perception qu’il y avait vis-à-vis du Burkina et des Burkinabè qui souffraient ».
L’analyse qui se dégage de ces déclarations est que Monsieur Barry a peut-être suivi « tout le monde » dans les médiations, mais il n’a manifestement rien compris et n’en a certainement rien retenu. En effet, l’implication du Burkina Faso dans la résolution des situations de crise qui l’entourent est toujours intervenue suite soit à un mandat de la communauté internationale (à travers la CEDEAO), soit à la sollicitation expresse des protagonistes directs de la crise : à titre d’exemple, le Burkina Faso est devenu médiateur (facilitateur pour être plus précis) dans la crise ivoiro-ivoirienne suite à une demande expresse des parties en conflit, transmise par le Président Laurent Gbagbo.
Faut-il encore le rappeler ? Plusieurs accords avaient été négociés avant l’étape de Ouagadougou. Dans le cas du Mali, on se rappelle que c’est lors d’un Sommet extraordinaire des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO que le Burkina Faso a été sollicité pour servir de pays d’accueil aux négociations qui ont abouti aux accords que nous connaissons.
Monsieur Barry semble reprocher au Burkina Faso d’avoir servi de pays d’accueil à ces négociations initiées par la communauté internationale. En rappel, elles étaient tenues par les organisations internationales et interafricaines qui sollicitent notre pays pour servir de cadre. Comme tout dirigeant conscient des obligations internationales de son pays, ceux qui ont répondu favorablement à ces requêtes ne sauraient s’y soustraire. Le Burkina Faso a certes des ressources financières limitées, mais cela ne doit pas être son seul argument sur la scène internationale.
A cela il faut ajouter le fait que sa situation géographique le place au carrefour de la sous-région ouest-africaine. Par cette position, le Burkina Faso peut être à l’image de la Suisse qui, malgré sa neutralité légendaire, a accueilli de nombreuses négociations ayant abouti à des accords et des conventions qui ont contribué à pacifier le monde. Avec moins d’incurie, les Burkinabè, leurs dirigeants en premier, devront apprendre que la neutralité ne signifie pas l’indifférence. Cette mauvaise compréhension de l’engagement du Burkina Faso explique certainement l’évocation des coûts financiers, tous erronés.
II. Des dettes financières induites par les médiations
Dans ses tentatives de justifier ses choix de politique diplomatique, Monsieur Alpha Barry a donné les montants des dépenses qu’auraient induites les activités de médiation. Sans être précis, il a avancé vaguement des « milliards ». Selon lui, il s’attelle à rembourser ces dettes depuis qu’il dirige le département en charge des Affaires étrangères. D’une part, les montants avancés par M. Barry sont faux ; d’autre part, le fait de considérer ces dépenses comme des charges du Burkina Faso révèle une ignorance totale des procédures de prise en charge dans le cadre des médiations.
Puisqu’il n’a pas rendu public d’où il tire ces montants, il serait indiqué de se référer au Rapport de mission portant sur l’« Audit de la dette intérieure du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale (situation au 31 décembre 2015)», publié par l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de la lutte contre la corruption (ASCE - LC).
La période couverte par cet audit, réalisé du 21 mars au 06 avril, s’étend de 2010 à 2015 : par exemple, le montant total de ce qui est considéré comme dette induite par la médiation dans la crise malienne s’élève, selon l’ASCE-LC, à cinq cent onze millions deux cent vingt et un mille quatre cent cinquante-huit francs CFA (511 221 458 FCFA). La période concernée par l’audit n’a enregistré, en effet, que la médiation dans la crise du septentrion malien. Si Monsieur le ministre a d’autres sources avec d’autres montants, qu’il les rende publics. En clair, les chiffres annoncés sont erronés et ne doivent pas être considérés comme des dépenses de l’Etat burkinabè.
En référence au rappel des circonstances de l’implication du Burkina Faso dans les médiations, il n’est pas techniquement exact de mettre les charges financières induites au compte du Trésor national. En effet, la coordination des médiations et le fait de les organiser sur le sol burkinabè constituent une mission confiée par les organisations initiatrices desdites activités. Le Burkina Faso était comme en mission de l’ONU qui a délégué ses pouvoirs à la CEDEAO. Les dépenses sont à la charge de cette organisation et non de notre Etat. Cela a été reconnu par les auditeurs de l’ASCE-LC en ces termes : « Des dépenses effectuées en principe pour le compte de tiers (CEDEAO) alimentent encore la masse de la dette intérieure sans perspectives de remboursement (dépenses médiation malienne) ». Page 62 du Rapport.
Il apparaît clairement que les dépenses se sont poursuivies et se poursuivent peut-être sans que les autorités successives aient entrepris la moindre démarche pour leur remboursement. Pour conclure, il est important de retenir que l’engagement du Burkina Faso à abriter les négociations de recherche de la paix n’a jamais été une entreprise individuelle ni une aventure solitaire. Il a été chaque fois la réponse aux sollicitations de la Communauté internationale et constitue une contribution de notre pays à l’édification de la paix universelle. La « pauvreté » de notre pays, maintes fois répétée par Monsieur Barry, ne saurait être un argument d’un patriote burkinabè sur la scène internationale.
La « pauvreté» la plus inquiétante pour le Burkina Faso est celle intellectuelle de certains de ses fils et filles qui ont la destinée du pays entre leurs mains mais ignorent tout de ses intérêts : le fait de ne pas savoir que les dépenses induites par les médiations doivent être remboursées par leurs initiateurs relève de cette « pauvreté ». D’autres carences, inacceptables, ont été révélées à l’occasion de cette émission comme le fait de déclarer : «Même Kissinger était journaliste, lui qui est considéré comme le plus grand diplomate». Cette déclaration est révélatrice du niveau chaotique et d’amateur dans la conduite de notre diplomatie et suffisait à faire douter de tout ce qui a été dit par Monsieur Barry lors de cet exercice : malheureusement, il paraît qu’il est le meilleur de ceux qui y sont déjà passés. Il y a de quoi inquiéter tout patriote burkinabè qui croit encore aux capacités de notre cher Faso.
Olivier Kam