Pour un peu il se prendrait pour le Messie, celui qui, « répondant à une vocation supérieure », a accepté d’assumer la fonction de président du peuple de la république du Kenya, auquel il a juré de faire allégeance.
Quelques minutes plus tôt, c’est une Bible à la main que Raila Omolo Odinga était arrivé à Uhuru park, où l’attendaient des milliers de partisans, mouchoirs blancs en main, pour ce qui était censé être « le plus grand rassemblement pacifique depuis l’indépendance » ou plutôt une brève prestation de serment, pour être plus exact.
Mais expéditive, cette cérémonie d’un genre particulier l’a véritablement été puisqu’elle n’a duré que 5 petites minutes, laissant sur sa faim une foule qui attendait là depuis des heures. Qui sait ! Ces gens espéraient peut-être voir affluer dans les allées du parc quelques chefs d’Etat étrangers et des représentants d’organisations internationales pour féliciter leur président… A dire vrai, on ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer.
Tout compte fait, mieux vaut rire de cette mascarade que le pouvoir kényan aura, pour une fois, eu l’intelligence politique de ne pas réprimer malgré l’interdiction qui avait été signifiée aux organisateurs. Et c’est peut-être ce que le chef de la coalition Nasa espérait obtenir pour pouvoir jouer les martyrs à bon compte. « Le Kenya pourrait se diriger vers un conflit. La police ne doit pas intervenir », avait d’ailleurs averti l’opposant, qui se disait prêt à être privé de sa liberté et même de sa vie.
Faut-il le rappeler, les résultats de l’élection présidentielle d’août 2017 avaient été annulés sur décision historique de la Cour suprême en raison des nombreuses irrégularités qui avaient entaché son organisation et son déroulement. Un courage des grands juges qui avait été unanimement salué.
Mais nonobstant les petits réglages effectués par la commission électorale, l’opposant historique Raila Odinga avait boycotté ce qui s’apparentait à un second tour, comme si quelque part il avait peur d’être battu à la loyale par le président sortant, Uhuru Kenyatta. Depuis, il refuse de reconnaître les résultats et par conséquent la légitimité de son rival. Mais de là à sombrer dans la caricature en signant un certificat préparé par le député et avocat Titje Kajwang, déguisé pour l’occasion en juge, il y a sans doute un pas qu’il n’aurait pas dû franchir.
Et si « l’élu du peuple » était, mardi matin, entouré de l’aile dure de sa coalition, certaines têtes et pas des moindres manquaient néanmoins à l’appel. Parmi elles un autre impétrant, Kalonzo Musyoka, qui, comme d’autres leaders de la NASA, aura eu la lucidité de ne pas se prêter à cette parodie.
Après tout, si le fait d’être le « président du peuple », à défaut d’être celui de la république, peut faire le bonheur de Raila Odinga, tant mieux ! Mais que l’opposant sache déjà que le jour où il s’avisera de déposer ses pénates au palais de la république, il apprendra à ses dépens que la maison est habitée.
On l’aura compris, la manifestation de ce mardi est un baroud d’honneur qui sonne comme le chant du cygne pour l’opposant historique qui, à 73 ans, vient de gâcher sa dernière chance d’accéder à la magistrature suprême.
H. Marie Ouédraogo